L’Afrique, un monde à soi
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L’Afrique, un monde à soi

Le 18 Juil 2006
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À FORCE de la fréquenter, Brook a érigé l’Afrique en un monde à soi. Il s’y sent bien, il aime cette com­mu­ni­ca­tion qui s’installe autour d’une nat­te, cette organ­i­sa­tion sim­ple qui fait de l’ar­bre situé au cœur de la place l’axe du monde, cette agi­ta­tion inlass­able où la sagesse des paroles alterne avec des con­flits casaniers tou­jours chargés d’un sens supérieur. Ce micro­cosme qui est le sien s’in­spire du réel sans vouloir en fournir le dou­ble iconique, c’est ce qu’il faut répon­dre à ceux qui reprochent à l’image pro­posée par Brook d’être trop idyllique. Il n’enregistre pas, il organ­ise une vision comme dans TIERNO BOKAR, son dernier spec­ta­cle, où son Afrique se charge des mêmes valeurs que les vil­lages mythiques de Cha­gall ou Kan­tor. Brook porte en lui cette Afrique où il retrou­ve, réu­nis, le brut et Le sacré, « le ciel et la merde », pour repren­dre une de ses plus explicites pro­fes­sions de foi, le vis­i­ble et l’invisible. L’Afrique, ter­ri­toire des con­tra­dic­tions, con­ti­nent de la magie préservée et de la famine chronique, est l’équiv­a­lent spa­tial de cet auteur dont Brook ne sera jamais dis­so­cié, Shake­speare. Et quoi de plus révéla­teur que le fait qu’il dis­tribue le même acteur, Sotigui Kouy­até, dans le rôle des deux sages, élis­abéthain et africain, Pros­pero et Tier­no. Ils se rejoignent grâce au gri­ot de génie. Sotigui, c’est le pili­er vivant de l’Afrique de Brook, Afrique shake­speari­enne.

Brook s’approprie un espace, il l’apprivoise et le fait sien sans pour autant appos­er sa sig­na­ture. C’est certes son Afrique, mais sans qu’elle appa­raisse comme telle, Afrique placée sous le signe de l’anonymat. Un monde à soi sans qu’il en ait l’ap­parence. Il en est l’auteur mais, tel un vieux pein­tre chi­nois, il a dis­paru dans le paysage qui pour­tant préserve la trace de sa présence, de son pas­sage. Et dans ce sens, l’Afrique de TIERNO BOKAR tient de la mémoire autant que de l’ou­bli : c’est un con­cen­tré. Une con­struc­tion men­tale, un Com­bray imag­i­naire, un Viteb­sk fréquen­té, un Wielo­pole inté­gré. Afrique de tous les con­traires réu­nis.

Brook aime l’Afrique car on ne s’y trou­ve jamais seul et, pour lui, c’est dans la com­mu­nauté que la vie s’accomplit. Comme au théâtre. Cette social­ité-là l’attire et le cap­tive : vivre à plusieurs, vivre ensem­ble. C’est le pro­pre même de tout met­teur en scène, apti­tude sans laque­lle il restera à jamais un étranger, un nos­tal­gique de ces activ­ités soli­taires si dis­tinctes de « la mêlée » d’une équipe dont les mem­bres s’en­ga­gent dans une aven­ture com­mune. Aven­ture de groupe con­fi­ant dans le guide qui « avance dans l’ob­scu­rité ». Obscu­rité de l’espace qui se dévoile ou de la mémoire qui se décou­vre. C’est sans doute ce qui explique pourquoi LA CONFÉRENCE DES OISEAUX, oiseaux par­tis sous la direc­tion de la Huppe vers le Symorg, leur roi inac­ces­si­ble, restera le spec­ta­cle le plus auto­bi­ographique de Brook. Depuis, il a déposé les ori­peaux séduisants du théâtre pour s’ap­procher de cette goutte de rosée dans laque­lle se reflète le monde dans toute sa diver­sité qu’est l’Afrique de son ultime spec­ta­cle, TIERNO BOKAR. À par­tir des Afriques tra­ver­sées, il a fini par en con­stituer une, con­crète et pro­jetée, Afrique per­son­nelle, Afrique néces­saire. Brook n’a pas quit­té le théâtre pour pour­suiv­re sa recherche au loin, mais il a cher­ché refuge dans cette Afrique à laque­lle sans cesse il revient.

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