TOUT DÉBUT prend le sens d’une irruption dans le monde. Il tient de la nécessité individuelle d’accès à l’expression, mais au théâtre elle s’accompagne d’un dialogue avec le contexte d’une époque et la constellation des multiples déterminismes qui entravent ou favorisent cet acte de naissance toujours partagé. Dans notre assertion«Débuter aujourd’hui »,deux termes se relayent puisqu’il s’agit de commencement, mais rattaché à l’actualité et à son paysage agité. Comment advenir au théâtre, non pas en général mais maintenant, aujourd’hui, ici même ? Comment déjouer les obstacles et trouver des appuis, comment se livrer sans se trahir, comment naître dans le présent sans compromettre l’avenir ? Les questions sont légion.
Et nous allons essayer de les soulever, convaincus que nous sommes que la vérité du début ne peut surgirque de l’expérience d’un débat à plusieurs. Afin que chacun parle de ce territoire de l’inquiétude, au nom de son propre désir de certitude. Débuter, c’est la question !
Le début est un avènement au monde, du théâtre en l’occurrence, et aussi une rédemption du même monde. Le début concerne aussi bien l’artiste et sa compagnie que la réalité du paysage qu’ils modifient parleur arrivée. Le début mérite d’être pensé dans cette double perspective.
Il y a le « début-événement »,il y a le « début-processus ». Manières distinctes de s’imposer, mais aussi d’évoluer. Modes personnalisés pour affirmer une identité et assurer une continuité. Le « début-événement » a à voir avec une apparition, le « début-processus » avec une évolution. Pareil contraste reste seulement mental, car rares sont les exemples purs, et le plus souvent ces extrêmes se métissent… Cela ne nous empêchera pas de distinguer entre la fulgurance et la persistance. Entre le choc du REGARD DU SOURD, début mythique de Wilson, et la constitution progressive d’une personnalité jusqu’au moment où elle parvient à conclure ce qui a été testé, amorcé, éprouvé à travers plusieurs essais. « C’est en marchant que la voie se trace », dit un proverbe chinois que certains artistes font leur. Le « début-événement » produit une déflagration, mais en même temps il scelle une identité qui, le plus souvent, finit par se replier sur cette découverte initiale. À juste titre, dès lors que l’artiste a touché d’emblée sa vérité, comme un inouï tireur à l’arc ! « Si on pouvait vraiment avoir fait un début, ce serait inutile d’aller plus loin, parce que la fin est déjà contenue implicitement dans la réalisation du commencement »,disait Giacometti. L’autre manière d’advenir implique le tâtonnement et la maturation. Si le « début-événement » court le risque de l’emprisonnement, le « début- processus » en encourt un autre, celui de l’effritement, s’il ne parvient pas à la cristallisation indispensable à toute passion, amoureuse ou théâtrale. Elle seule atteste l’accomplissement du début-processus…comme 1789 pour Mnouchkine, TRAVAIL À DOMICILE pour Lassalle ou encoreLA CLASSE MORTE pour Kantor, artiste qui entrait dans l’automne de sa vie. Le début marque alors l’accession à une identité enfin trouvée ou reconnue.
Parler du début implique une interrogation sur soi-même autant que sur le monde d’accueil. Celui du théâtre en particulier, car il n’y à jamais ici de début entièrement solitaire. L’acte fondateur s’y trouve toujours au croisement du personnel et du collectif, du privé et du public. C’est pourquoi le début suppose aussi une réflexion sur la capacité de constituer une équipe, d’animer un réseau, de s’enraciner dans un territoire. Le début au théâtre reste indissociable de ces paramètres dont la maîtrise confirme l’existence d’une personnalité aussi bien que d’une communauté étroitement associées. Parler de leur alliance est impératif.