Il est évident que ce titre paraphrase le célèbre La jeune fille et la mort, œuvre de Schubert écoutée du temps où je déclinais quotidiennement, avec une certaine complaisance, le motif du jeune homme et la mort. Les mots et surtout les notes résonnent encore en moi comme les échos d’une des complaintes les plus graves… tout est retenu et mélancolie ici, tandis que dans Le Roi se meurt tout est exposition clamée et cri surexposé. Bérenger meurt sans pudeur… mais n’est-ce pas justement ce que Lessing considérait comme étant la grandeur des Grecs qui, eux, osaient pleurer et déplorer le sort qui les frappait, tandis que les Romains s’imposaient, au contraire, le silence du destin assumé. Aujourd’hui j’entends Schubert et je lis Ionesco ! Pourquoi ? Parce que Silviu Purcarete souhaite s’attaquer à cette pièce qui, jusqu’à peu de temps, me semblait lui être totalement étrangère et j’essaie de comprendre sa motivation.
Pourquoi le fait-il maintenant ? Simple hasard ? Décision arbitraire ? Je comprends, après avoir vu et revu son Faust, œuvre-somme, qu’ainsi s’amorce un nouveau cycle, celui du metteur en scène et la mort. Le Roi se meurt s’inscrit, pour Purcarete, metteur en scène, dans la filiation goethéenne. Lui, l’épicurien, séduit jusqu’alors par Rabelais, commence à s’en séparer pour s’interroger justement sur la meilleure manière de partir, sur ce qu’elle comporte comme panique et préserve comme… « théâtralité ».
Lui, qui a mis en scène Faust comme une œuvre testamentaire où les destins du protagoniste et du théâtre se confondent avec un éclat particulier, s’attaque maintenant à Le Roi se meurt où, sur fond de crainte exacerbée, Ionesco, de même, dépourvu du moindre esprit d’économie, mobilise tous les moyens du théâtre. Et c’est ce qui, sans doute, attire Purcarete qui, en montant Le Roi se meurt, souhaite se confronter à la mort sur fond de confiance accordée encore au théâtre… voilà ce qui me semble faire la jonction entre le grand projet faustien déjà accompli et l’autre, ionescien, à venir.
Nous suivrons avec intérêt le dialogue entre les deux œuvres placées sous le signe de la fin dont Purcarete sait déployer les fastes scéniques sans jamais écarter la peur qu’elle implique. La mort est là, mais le théâtre ne s’est pas encore évanoui. Lui qui a su goûter à sa sensualité du monde n’entend pas l’abandonner lorsque la vie arrive à son terme, bien au contraire, elle persiste, preuve d’amour implicite pour le théâtre malgré les menaces qui pèsent sur les êtres mis en scène.
Faust meurt en paix comme un roi enfant et le Roi, je pense, va mourir comme un… Faust. Entre les deux, cet intermédiaire qu’est le metteur en scène qui avoue ses propres craintes par le détour des textes et des héros. Mais, nous le savons, ses choix d’aujourd’hui font sens car ainsi Purcarete envoie des messages qu’il nous invite à décrypter. Quoi de plus séduisant que l’examen des confessions à moitié explicites ? C’est ce que j’ai compris le jour où, sur un marché dégorgeant de jeunes filles en Beurs, j’ai entendu Silviu murmurer : « Regarde-les et nous mourrons ! ».
Il les a réunies toutes dans l’image de Marguerite que Faust ne parvient plus à individualiser et, en même temps, il avouait alors, implicitement, que, pour lui, le temps de Le Roi se meurt était venu. Moi, je l’attends.
1Au commencement était… la verve de Raoul Ruiz. Une proposition ironique – voire même un private joke – faite par…