LE GRILLON DU FOYER, spectacle phare du premier Studio

LE GRILLON DU FOYER, spectacle phare du premier Studio

Le 29 Oct 2005

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Stanislavski Tchekhov - Couverture du Numéro 87 d'Alternatives ThéâtralesStanislavski Tchekhov - Couverture du Numéro 87 d'Alternatives Théâtrales
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LE CRITIQUE Niko­laï Efros, pro­po­sait, en 1923, de plac­er le Stu­dio du Théâtre d’Art sous le signe du « gril­lon » comme le Théâtre lui-même se recon­nais­sait sous celui de la mou­ette 1. L’équiv­a­lence n’est pas tout à fait exacte. Car si le tri­om­phe de la pièce de Tchekhov au Théâtre d’Art en 1898 est à pro­pre­ment par­ler un com­mence­ment et est l’amorce d’un puis­sant chem­ine­ment théâ­tral, le suc­cès du GRILLON DU FOYER 2, joué pour la pre­mière fois en novem­bre 1914 sur la minus­cule scène du Stu­dio, appa­raît surtout comme un point d’équili­bre, un som­met presque inat­ten­du dans une recherche aux des­tinées incer­taines.

LE GRILLON DU FOYER est une réus­site unique en son genre dans l’his­toire des mis­es en scène du « Stu­dio ». Avec ce spec­ta­cle, le Stu­dio accède à une « jus­ti­fi­ca­tion » (N. Efros) de sa pro­pre exis­tence. Le spec­ta­cle révèle ceux gui seront les prin­ci­paux acteurs du Stu­dio : Grig­ori Khmara, Vera Solovio­va, Sofia Guiatsin­to­va. Il con­firme le tal­ent de Mikhaïl Tchekhov. Alors que les mis­es en scène des années suiv­antes répon­dront à d’autres impérat­ifs artis­tiques, LE GRILLON incar­ne ce à quoi est par­venu le Stu­dio sous l’égide de Souler­jit­s­ki. Dès 1918, alors que 286 représen­ta­tions ont déjà eu lieu, Niko­laï Efros va faire entr­er le spec­ta­cle dans l’his­toire du théâtre en lui con­sacrant un livre superbe orné de pho­togra­phies et des esquiss­es du pein­tre Mikhaïl Libakov 3. En 1922, après 509 représen­ta­tions 4, LE GRILLON est tou­jours joué, mais son suc­cès n’est plus d’ac­tu­al­ité ou d’ur­gence, mais de mémoire ou de nos­tal­gie 5.

En 1914, le spec­ta­cle rem­plis­sait une attente. Rap­pelons quelle est la sit­u­a­tion du Stu­dio du Théâtre d’Art en 1914, au moment où Souchke­vitch et Souler­jit­s­ki por­tent à la scène le CONTE DE NOËL de Dick­ens. Le Stu­dio, « imag­iné » par Stanislavs­ki dès 1906, con­sti­tué peu à peu entre 1910 et 1912, mis en place en 1912, offi­cielle­ment ouvert en 1913 6 , n’a pas été conçu par son fon­da­teur comme un petit théâtre, même expéri­men­tal, des­tiné à dou­bler la grande scène du Théâtre d’Art. Il a été pen­sé et voulu comme une école de l’ac­teur, lieu de mise à l’épreuve d’une méth­ode d’ap­pren­tis­sage et d’ex­plo­ration du jeu encore en ges­ta­tion 7. Un matéri­au humain jeune, tal­entueux et pas­sion­né (quelques-uns des meilleurs élèves des écoles de théâtre proches du Théâtre d’Art) a été placé sous l’égide d’un men­tor doué d’une intu­ition théâ­trale et d’un sens de l’hu­main excep­tion­nels, Leopold Souler­jit­s­ki. « Le Stu­dio n’est pas un théâtre, affir­mait Souler­jit­s­ki. Nous ne jouons pas de pièces, nous ne faisons que tra­vailler à l’élab­o­ra­tion d’un matéri­au théâ­tral [ … ] dont la plus grande part demeure invis­i­ble au pub­lic » 8.

C’é­tait compter sans le désir des jeunes acteurs du Stu­dio. Décidés à con­stru­ire un réper­toire et à devenir une troupe, ils ont pris l’ini­tia­tive de mis­es en scène com­plètes et signées, qui déjà por­tent la mar­que d’in­di­vid­u­al­ités fortes. Avant même l’ou­ver­ture du Stu­dio, l’en­tre­prenant Richard Boleslavs­ki, qui a joué Tour­gue­niev 9 sur la grande scène du Théâtre, est autorisé par Stanislavs­ki à met­tre en scène LE NAUFRAGE DE L’ESPÉRANCE ’ du dra­maturge néer­landais Hei­jer­mans 10, pièce « nat­u­ral­iste » qui racon­te une malver­sa­tion et un naufrage avec ses con­séquences famil­iales et humaines. Four­mil­lant de per­son­nages vio­lem­ment dess­inés, le spec­ta­cle inau­gure le Stu­dio, con­naît un vif suc­cès et sera sou­vent repris. De plus, il révèle, dans son pre­mier rôle de « vieil­lard » (le vieux Kobus) le génie d’ac­teur du jeune Mikhaïl Tchekhov. Le sec­ond spec­ta­cle du Stu­dio (novem­bre 1913 ), LA FÊTE DE LA PAIX de Haupt­mann, som­bre drame famil­ial, mon­té par Evgueni Vakhtan­gov, échoue sur les écueils du nat­u­ral­isme et de la con­ven­tion 11. Stanislavs­ki se déchaîne con­tre un spec­ta­cle « hys­térique ». Pour­tant on y trou­ve déjà la dom­i­nante des travaux ultérieurs de Vakhtan­gov : acuité, rad­i­cal­ité, mise à nu des procédés. La pièce, jouée trois saisons, ne restera pas à l’af­fiche du Stu­dio.

Cepen­dant, cri­tique et pub­lic voient claire­ment qu’il existe dès cette date une « per­son­nal­ité » du Stu­dio, une « ligne artis­tique » com­mune, un pro­jet glob­al, qui déter­mine un réper­toire, des con­tenus, un type de jeu, une forme, des choix de mise en scène. La dévo­tion à Stanislavs­ki, au « Sys­tème » en cours de for­mu­la­tion, est man­i­feste. La cri­tique académique hos­tile à Stanislavs­ki ver­ra dans le Stu­dio la pointe extrême de ce qu’elle con­sid­ère comme une démarche arti­fi­cielle, stérile et pré­ten­tieuse. Du côté des « stud­istes » (stoudi­it­sy ), la préoc­cu­pa­tion d’u­nité n’est cepen­dant pas unanime. Même si Vakhtan­gov, à cette époque, respecte, par­fois à son corps défen­dant, une dis­ci­pline de groupe et main­tient avec Souler­jit­s­ki les liens d’une affec­tion anci­enne, Boleslavs­ki fait preuve de la plus grande autonomie, et Mikhaïl Tchekhov, comé­di­en d’abord, con­stru­it ses rôles à sa façon. Le Stu­dio, conçu comme dépen­dant du Théâtre d’Art, s’en démar­que man­i­feste­ment. Sans doute n’y a‑t-il pas de pro­jet glob­al for­mu­la­ble et for­mulé, mais il se dégage une ten­dance.

Elle se définit par l’as­so­ci­a­tion étroite d’un pro­jet humain et d’un pro­jet artis­tique à l’in­térieur d’une cel­lule de dimen­sions réduites. Déter­mi­nante est, de ce point de vue, la per­son­nal­ité de celui entre les mains de qui Stanislavs­ki a remis le Stu­dio : Leopold Souler­jit­s­ki. Écrivain et pein­tre de tal­ent, marin, aven­turi­er, homme de con­vic­tion et d’en­gage­ment, énergique et chaleureux, tol­stoïen con­va­in­cu, venu tard, mais avec pas­sion, au théâtre, il servi­ra, jusqu’à sa mort en décem­bre 1916, de « maître de vie » au Stu­dio dont il fait le lieu priv­ilégié d’une exi­gence éthique 12. Le col­lec­tif théâ­tral n’est pas, pour « Souler », un but en soi, mais l’oc­ca­sion d’amen­er à plus d’hu­man­ité un groupe de jeunes gens en pleine for­ma­tion morale. De ses con­vic­tions tol­stoïennes, Souler­jit­s­ki retient surtout des posi­tions spir­i­tu­al­istes, human­istes et paci­fistes, la reven­di­ca­tion d’un tra­vail ancré dans des valeurs ter­ri­ennes et des struc­tures de type com­mu­nal. « Rap­procher les gens, con­stru­ire une œuvre com­mune, des buts com­muns, un tra­vail com­mun, une joie com­mune, lut­ter con­tre la vul­gar­ité, la vio­lence et l’in­jus­tice, servir l’amour et la nature, la beauté et Dieu », tels sont les objec­tifs du théâtre 13. Souler­jit­s­ki, auquel Stanislavs­ki a don­né de droit pleins pou­voirs sur le Stu­dio, laisse la mar­que de ses con­vic­tions sur son tra­vail artis­tique. Sans jamais sign­er lui-même, il revoit toutes les mis­es en scène du Stu­dio, leur imp­ri­mant un tour opti­miste et human­i­taire 14.

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Écrit par Hélène Henri
Hélène Hen­ry est Maître de con­férences à l’Université Paris IV, respon­s­able d’un sémi­naire de tra­duc­tion théâ­trale et enseignante-chercheuse...Plus d'info
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#87
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