Théâtre chilien en démocratie : historicité et autoréflexion
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Théâtre chilien en démocratie : historicité et autoréflexion

Le 30 Déc 2007
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 96-97 - Théâtre au Chili
96 – 97
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BROSSER UN TABLEAU des dif­férentes ten­dances du théâtre chilien depuis le retour de la démoc­ra­tie en 1990 jusqu’au début du xxre siè­cle est un défi qui com­porte bien des dif­fi­cultés. Afin de men­er à bien cette tâche, j’ap­pli­querai, pour le théâtre, la notion d’ « his­toric­ité », don­née cru­ciale dans l’élab­o­ra­tion de la réal­ité qu’en­tre­prend le créa­teur à par­tir de ter­ri­toires mar­qués, démar­qués et tran­scendés par une rela­tion sujet/ corps his­torique qui implique, à son tour, la tâche de trou­ver l’im­age ou les images qui auront un impact sur la sen­si­bil­ité his­torique du spec­ta­teur qui se con­fronte aux événe­ments représen­té sur scène1.

Il est impor­tant de pré­cis­er que le champ théâ­tral de San­ti­a­go, siège prin­ci­pal du théâtre pro­fes­sion­nel chilien, est à la fois dense et mul­ti­ple, puisqu’au solide noy­au de théâtre uni­ver­si­taire et indépen­dant, qui a main­tenu ses activ­ités pen­dant la dic­tature mil­i­taire (1973 – 1990), il faut ajouter les groupes for­més dans les écoles uni­ver­si­taires2 , ce qui représente un ensem­ble com­prenant des dizaines de com­pag­nies en activ­ité dans les anci­ennes et nou­velles salles et dans les espaces non tra­di­tion­nels. L’ac­croisse­ment est expo­nen­tiel : en 2006, il y eut env­i­ron deux cents créa­tions (con­tre vingt en 1960, quar­ante en 1970 ; en 2000 on comp­tait env­i­ron cent créa­tions d’au­teurs nationaux et soix­ante d’au­teurs étrangers). Le nom­bre donne-t-il lieu à des sur­sauts qual­i­tat­ifs ? Pou­vons-nous voir quelques con­stantes dans ce champ pluriel et hétérogène ?

Je crois qu’il existe des courants souter­rains, des séries en puis­sance ; des tra­di­tions acto­ri­ales et des esthé­tiques revis­itées, des écolesque l’on peut claire­ment iden­ti­fi­er mal­gré leur car­ac­tère mou­vant. Pour les com­pren­dre, il est impor­tant de les con­sid­ér­er à deux moments his­to- riques qui s’op­posent claire­ment mais qui présen­tent, c’est mon pos­tu­lat, un lien sous-jacent.

Pen­dant les dix-sept ans du Gou­verne­ment Mil­i­taire dirigé par Pinochet, la résis­tance cul­turelle s’est cen­trée forte­ment sur le théâtre, car le ciné­ma, la télévi­sion et l’in­dus­trie édi­to­ri­ale étaient sous le con­trôle d’une cen­sure acharnée. Le théâtre a accom­pa­g­né de très près les dis­cus­sions cri­tiques, la dénon­ci­a­tion, l’ex­pres­sion d’une sen­si­bil­ité blessée par les nets change­ments cul­turels et soci­aux que vivait le pays. Avec la dis­tance, on peut y voir une péri­ode héroïque où l’on pre­nait à la fois des risques per­son­nels et des risques artis­tiques soutenus par un pub­lic qui célébrait et partageait une telle démarche. Il y avait un « sens » qui unis­sait le tra­vail théâ­tral à sa pro­pre iden­tité.

Dans un deux­ième temps, lorsque la Dic­tature a été sup­plan­tée en 1990 par le pre­mier gou­verne­ment cen­tre-gauche de la Con­cer­ta­tion pour la démoc­ra­tie, les diag­nos­tics des pra­tiques cul­turelles ont cessé d’être nets et con­sen­suels. Une opin­ion assez répan­due affirme que le théâtre post-dic­ta­to­r­i­al en Amérique Latine, le Chili inclus, répond à des obses­sions d’au­teurs ancrées dans des biogra­phies par­ti­c­ulières qui ne sont représen­ta­tives ni d’un pré­ten­du espace nation­al ni de l’époque en cours. Cette appro­pri­a­tion du privé serait une éva­sion de la mémoire, une volon­té d’ou­bli­er une his­toire politi­co- sociale des plus douloureuses et con­flictuelles vécue récem­ment. Ce serait un théâtre dépoli­tisé, tourné vers des sous-groupes dont la capac­ité à réu­nir le pub­lic décroî­trait en même temps que son his­toric­ité.

Je m’in­scris en faux con­tre ce diag­nos­tic : je pense que la mémoire his­torique ain­si que les thèmes les plus pres­sants de l’ac­tu­al­ité con­stituent bien le matéri­au et le référent du théâtre chilien post-dic­ta­to­r­i­al, mais ils sont abor­dés d’une manière très dif­férente de celle du mou­ve­ment théâ­tral antérieur. Témoign­er ou dénon­cer ne suf­fit plus : la reprise des pra­tiques poli­tiques et des mou­ve­ments soci­aux qui ont œuvré à la fin de la dic­tature ont assumé cette tâche. Cela a con­duit à met­tre en place un courant de re-théâ­tral­i­sa­tion de la scène pour accéder à d’autres dimen­sions encore absentes de la con­science sociale : on est passé de la chronique socio-poli­tique à la sym­bol­i­sa­tion artis­tique de l’ex­péri­ence. De nou­veaux par­a­digmes esthé­tiques sont apparus qui se sont traduits par une explo­sion de formes d’ex­pres­sion empreintes d’am­biguïté ou de poésie et con­juguant don­nées per­son­nelles et his­toriques.

C’est une tran­si­tion dif­fi­cile qui con­siste à redéfinir le rôle du théâtre et à repenser ses besoins et ses modes d’ex­pres­sions3. En fix­ant le regard sur lui-même, le dra­maturge se recon­naît comme sujet en sit­u­a­tion de con­flit et d’au­toréflex­ion. Bon nom­bre de pièces pren­nent comme pro­tag­o­nistes des créa­teurs du champ poé­tique, dra­ma­tique ou de la pen­sée sci­en­tifique inno­vante, con­sid­érant que les con­flits exis­ten­tiels et poli­tiques de la créa­tion sont com­pa­ra­bles et ser­vent de point de départ à une réflex­ion sur les aspects soci­aux dans leur ensem­ble.

Au début de ce nou­veau mou­ve­ment, proche de l’in­stau­ra­tion du gou­verne­ment de la Con­certación, un théâtre plus sym­bol­ique et her­mé­tique se met en place et, au fur et à mesure que s’é­coulent les dix-sept années de ces gou­verne­ments et que les prob­lèmes du mod­èle économique néo­cap­i­tal­iste et de la poli­tique du con­sen­sus affleurent, les thèmes non réso­lus de la mémoire et de l’équité ressur­gis­sent dans un théâtre cri­tique et référen­tiel. Je dévelop­perai ces deux trans­for­ma­tions en évo­quant deux péri­odes de ce devenir : les années 1990 et ensuite le début des années 2000.

Sen­si­bil­ités fin de siè­cle : les années 90

Les années 90 s’ou­vrent sur une nou­velle sen­si­bil­ité, un nou­veau posi­tion­nement du théâtre face à lui-même et à la société. C’est une généra­tion de rechange qu’en assure la con­duite, par­ti­c­ulière­ment sous la férule de met­teurs en scène qui créent leurs pro­pres pièces, pro­je­tant et pro­mou­vant ain­si leur esthé­tique scénique. Cette généra­tion qui n’a pas vécu la péri­ode antérieure au gou­verne­ment mil­i­taire et n’a pas baigné dans le con­texte restric­tif des années 70 et grande par­tie des années 80.

Lare-con­nex­ionqui s’en­suit adopte les clés d’in­ter­pré­ta­tion mon­di­ales fin de siè­cle, qui coïn­cide avec la chute des utopies et avec un cli­mat intel­lectuel post­mod­erne qui, loin de prôn­er rad­i­cale­ment des posi­tions pro­pres à l’ère mod­erne, s’ou­vre au con­traire à une mul­ti­tude d’ex­péri­ences et de sources d’in­spi­ra­tion, allant des plus archaïques à la cul­ture audio­vi­suelle mon­di­al­isée.

La volon­té de met­tre en forme dra­ma­tique et scénique pose une série de ques­tions, qui relèvent plus de l’ex­plo­ration sen­si­tive que de cer­ti­tudes rationnelles, se traduit par un lan­gage de la dis­tor­sion, de l’ex­trap­o­la­tion, de la frag­men­ta­tion du réc­it et des per­son­nages. Le réal­isme bat en retraite face au grotesque, exces­sif et car­nava­lesque, ou à la styl­i­sa­tion onirique forte­ment sym­bol­ique, qui épure la scène et tend vers le min­i­mal­isme.

Lucid­ité car­nava­lesque

Le grotesque fait son appari­tion avec toute la panoplie de la mas­ca­rade médié­vale et un jeu avec les élé­ments scéniques. Des per­son­nages mis en relief par des masques et des cos­tumes arché­typ­iques se dépla­cent sur des plateaux immenses, avec une gestuelle dynamique, sou­vent expres­sion­niste, qui évoque un rit­uel ancré dans des tra­di­tions pop­u­laires récupérées avec un regard ironique, fes­tif et dépourvu de préjugés.

Ce théâtre syn­cré­tique par excel­lence réu­nit les courants améri­cains, européens et ori­en­taux les plus divers, mêlant théâtre, cirque et guig­nol, com­me­dia del l’arte et théâtre stanislavskien. Ce courant croit en la capac­ité du grand spec­ta­cle théâ­tral à réu­nir des foules pour partager avec elles une fête des sens et renouer avec une dra­matic­ité inscrite dans ses racines et son iden­tité col­lec­tive. L’his­toire, le passé, devient ain­si métaphore du présent et son actu­al­i­sa­tion théâ­trale récupère, simul­tané­ment, le sens de la comédie grotesque et de la tragédie.

Dans ce mou­ve­ment, on peut remar­quer les créa­tions d’An­drés Pérez et son Gran Cir­coTeatro, LA NEGRA ESTER(La Noire Esther), 1988, PoPOL VuH, LA CONSAGRACIÔN DE LA POBREZA(,Le Sacre de la pau­vreté), MADAME DE SADE, NEMESIO PELAO QUÉ TE HA PASAO (Neme­sio le pelé, que s’est-il passé), 1995 ; les travaux de la com­pag­nie El Som­brero Verde, EL DESQUITE (La Revanche), 1995 ; ain­si que les mimod­rames de Mauri­cio Celedón (OCHO HORAS, TACA-TACA MON AMOUR);ceux du Cir­co Imag­i­nario d’An­drés del Bosque EL TONY CALUGA ou EL PAPAY LA VIRGEN, (Le Pape et la vierge); la pro­duc­tion poly­va­lente du Teatro Ima­gen sous la direc­tion et créa­tion auc­to­ri­ale de Gus­ta­vo Meza, MURMURACIONEASCERCADELAMUERTEDEUNJUEZ (Rumeurs autour de la mort d’un juge); LA REINAISABEL CANTABARANCHERA(SLa Reine Isabelle chan­tait des rancheras). Cer­taines de ces œuvres sont basées sur des auteurs chiliens (Rober­to Par­ra, Alfon­so Alcalde, Her­nan Rivera, Cris­t­ian Soto), sur des mythes améri­cains ou sur des auteurs d’autres lat­i­tudes (Dario Fo, Mishi­ma).

Le groupe La Trop­papartage ce lud­isme car­nava­lesque mais, dans son par­cours à tra­vers le con­te fan­tas­tique, il utilise une imagerie mag­ique, sur­prenante, pléthorique en effets scéno­graphiques. Par­al­lèle­ment à son archaïsme référen­tiel, il con­voque le lan­gage de la BD, du ciné­ma, avec gags, change­ment de cadrage, d’an­gle de vue et tord le réc­it jusqu’à en extraire son essence. Le groupe adapte, avec une forte charge per­son­nelle, des romans d’aven­tures met­tant en scène le par­cours ini­ti­a­tique de héros à la recherche de leur human­i­sa­tion, comme
EL QUIJOTE (Cer­vantes, dans EL RAP DELQUIJOTE, Le Rap du Qui­chotte, 1989), PINOCCHIO (Col­lo­di), VIAJE ALCENTRO DELA TIERRA,Voyage au cen­tre de la terre (Verne), GEMELOS(,Jumeaux), 1999, basée sur LE GRAND­C­AHIERd’Agotha Kristof, et JEsûs BETZ, 2003, Bernard y Roca).

La vivac­ité de ce théâtre, qui exor­cise les séquelles générées par le fait d’avoir été « enfant de la dic­tature », d’avoir gran­di sans par­ents, sans maîtres et qui, pen­dant les années 90, a con­duit le groupe à chang­er de nom — Los que No Esta­ban Muer­tos ( Ceux qui n’é­taient pas morts) sont devenus La Trop­pa- nous révèle un esprit nou­veau, inimag­in­able pour le Chili des décen­nies antérieures.

Poéti­sa­tion de la scène

La styl­i­sa­tion sym­bol­ique est l’une des car­ac­téris­tiques qui définit un théâtre plus intimiste. Cela va d’un théâtre gro­towskienà forte gestuelle cor­porelle, avec une com­po­si­tion émail­lée d’icônes et de vocal­i­sa­tion en con­tre­points poly­phoniques, à des formes, sem­blables aux dis­tor­sions artau­di­ennes, qui opèrent une rup­ture acerbe avec cette esthé­tique. Le plateau est conçu comme le lieu scrip­tur­al d’une expéri­ence poly­mor­phe qui con­voque un espace incon­scient, où entrent les émo­tions, les rêves, toutes sortes de trans­gres­sions de l’or­dre social établi, tout ce qui pal­pite dans des zones d’om­bre et qui ne peut affleur­er que dans un jeu de miroirs con­caves.

La frag­men­ta­tion du réc­it vient appuy­er l’im­placa­ble recherche intérieure pour attein­dre le fond des choses et associ­er le spec­ta­teur dans ce proces­sus. Ce déploiement expres­sif se nour­rit de la mémoire per­son­nelle des créa­teurs et tend vers une poéti­sa­tion de leur expéri­ence pour l’abor­der, à par­tir d’un réseau sym­bol­ique, sous dif­férents angles. Une de leurs moti­va­tions est de ren­dre compte d’une expéri­ence col­lec­tive de la douleur et de la mort, de l’an­goisse et de la folie, de la trans­gres­sion de la cor­po­ral­ité et par là même de la dig­nité humaine. La vio­lence psy­chique que sup­pose la tor­ture des corps opère une évi­dente trans­la­tion du champ sub­jec­tif au champ social, de l’im­agerie per­son­nelle à celle inscrite dans la col­lec­tiv­ité, de la mémoire per­son­nelle à la mémoire his­torique.

L’au­teur et dra­maturge Ramon Grif­fera et sa com­pag­nie Fin de Siglo adoptent assez tôt cette ten­dance avec des œuvres comme CINEMAUTOPPIA (1984) dont le sujet est le chemin de perdi­tion vécu dans l’ex­il, LA MORGUE 99, recherche onirique autour des détenus dis­parus, et la reprise dans les années 90 d’EX­TA­SIS (1993). Ensuite, par­ti­c­ulière­ment avec BRUNCH, l’au­teur revient à la thé­ma­tique de l’en­fer­me­ment méta­physique et réflé­chit sur le car­ac­tère absurde que revêt la mort dans les pris­ons clan­des­tines où le détenu est dépos­sédé de toute iden­tité.

C’est prob­a­ble­ment Alfre­do Cas­tro, avec le théâtre La Memo­ria, qui affine le mieux cette expres­sion. Dans sa TRILOGÎA TESTIMONIAL DE CHILE, spé­ciale­ment avec les pièces LA MANZANADE ADÂN, (La Pomme d’Adam), 1990 et HISTORIA DE LA SANGRE,(Histoire du sang), 1992, il inter­roge des per­son­nages haute­ment trans­gresseurs, qui cohab­itent avec la mort à cause d’une impos­si­ble con­som­ma­tion du désir amoureux qui est le fait d’une iden­tité per­due entre l’être et le devoir-être ( trav­es­tis pros­ti­tués, crim­inels pas­sion­nels).

Les créa­tions — au théâtre de l’U­ni­ver­sité Catholique — de Clau­dia Echeñique sont égale­ment emblé­ma­tiques, avec des pièces de Inès M. Stranger : CARINO MALO et MALIÑCHE (1993). Dans la pre­mière pièce, on inter­roge les expéri­ences féminines d’a­ban­don, dans le cadre des rôles tra­di­tion­nels de genre, et la manière de les dépass­er à tra­vers des rites d’as­sas­si­nat de l’être aimé, de deuil et de retour aux orig­ines, pour éla­bor­er une nou­velle iden­tité fémi­nine. Dans la deux­ième, c’est l’ances­trale con­quête du corps et de l’âme fémi­nine, dans la guerre d’in­va­sion ter­ri­to­ri­ale et eth­nique, qui fonde la réflex­ion sur notre métis­sage et la dual­ité séduc­tion-vio­lence. Le cinquième cen­te­naire de la con­quête (1992) est une date clé pour la relec­ture de notre iden­tité, à laque­lle d’autres auteurs se sont essayés, comme Jorge Dfaz, EL GUANTE DE HIERRO, (Le Gant de fer).

Quelques pièces du dra­maturge Mar­co Anto­nio de la Par­ra s’in­scrivent aus­si dans cette ten­dance. Elles plon­gent dans les zones som­bres de l’amour trag­ique, des blessures du corps causées par les insat­is­fac­tions tortueuses de l’e­sprit, des chemins acci­den­tés et menaçants de la vio­lence poli­tique de l’É­tat dic­ta­to­r­i­al et des détours per­vers de la mémoire et de l’ou­bli, face au trau­ma­tisme col­lec­tif des blessures que cela provoque. La par­tic­u­lar­ité de la Par­ra est de réalis­er des fusions et des mis­es en lumière entre le sub­strat obses­sion­nel, dérivé de notre his­toire récente, et les mythes, per­son­nages et réc­its clés des tragédies grec­ques et de la renais­sance : par­mi les plus représen­ta­tives, on trou­ve OFELIA O LA MADRE MUERTA, (Ophélie ou la Mère morte), mise en scène de Rodri­go Pérez, et LA PUTA MADRE, (Putain de mère) (qui reprend le mythe de Cas­san­dre), dirigée par Viviana Stein­er.

Le thème de la mémoire et de l’i­den­tité est aus­si abor­dé, de manière allé­gorique, par De la Par­ra dans LA PEQUEÑA HISTORIA DE CHILE,( Petite His­toire du Chili) (1995) au Théâtre Nation­al de l’U­ni­ver­sité du Chili, sous la direc­tion de Raul Oso­rio. Ce met­teur en scène a réal­isé l’adap­ta­tion du roman de Car­los Cer­da UNA CASA VACÍA, (Une Mai­son vide), dans lequel l’e­space nation­al retrou­vé œuvre comme un vecteur de la mémoire : un exilé qui revient au pays décou­vre par divers chemins émo­tion­nels et sen­si­tifs que sa mai­son d’en­fance, où doit avoir lieu la réc­on­cil­i­a­tion avec son ex, est rem­plie de douloureuses traces lais­sées par son util­i­sa­tion comme cen­tre de tor­ture.

Il faut remar­quer les créa­tions, dans cette décen­nie, d’au­teurs français et alle­mands dont les œuvres sont une image en creux de sociétés qui présen­tent de manière angois­sante un croise­ment entre vies privées et pro­jets soci­aux avortés. C’est le cas de Hein­er Müller, dont les pièces QUARTETT (R. Pérez), MÉDÉE MATÉRIAU (V. Stein­er) et LA MISSION(A. Stil­mar­ck) ont fait l’ob­jet de mis­es en scènes inno­va­tri­ces quant à la scéno­gra­phie et à l’in­ter­pré­ta­tion. De même, la créa­tion de plusieurs pièces de Bernard-Marie Koltès par Vic­tor Car­ras­co et Tito Bus­ta­mante, a intro­duit au Chili la parole poé­tique et désen­chan­tée des per­son­nages mar­gin­al­isés dans les sociétés urbaines post-indus­trielles. CROISADES, de Michel Aza­ma ou EXÉCUTEUR 14 d’A­bel Hakim (inter­prété par Héc­tor Noguera et le théâtre Teatro Camino), nous situent dans un état de désœu­vre­ment per­vers causé par la guerre.

Théâtre poli­tique et théâtre du corps dans le théâtre chilien du nou­veau siè­cle

Une fois explorés, dans la dernière décen­nie, les inter­stices entre sub­jec­tiv­ité et his­toire, le nou­veau siè­cle, même s’il main­tient cette ten­dance, revient à une his­toire factuelle, tes­ti­mo­ni­ale, con­crète : une des grandes sources du théâtre chilien du pre­mier lus­tre des années 2000, en tant que construction/ con­vo­ca­tion de son his­toire, est le vécu dans l’e­space réel. On ne revient pas pour autant au réal­isme, mais on décom­pose et on recom­pose les élé­ments théâ­traux ; la parole et le corps de l’ac­teur retrou­vent un rôle impor­tant. En voici quelques car­ac­téris­tiques :

Puis­sance de la parole sur scène

Quelques met­teurs en scènes et dra­maturges, comme Rodri­go Pérez, cen­trent leur théâtre sur la puis­sance cri­tique et sub­ver­sive que sup­pose le fait d’in­staller un texte fort sur scène. Depuis la mise en scène dans les années 90 du MALENTENDU de Camus et de MADAME DE SADE de Mishi­ma (dans un duel théâ­tral avec Andrés Pérez qui en pro­pose simul­tané­ment une mise en scène mais avec une esthé­tique opposée), jusqu’aux TROYENNE d’Euripi­de, Rodri­go Pérez ancre l’ac­teur dans une scène vide, dénudée de tout arti­fice. La gestuelle et la car­ac­té- risa­tion des acteurs se con­cen­trent davan­tage sur l’in­ter­pré­ta­tion du texte que sur le per­son­nage, davan­tage sur la recherche de la justesse du texte que sur la manière de le dire avec justesse. Rodri­go Pérez affirme que c’est une démarche poli­tique que de sous­traire la parole à la manip­u­la­tion, à l’al­ié­na­tion et à la duplic­ité aux­quelles elle est soumise dans la rhé­torique offi­cielle où elle opère comme une arme hyp­ocrite de cam­ou­flage.

Cette ligne théâ­trale cul­mine en 2005 – 2006 avec la Trilo­gie LA PATRIA,(La Patrie), qui com­prend les pièces MADRE, PADRE et CUERPO, écrites et mis­es en scène par Rodri­go Pérez. Dans CUERPO, par exem­ple, une par­tie de la pièce est con­sti­tuée de déc­la­ra­tions faites par des Chiliens sur leur expéri­ence en prison poli­tique et les tor­tures qu’ils ont subies et qui ont été recueil­lies dans le Rap­port Valesh (1990 ). Ces textes, mar­qués par les signes d’i­den­tité nationale des dif­férents émet­teurs, devi­en­nent métaphore col­lec­tive par le fait d’être ren­dus vis­i­bles et audi­bles publique­ment.

Le car­ac­tère cru de ce thème est abor­dé par Pérez avec styl­i­sa­tion et retenue ; les nar­ra­tions sont réal­isées sur un ton neu­tre et déclenchent des réac­tions dans les corps des danseurs et des acteurs qui se met­tent en mou­ve­ment. Ces corps se don­nent à voir dans leur fragilité et vul­néra­bil­ité max­i­male car il y a une rup­ture dans la dif­féren­ci­a­tion entre vie privée et vie publique, entre l’im­pératif éthique de soign­er, respecter, préserv­er la vie et l’élan trans­gresseur de la vio­l­er, de l’ex­pos­er, de la bless­er par et dans le corps même des vic­times.

Ici, le choix de Rodri­go Pérez est d’in­vers­er les modal­ités clas­siques : dans la tragédie grecque, ce qui ter­ri­fie ce n’est pas l’acte même de la vio­lence sur le corps (qui est exclu de la scène) mais le fait d’en­ten­dre les mots qui nom­ment l’acte coupable en le situ­ant sur le ter­rain de la cul­ture. Aujour­d’hui, où les mots sont défraîchis, ce qui provoque l’hor­reur c’est de retourn­er aux orig­ines : à l’acte con­tre le corps, à la matéri­al­ité de l’acte de vio­lence. Le corps est mis en con­tact avec les mots qui racon­tent l’ac­tion exer­cée sur lui (ain­si le savoir du corps et le savoir sur le corps s’en­tre­croisent).

L’acte de tor­ture que subit et/ou réalise l’ac­teur, explique que la deux­ième chaîne de textes inter­calés dans CUERPO soient des cita­tions de POUR LOUIS DE FUNÈS, de Valère Nova­ri­na, sur la vio­lence psy­chique et physique que ressent l’ac­teur sur scène.


Un autre type d’ex­plo­ration de la rela­tion théâ­trale entre l’ex­péri­ence et le cor­porel fait par­tie de ce que l’on a appelé le texte-action, où les mots par­courent et met­tent en œuvre l’al­liance entre un empirisme ou un réel bru­tal et le rêve et l’imag­i­naire. C’est le cas de HOMBRE CON PIE SOBRE UNA ESPALDA DE NIÑO4, (Homme avec un pied sur le dos d’un enfant), de Juan Clau­dio Bur­gos, lequel, à tra­vers un exer­ci­ce exac­er­bé de la parole, ren­voie au moment psy­chique où se fondent la sex­u­al­ité et le pou­voir, entre délire mys­tique et dis­sec­tion détail­lée et sen­sorielle du corps factuel. Le réc­it de la per­cep­tion de ce pied d’homme sur le dos de l’en­fant dans une ambiance sacrée prob­lé­ma­tise l’am­biguïté de le sen­tir soit comme une agres­sion humiliante et abu­sive, trau­ma­ti­sante, soit comme l’ac­com­plisse­ment du désir obscur d’une ini­ti­a­tion éro­tique homo­sex­uelle. Face à la présence absente des par­ents — d’une mère qui ne voit pas ce qu’elle ne veut pas voir, et de la présence omnipo­tente du père -, ce pied représente finale­ment la botte mil­i­taire, dans un saut métaphorique allant du privé au pub­lic, qui mar­que le con­texte biographique, his­torique et poli­tique de l’au­teur.

Recréa­tion de péri­odes trau­ma­tiques de l’his­toire col­lec­tive

Le théâtre du début de ce siè­cle est revenu sur d’an­ciens mar­tyrs col­lec­tifs, par exem­ple, dans la pièce 1907, SANTA MARIA DELAS FLORES NEGRAS(, Sainte Marie des fleurs noires), de la Com­pag­nie Pato­gal­li­na, tirée d’un roman his­torique de Rivera Lete­lier autour de la bru­tale tuerie de mineurs du salpêtre et de leur famille au début du XXe siè­cle dans le nord du Chili. Le théâtre de mar­i­on­nettes, la machiner­ie scéno­graphigue, les per­son­nages arché­typ­igues, la cadence imposée par la musique en direct qui rythme les mou­ve­ments con­ven­tion­nels des acteurs et des mar­i­on­nettes, don­nent au spec­ta­cle un car­ac­tère épique de grande enver­gure, en accord avec l’am­pleur de l’hor­reur racon­tée.

Les décen­nies antérieures au Coup d’É­tat Mil­i­taire de 1973, et les années immé­di­ate­ment postérieures attirent des jeunes qui n’ont pas vécu cette péri­ode et qui s’emploient à recréer le monde socio­cul­turel, per­son­nel et poli­tique des sujets et groupes soci­aux qui ont, de manière sig­ni­fica­tive, forgé l’his­toire chili­enne à par­tir d’une base sociale. Citons MACHASA, mise en scène par Guiller­mo Alfaro, qui abor­de le monde ouvri­er syn­di­cal­isé des grandes usines tex­tiles pen­dant l’a­pogée du mou­ve­ment pop­u­laire des années 1960 et 1970, et LICEO A‑73, de l’U­ni­ver­sité Arcis, mise en scène par Cristián Soto, qui se penche sur le milieu étu­di­ant pen­dant les années les plus autori­taires et répres­sives de la dic­tature. Ces pièces sont basées sur des doc­u­ments et sur une com­pi­la­tion de témoignages de pre­mière main qui réac­tu­alisent la mémoire col­lec­tive.

Il y a un cer­tain nom­bre de pièces qui s’ar­tic­u­lent autour de per­son­nes repérables dans l’his­toire proche ou passée, sou­vent des icônes ancrées dans l’imag­i­naire nation­al, lati­no-améri­cain ou mon­di­al. Dans cette ligne théâ­trale, on trou­ve des œuvres majeures comme LA HUIDA, (La Fuite), d’An­drés Pérez, 2001, à cheval sur le témoignage per­son­nel, la dénon­ci­a­tion et l’hom­mage à d’autres sujets de la répres­sion d’é­tat, comme les homo­sex­uels assas­s­inés sous le gou­verne­ment de González Videla (1949) pen­dant la chas­se aux sor­cières plané­taire mise en place pen­dant la guerre froide (mac­carthysme et stal­in­isme). Citons égale­ment la pièce TENGO MIEDO TORERO, (J’ai peur torero), du col­lec­tif Chilean Busi­ness, basée sur le roman auto­bi­ographique de l’écrivain Pedro Lemebel, qui témoigne de l’ex­péri­ence d’une autre mar­gin­al­i­sa­tion sous le régime mil­i­taire, celle des minorités sex­uelles.

Manuela Oyarzun et sa com­pag­nie Teatro del Hijo, par­ticipe de cette ten­dance avec LA MUJER GALLINA, (La Femme poule), basée sur l’his­toire réelle d’une femme enfer­mée pen­dant des décen­nies dans un poulailler, où elle avait vécu dans une grande indi­gence affec­tive, phys­i­ologique et matérielle, révélant ain­si l’ex­is­tence d’une cul­ture de la cru­auté et d’ex­ter­mi­na­tion per­verse de l’autre. Un autre tra­vail con­siste à pren­dre des per­son­nages de fic­tion lati­no-améri­cains pour recréer des sit­u­a­tions, des ambiances et des per­son­nages avec une forte charge mag­ique et ou ter­ri­fi­ante comme dans AL ÜTROLADODELMURO,(De l’Autre Côté du mur), mise en scène de Fabi­o­la Mat­te et basée sur le con­te LA GALLINA DEGOLLADA, (La Poule égorgée), de Hora­cio Quiroga, où une fil­lette est assas­s­inée par ses frères défi­cients men­taux.

En ce qui con­cerne les fig­ures his­toriques emblé­ma­tiques, JUANA, de Manuel Infante, est une bril­lante recréa­tion, à tra­vers le théâtre dans le théâtre, du drame de la foi de Jeanne d’Arc impliquée dans une guerre intes­tine aux tortueuses straté­gies de pou­voir, et CONFESIÓN LÛCIDA DE MOTIVOS, (Con­fes­sion aux raisons lucides), mise en scène d’E­d­uar­do Luna, se penche, à tra­vers une expres­sion artau­di­enne qui adopte les modal­ités du théâtre de Peter Weiss, sur l’époque et la fig­ure sac­ri­fi­cielle de Marie Stu­art.

Rompre et ren­dre hybrides une mul­ti­tude de référents, voilà la manière de sug­gér­er plus que de décrire ou de racon­ter ces locus soci­aux et his­toriques, qui per­met de fil­tr­er la sub­jec­tiv­ité, la mémoire de cha­cun, les icônes iden­ti­taires, la rue et la ville et, bien enten­du, une grande métaphore col­lec­tive du pays et de l’ère pose-mod­erne qui exclut les sub­al­ternes, les mar­gin­aux et tous les êtres dif­férents.

Spec­tac­u­lar­i­sa­tion satirique de la post-dic­tature néo-libérale et de la mon­di­al­i­sa­tion 

Une pléi­ade de pièces ren­voie au con­texte politi­co- cul­turel des années 2000, à la société de con­som­ma­tion mon­di­al­isée et à la poli­tique du con­sen­sus et des trans­ac­tions de l’actuelle démoc­ra­tie. Dépas­sant le sché­ma­tique avant/ après la dic­tature mil­i­taire et ses axes binaires bien/ mal, la pose-dic­tature se pense à par­tir de la dic­tature en ter­mes de con­ti­nu­ité en ce qui con­cerne la manip­u­la­tion des corps et des idéolo­gies. On affine la cri­tique de l’im­pos­ture et de la vio­lence cul­turelle et fac­nielle, qui véhicule d’autres (les mêmes) trahisons et abus con­tre le plus faible (eth­nique, social, généra- tion­nel, sexo-générique ).

La pro­lifique et bril­lante pro­duc­tion dra­maturgique de Ben­jamin Galemiri, mise en scène aux débuts par la com­pag­nie El Bu/on Negro, développe une satire implaca­ble et ironique con­tre la séduc­tion amoureuse de per­son­nages en crise d’i­den­tité et oppressés par une société néo-libérale, dans laque­lle les suc­cès sex­uel, financier et intel­lectuel sym­bol­isent la puis­sance phallique. Les masques et le jeu dis­lo­qué de ces per­son­nages, qui atteignent des lim­ites déli­rantes, s’in­scrivent dans une réflex­ion que mène l’au­teur sur son écri­t­ure et sur la mise en scène de celle-ci. Par­mi les pièces les plus représen­ta­tives, on peut citer DÉJA LA SANGRAR, (Laisse-la saign­er), créée au Teatro Nacional de la Uni­ver­si­dad de Chile, et INFAMAN TELECTRA, créée au Teatro Camino, mise en scène de Raul Ruiz, ain­si que ELNEO-PROCESO (2006), créée au Teatro de la Uni­ver­si­dad Católica.

L’ère de la Con­cer­ta­tion est aus­si en ligne de mire de la cri­tique. Par­ti­c­ulière­ment intéres­sante, la pièce LA MARIA COCHINA TRATADA EN LIBRE COMERCIO, (Marie la cochonne traitée en libre com­merce), porte sur la mon­di­al­i­sa­tion qui envahit le monde agri­cole à tra­vers une comédie musi­cale écrite et mise en scène par Cris­t­ian Soto. Dans ce type de pièces, la par­o­die déchaînée et déli­rante prime sur les autres gen­res de l’in­dus­trie cul­turelle et du diver­tisse­ment des mass­es : la cita­tion et le con­tre-emploi sont un recours trans­textuel de con­nex­ion avec d’autres gen­res fic­tion­nels qui font par­tie de notre imag­i­naire com­mun, inclu­ant le kitch, le mélo­drame, les icônes urbaines, les gestes généra­tionnels hyper­bolisés, satirisés, iro­nisés, exagérés, menés jusqu’aux lim­ites de l’ab­surde et présen­tant une exagéra­tion redon­dante de cer­tains élé­ments ( thriller, jeux vidéos), dans une spi­rale kafkaïenne, ou mieux, borgési­enne qui, mal­gré un pas­sage par la fête, se ter­mine inévitable­ment par la mort et l’as­sas­si­nat.

À une échelle moins épique, la vie de l’homme urbain moyen, de l’employé, dans ses espaces rou­tiniers, dans ses échecs, laideurs et tru­cu­lences intrigue le théâtre. Ce monde est abor­dé à nou­veau à tra­vers la tra­gi-comédie, l’ex­cès et le kitch stri­dent, où la prise de risque est impor­tante. Par­mi les œuvres représen­ta­tives, on trou­ve MANODEOBRA,(Main d’œu­vre), basée sur un roman de Diamela Eltit et mise en scène par Alfre­do Cas­tro. La Com­pag­nie La Maria, dirigée par Alex­is Moreno, présente une dra­maturgie qui explore les mythes urbains et trou­ve sa matrice dans les gen­res pop­u­laires cités et satirisés : SUPER HÉROES, EMPLEADOS PÛBLICOS et TRAUMA, un mélo­drame noir ou de ter­reur dans une ambiance famil­iale, trait­ent ces milieux d’une manière plus humoris­tique mais tout aus­si caus­tique. Le sui­cide men­ace comme cli­max trag­ique de la société hyper indus­trielle, déshu­man­isée et de la
surabon­dance vide de sens : c’est le thème prin­ci­pal de NARCISO, de Manuela Infante, à tra­vers un jeu pré­cis de miroirs, ou, en ter­mes futur­istes, de la pièce SANTIAGO HIGH-TECH, de Cris­t­ian Soto. Un autre thème est celui de la vie urbaine inquié­tante qui ne con­duit plus au sui­cide mais à l’ac­tion du corps dans sa plus haute expres­sion de l’in­tim­ité (VIDA DEOTROS, La Vie des autres, de Ana López),avec des pro­thès­es de haute tech­nolo­gie qui annu­lent cru­elle­ment et cynique­ment la fron­tière entre ce que l’on garde pour soi et ce que l’on expose, entre l’au­todéfense et la douleur, entre le déguise­ment qui cache et l’ex­hi­bi­tion­nisme qui place l’in­di­vidu impi­toy­able­ment au cen­tre du spec­ta­cle.

Il faut ajouter que beau­coup de groupes de cette nou­velle généra­tion ouvrent des espaces théâ­traux non con­ven­tion­nels, avec des scéno­gra­phies et des cos­tumes qui font allu­sion à la société de con­som­ma­tion en décom­po­si­tion, l’emploi de matéri­aux recy­clés qui mon­trent ce qu’ils sont : un pas­tiche aux cou­tures et assem­blages exposés osten­si­ble­ment. Ce sont des signes qui visent la per­for­mance sociale dom­i­nante à par­tir de la satire ou de la par­o­die ludique.

Il existe, dans ce théâtre réal­isé au Chili au début des années 2000, un pont entre le témoignage per­son­nel, qui asso­cie l’i­den­tité de l’ac­teur et du créa­teur au réc­it et au pub­lic, et une expéri­ence cor­porelle totale qui mêle réal­ité et fic­tion et dont les mécan­ismes théâ­traux sont à vue : il n’y a pas de trucage, tout est exposé.

Dans l’in­ter­stice entre réel et fic­tion, entre cita­tion cul­turelle et sens com­mun, entre styl­i­sa­tion épurée et surabon­dance grotesque, nous sommes face à un théâtre forte­ment poli­tique et esthé­tique. Le théâtre chilien con­tem­po­rain éla­bore son his­toric­ité à par­tir de lan­gages théâ­traux hyper­boliques, inclu­ant par là même le théâtre comme une autre pra­tique mar­quée par son his­toric­ité dont il faut éla­bor­er et recon­stru­ire à tra­vers la cri­tique sa manière de re-présen­ter la représen­ta­tion.

Traduit de l’es­pag­nol par Antoine Rodriguez

  1. Voir Leslie Dam­a­s­ceno, 2003, « The ges­tu­al arto of reclaim­ing utopia : Dense Stok­los at play with the Hys­ter­i­cal- his­tor­i­ca », in Holy cer­rors, Latin Amer­i­can women per­form, ed by Diana Tay­lor et Rose­lyn. ↩︎
  2. Actuelle­ment, on compte 26 écoles uni­ver­si­taires à San­ti­a­go et dans les régions, sans compter les nom­breux insti­tuts pro­fes­sion­nels non-uni­ver­si­taires. ↩︎
  3. Insti­tu­tion­nelle­ment on a assisté à la mise en pra­tique de poli­tiques d’inci­ta­tion à l’ac­tiv­ité théâ­trale : con­cours du Con­se­jo de la Cul­tura pour créa­tions, recherche, infra­struc­tures, etc., Con­cours de dra­maturgie de la Secr­erar­fa Gen­er­al de Gob­ier­no, ouver­tures de salles dans des com­munes et cen­tres cul­turels, etc. ↩︎
  4. Tex­tepub­lié dans Revis­ca Apuntes n° 126 – 127, San­ti­a­go : Escuela de Teacro PUC, Espe­cial 2005, p. 135 – 144. ↩︎
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Écrit par María de la Luz Hurtado
Maria de la Luz Hur­ra­do Meri­no est licenciée en soci­olo­gie. Elle s’est spécialisée en théorie et his­toire de...Plus d'info
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