Pannes de mémoire et espoirs techniques
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Pannes de mémoire et espoirs techniques

Le 29 Juil 2006
Article publié pour le numéro
Aller vers l'ailleurs-Couverture du Numéro 89 d'Alternatives ThéâtralesAller vers l'ailleurs-Couverture du Numéro 89 d'Alternatives Théâtrales
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De l’ailleurs le théâtre éprou­va l’attrait à retarde­ment, bien après la pein­ture ou la musique, mais lorsqu’il se pro­duisit il eut le pou­voir d’une défla­gra­tion. Un nou­v­el hori­zon, imprévis­i­ble et inespéré, s’ouvrait. Nous n’allons pas refaire le chem­ine­ment de ce long processus…d’autres l’ont suivi dans les moin­dres détails. En par­ti­c­uli­er en Ital­ie Nico­la Savarese, en Amérique de très nom­breux chercheurs, en France, moi aussi…mais, en guise de pro­logue, il fal­lait rap­pel­er cet éblouisse­ment pre­mier.

Ce sont les tournées des artistes ori­en­taux que se trou­vent à l’origine de la décou­verte
qui boulever­sa tant d’hommes de théâtre de Lon­dres, Moscou ou Paris. L’ailleurs c’est en
l’Europe que l’on ren­con­tra, mais son impact s’explique par la réponse qu’il appor­ta à la
cri­tique implicite exer­cée par des révoltés qui, enfin, trou­vaient des appuis con­crets, des
con­fir­ma­tions et out­ils. Sada Yac­co, danseuse japon­aise qui présen­ta les pre­mières bribes,
per­ver­ties et impures, de kabu­ki, se trou­ve à l’origine de la révéla­tion d’un lan­gage autre.
De Craig qui l’a saluée avec ent­hou­si­asme à Mey­er­hold qui a avoué la fas­ci­na­tion qu’elle
exerça sur lui, la scène européenne toute entière assim­i­la son appari­tion à un événe­ment
hors-pair. Plus tard, des tournées de vrai kabu­ki sont venues con­firmer le choc pre­mier et
l’école russe ou alle­mande ont com­men­té les per­for­mances de Ichikawa Sadon­ji et sa
troupe. Ensuite le théâtre bali­nais présent en 1931 à l’Exposition uni­verselle de Paris servit
à la cristalli­sa­tion du dis­cours d’Artaud sur le théâtre de même que le célèbre acteur chi­nois
Mei Lan fang a pro­duit en 1935, à Moscou, un choc sur des artistes aus­si impor­tants
qu’Eisenstein, Brecht ou Mey­er­hold. Leur esthé­tique et leurs réflex­ions por­tent la mar­que
de cette révéla­tion. Elle s’est accom­plie sur fond d’attente et d’insatisfaction cri­tique. C’est
pourquoi l’Orient leur a par­lé…

Le théâtre ori­en­tal, dans un pre­mier temps, est apparu comme le prin­ci­pal appui dans la
rébel­lion anti-nat­u­ral­iste menée par des met­teurs en scène qui con­tes­tent l’assimilation du
théâtre à un reflet mimé­tique de la vie défendue par le Théâtre Libre d’Antoine ou le
Théâtre d’Art de Stanislavs­ki et Dantchenko. Les comé­di­ens chi­nois, japon­ais ou bali­nais
se mon­trent en pos­ses­sion d’un lan­gage pro­pre, codé et élaboré pour la scène : ils
représen­tent une alter­na­tive à la dom­i­na­tion du nat­u­ral­isme auquel, de Craig à Mey­er­hold,
tant d’artistes ten­tent de s’opposer. L’Orient est un allié stratégique. Il sert dans le procès
inten­té à la scène occi­den­tale.

Un con­stat relie ces pris­es de posi­tions, il con­cerne les pannes de mémoire du théâtre
européen qui, tous le déplorent, n’a pas su assur­er une trans­mis­sion cor­recte de ses
tra­di­tions de jeu. “ Le pont ” est brisé et seules per­durent les habi­tudes récentes dom­inées
par la pri­or­ité de la phy­s­ionomie et “ le geste de bois ”. Un ramas­sis de stéréo­types
étrangers aux pou­voirs plas­tiques et physiques du lan­gage théâ­tral que l’Orient a su
préserv­er et qu’il expose face aux met­teurs en scène éblouis. Ils décou­vrent des “ langues ”
anci­ennes de la scène, ici per­dues et là-bas con­servées. Elles répon­dent au déficit
mné­monique pro­pre à la scène occi­den­tale.

L’Orient, dans ces pre­miers temps, cap­tive pour toutes les ressources tech­niques dont
ses acteurs dis­posent. Ils en sont les héri­tiers, chargés de leur trans­mis­sion impec­ca­ble
mais en même temps ils assurent leur exer­ci­ce par­fait au présent. Exer­ci­ce où se
con­fondent beauté et maîtrise des signes. Vic­toire de la théâ­tral­ité assumée et exposée. En
effet c’est elle qui cap­tive les met­teurs en scène sous le choc de sa splen­deur, mais ils
savent aus­si qu’elle s’appuie sur les ressources d’un lan­gage longue­ment appris que seul
l’entraînement pro­longé per­met d’acquérir. Dès lors, l’Orient se con­sti­tua en appel au corps
dont l’acteur occi­den­tal était désor­mais voué à exploiter et cul­tiv­er les ressources. L’Orient
fut d’emblée assim­ilé à une invi­ta­tion au tra­vail de for­ma­tion tech­nique.

L’ailleurs ori­en­tal a été, dans les pre­miers temps, assim­ilé à un ter­ri­toire du théâtre en
tant qu’art en pos­ses­sion de moyens pro­pres ayant une mémoire et exigeant un grand effort
pour se les appro­prier. C’est ce qui manque à la scène occi­den­tale, con­stat unanime des
met­teurs en scène en quête de forme. A par­tir du mod­èle ori­en­tal il s’agissait d’engager le renou­veau du théâtre européen. Ce fut le pro­logue auquel ont suc­cédé ensuite, à par­tir des
années 60, d’autres démarch­es plus ouvertes à l’au-delà de la tech­nique, aux pen­sées
ori­en­tales et à la vision de l’homme qu’elles com­por­tent. C’est ce dont par­le ici même
Monique Borie. Aujourd’hui les con­textes sont autres, les ren­con­tres opèrent sur un mode
dif­férent, mais l’ailleurs est tou­jours néces­saire. Le fes­ti­val d’Avignon con­firme cette
con­vic­tion et ses artistes invités, dans les entre­tiens accordés , décli­nent, expliquent,
avouent les motifs de cet attrait jamais assou­vi. Au-delà des tech­niques et des pen­sées c’est
plutôt d’une ren­con­tre des êtres qu’il s’agit. Mais peut-on les dis­soci­er ? Qu’apporte l’être
d’ailleurs…c’est la ques­tion !

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Portrait de George Banu
Écrit par Georges Banu
Écrivain, essay­iste et uni­ver­si­taire, Georges Banu a pub­lié de nom­breux ouvrages sur le théâtre, dont récemment La porte...Plus d'info
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