Ewa Hevelke : Être acteur chez Warlikowski est-ce sans danger ?
Marek Kalita : Le théâtre de Warlikowski n’est pas la vie : on puise dans la vie mais on ne la transporte pas sur scène. Sans doute, de l’extérieur a‑t-on l’impression d’un mélange de ces deux mondes, mais en réalité c’est complètement différent. Warlikowski respecte les acteurs comme individus. Il respecte leur vie personnelle, leur temps, leur humanité. Ce qui nous lie, je l’appellerai plutôt une amitié artistique. Bien que ce soit plutôt une voie commune qu’une amitié. Je ne ressens pas de menace dans ma relation avec Krzysztof. Ce n’est pas un metteur en scène qui dispose de moi. C’est moi qui dois inventer quelque chose, c’est moi qui dois me créer un personnage.
E.H.: Et lui l’accepte.…
M.K.: Ou non, mais c’est une sorte de conversation. Il me semble qu’il a l’intuition qui lui permet de trouver le ton adéquat du personnage, il en extrait l’individu.
E.H.: Et que se passe-t-il alors ?
M.K.: Rien. Il reste ce qui reste : l’essence.
E.H.: Et la folie dans le théâtre de Warlikowski ?
M.K.: Krzysztof est très émotionnel et il participe à égalité avec les acteurs au processus de création. Ce n’est pas un metteur en scène capable d’être méchant, désagréable, qui stresse les acteurs en s’appuyant sur leurs émotions personnelles ; bien au contraire, il est très sensible et délicat pour les acteurs, parfois trop délicat. Il devrait être plus exigeant — moi tout au moins, je souhaiterais qu’il le soit. Et la folie est inscrite dans les personnages. Il faut seulement savoir l’en extraire — c’est ça le travail ; quand je rentre à la maison, je fais le fou avec ma fille mais d’une autre manière.
E.H.: Vous êtes l’instrument de quelqu’un qui raconte son autobiographie?On pourra, un jour, regarder les spectacles de Warlikowski et écrire un portrait de l’artiste, faire sa psychanalyse ?
M.K.: Je n’irai pas jusqu’à une telle affirmation. C’est tout simplement une personnalité qui regroupe autour d’elle beaucoup de gens. Et le travail est une sorte de partenariat. Je pense que c’est la définition la plus complète de son théâtre. Quelque chose qui éveille, qui ne ferme pas. La caractéristique de Warlikowski, c’est l’ouverture. Ce n’est pas un metteur en scène qui « tout simplement, sait ». Krzysztof accepte les idées des autres. Tous prennent la responsabilité pour ce qui est montré sur la scène, même si Warlikowski prend la décision finale.
E.H.: Les gens lui donnent-ils le droit à l’erreur ou Warlikowski n’a-t-il plus le droit de se tromper ? Vous lui donnez un tel droit ?
M.K.: Oui, bien évidemment. On erre toujours au théâtre, on touche des choses complètement immatérielles. Ce sont des règles insaisissables et dépendantes de nombreux facteurs. Si le spectacle comporte beaucoup de personnages où jouent de fortes personnalités, obtenir une énergie commune demande un énorme effort. C’est autre chose dans des formes théâtrales plus fermées, mais Krzysztof ne les pratique pas.
E.H.: Y at-il un rôle dont vous ne partagiez pas la vision ?
M.K.: Cela ne consiste pas à être d’accord ou pas. Le travail au théâtre, contrairement au cinéma, reste ouvert. Au cours des répétitions, nous parvenons à une certaine conclusion et ensuite. Je tente de ne pas me souvenir de ce qui a été, afin d’être ouvert à ce qui va se produire. C’est là-dessus que je me concentre, évidemment en me tenant à certains principes.
E.H.: Et dans quelle direction tend le théâtre de Warlikowski ?
M.K.: « L’important, c’est d’avancer » a dit un jour Krzysztof Kieslowski, mais dans quelle direction ? Je pense qu’il faut observer ce qui se passe, la vie vous propose les thèmes. Nowy Teatr est au début de ses recherches.
Traduit par Marie-Thérèse Vido-Rzewuska.
Ce texte a été publié en polonais dans la revue Notatnik Teatralny.