Georges Lavaudant « Je ne suis pas né dans le théâtre »
Non classé

Georges Lavaudant « Je ne suis pas né dans le théâtre »

Entretien avec Yan Ciret

Le 21 Oct 1998

A

rticle réservé aux abonné·es
Article publié pour le numéro
Débuter-Couverture du Numéro 62 d'Alternatives ThéâtralesDébuter-Couverture du Numéro 62 d'Alternatives Théâtrales
62
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

YAN CIRET : On ne débute pas aujour­d’hui comme on le fai­sait à la fin des années 60. Selon toi qu’est-ce qui a rad­i­cale­ment changé ?

Georges Lavau­dant : Il y a une sorte de para­doxe. Les insti­tu­tions mul­ti­plient aujour­d’hui les straté­gies pour aider les débu­tants et c’est en même temps incroy­able­ment plus dif­fi­cile de débuter. Quand j’ai com­mencé à faire du théâtre, lé paysage était ouvert. Mais si je n’ai pas éprou­vé de dif­fi­cultés, c’est aus­si parce que notre seule préoc­cu­pa­tion était de fab­ri­quer de l’art avec des amis sans souci de la durée. J’ai débuté à Greno­ble où il n’y avait que deux ou trois com­pag­nies théâ­trales. Il était alors pos­si­ble de com­mencer par nous réu­nir pour choisir quoi mon­ter, quel texte écrire, com­ment s’in­scrire dans la vio­lence poli­tique de l’époque, quels poètes nous voulions faire enten­dre sans d’abord pos­er la ques­tion du finance­ment. L’ar­gent on le trou­vait, un peu comme des gang­sters qui mon­tent des coups, rack­et­tent des hommes poli­tiques, mais ilfaut dire aus­si qu’à ce moment aucun de nous ne vivait du théâtre.

Y. C.: La nou­velle généra­tion a ten­dance à tou­jours se posi­tion­ner par rap­port à l’in­sti­tu­tion. À penser que seul son sou­tien per­met de les sor­tir de l’om­bre. Est-ce la seule optique envis­age­able ?

G. L.: Un spec­ta­cle ne se fait bien sûr pas indépen­dam­ment du con­texte dans lequel il est créé ; les moyens dont on dis­pose influ­ent sur l’objet qu’on façonne :le lieu de répéti­tions, les moyens octroyés, le théâtre où l’on va jouer. Mais le sou­tien des insti­tu­tions n’est pas le seul qui importe. Par­fois le sou­tien moral d’un allié que l’on estime, d’un pro­fes­sion­nel dont on respecte le juge­ment, compte davan­tage ; il donne la force de con­tin­uer et peut ouvrir d’autres hori­zons.

Y. C.: Au temps de tes débuts, la nou­velle généra­tion était con­tre l’in­sti­tu­tion. Il sem­blerait aujour­d’hui que l’a­vant-garde se soit alliée au marché, qu’elle se soit infil­trée dans toutes les sphères insti­tu­tion­nelles. Qu’en pens­es-tu ?

G. L.: Ce qui me plaît dans le théâtre, c’est Juste­ment sa capac­ité à entr­er dans une autre tem­po­ral­ité que celle que la société nous impose. Un spec­ta­cle, par son dis­cours, par­ticipe à la vie cul­turelle et en même temps y échappe : chaque soir, tout est à réin­ven­ter. Si l’ac­teur n’ou­vre pas cor­recte­ment le spec­ta­cle, ne dit pas sa pre­mière réplique avec justesse, alors tout s’écroule. Il n’y a pas d’in­stan­ta­néité. Le théâtre est un ralen­tis­seur de temps : il se fait lente­ment, il agit lente­ment sur les spec­ta­teurs. Ain­si il résiste aux lois de notre temps. C’est un art très archaïque, n’est-ce pas ? Il me sem­ble qu’un spec­ta­cle peut s’in­scrire dans un temps con­tem­po­rain, comme geste de rup­ture, tout en étant ali­men­té par cette espèce de mémoire qu’on peut cha­cun se réin­ven­ter dif­férente, cette fil­i­a­tion avec les anciens. Mais j’ai l’im­pres­sion ne n’avoir pas tout à fait répon­du à la ques­tion.

Y. C.: Ce que tu viens de dire me sem­ble très bien définir ton pro­pre tra­vail : ton geste artis­tique est rad­i­cal, mais il garde tou­jours un lien avec la mémoire du théâtre. À tes débuts as-tu jamais voulu rompre com­plète­ment avec le théâtre qui se fai­sait jusque là ?

G. L.: Je ne suis pas né dans le théâtre. Mon univers était peu­plé de gens comme John Coltrane, Jean-Luc Godard ou Jean-Marie Le Clézio. Je n’ai pas écrit d’ar­ti­cles qui attaquaient les directeurs de théâtre en place surtout que, à Greno­ble, l’un d’en­tre eux, René Lesage, m a ent­hou­si­as­mé par ses mis­es en scène de Beck­ett. Je n’é­tais pas dans la logique de l’af­fron­te­ment.

Y. C.: Pour­tant tu fai­sais par­tie de ces jeunes gens en colère qui voulaient chang­er le monde.

G. L.: La nou­velle Vague s’est élevée en Oppo­si­tion à « la qual­ité française » qui avait sclérosé le ciné­ma. Pour ces jeunes cinéastes, ce qui impor­tait n était pas le savoir-faire, mais que le ciné­ma donne une image vraie de la société dans laque­lle ils vivaient. Avec eux, un vent de lib­erté a souf­flé. Nous nous sen­tions proches de cette démarche. C’é­tait un peu avant 1968. Notre énergie était générée par ce sen­ti­ment que chang­er le monde était plus que jamais pos­si­ble.

Y. C.: Philippe Sollers m a un jour dit : « La pre­mière chose que je demande à un jeune écrivain, c’est s il déteste la société. » Crois-tu qu’au­jour­d’hui la jeune généra­tion est moins révoltée que la tienne ? Que deman­derais-tu à un jeune met­teur en scène qui viendrait te voir ?

G. L.: Il ne faut pas néces­saire­ment être une per­son­ne révoltée pour que son geste artis­tique soit vio­lent. On peut avoir une per­son­nal­ité con­formiste et pro­duire une œuvre sub­ver­sive. Je crois que la biogra­phie et les pris­es de posi­tion poli­tique d’un artiste sont sec­ondaires. Ce qui m importe, c’est d’être ému par un spec­ta­cle ; aus­si Je ne cherche pas à ren­con­tr­er les jeunes met­teurs en scène, n1 à con­naître leur par­cours avant d’avoir vu leur spec­ta­cle. Je me sou­viens du pre­mier spec­ta­cle de Tan­guy auquel j’ai assisté. Je n’avais jamais enten­du par­ler de lui aupar­a­vant. Et j’ai éprou­vé un réel choc dans cette petite salle où nous n’é­tions que cinquante spec­ta­teurs. Je trou­vais son tra­vail incroy­able et je suis allé immé­di­ate­ment à sa ren­con­tre.

Y. C.: Au moment où tu met­tais en scène LE ROI LEAR1, tu m’as dit que le spec­ta­cle ressem­blait au théâtre que tu voulais faire quand tu étais enfant. Comme si plus tu avançais plus tu te rap­prochais du début, de l’en­fance.

G. L.: Je ne sais pas si c’est volon­taire. Il vient un moment où l’on com­mence à maîtris­er un peu plus les moyens qui nous sont don­nés. Et en même temps que l’on en devient maître, on perd quelque chose, une petite mort plane. Après cette péri­ode J’ai ressen­ti la néces­sité de retrou­ver ce que le brio tech­nique avait fini par mas­quer : une émo­tion qui point à fleur des choses. Il faut alors avoir le courage de per­dre sa tech­nique, ce que des pein­tres comme Matisse ou Goya ont osé faire.

Y. C.: Tu arrives à l’essen­tiel.

G. L.: Je me suis sou­vent demandé ce qui fai­sait qu’un pre­mier spec­ta­cle marche. Je crois que dès les pre­miers spec­ta­cles exis­tent des élé­ments, encore bâtards, mal défi­nis, qui sont les ger­mes de tout ce qui est à venir. Proust écrit depuis qu’il est jeune, mais c’est seule­ment à l’âge de la matu­rité qu il trou­ve son écri­t­ure. C’est cela que je trou­ve boulever­sant dans les pre­mières œuvres : retrou­ver les ger­mes d’un style. Tout jeune Picas­so copie avec brio toutes les toiles de maîtres qu’il admire. Mais ses copies sont déjà du Picas­so.

Y. C.: Dans tes pre­miers spec­ta­cles as-tu ressen­ti le besoin d’im­pos­er une esthé­tique ?

G. L.: Je n’ai jamais été seul. J’ai com­mencé à plusieurs. Nous étions tout un groupe avec par­ti­sans et la réflex­ion esthé­tique n’é­manait pas d’un seul. Nous étions ani­més du désir de ne pas se con­former au des­tin triste que Greno­ble sem­blait nous avoir pré­paré. Nous ne voulions pas devenir ingénieurs, pro­fesseurs, mais réus­sir à dire la poésie qui était en nous. C’é­tait vital.

Y. C.: Entr­er dans le monde du théâtre, c’est pass­er d’une famille à une autre. As-tu le sen­ti­ment d’avoir rompu avec un milieu social, de t’être affranchi du milieu dont tu étais issu ?

G. L.: En prenant le chemin du théâtre, je me suis, il est vrai, éloigné de ma famille orig­inelle pour me rap­procher des gens de la troupe que nous formions. Mais je n’ai jamais cessé de voir mes par­ents et mes frères. Nous avons tou­jours eu des rap­ports sans con­flit.

Y. C.: Ta car­rière est faite de plusieurs débuts. Après avoir com­mencé dans la mise en scène, tu te mets à écrire. Tu con­nais alors un deux­ième début, un début d’écrivain.

G. L.: Je ne le vois pas comme ça. Je crois avoir tou­jours eu envie d’être romanci­er. Et dans le fond, je me suis un peu servi du théâtre pour écrire des romans à plusieurs. Des romans dont la matière-même est la vie. Même si l’on s’en invente trois ou qua­tre, même si l’on est men­songer à la manière de Felli­ni. Ce que j’ai tou­jours eu envie de faire enten­dre, c’est une sorte de jour­nal de bord où sont mon­trées les con­tra­dic­tions à la fois per­son­nelles et sociales qui nous tra­versent.

Y. C.: Pourquoi avoir com­mencé si tard à écrire ?

A

rticle réservé aux abonné·es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte 1€ - Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Non classé
4
Partager
auteur
Écrit par Georges Lavaudant
Georges Lavau­dant com­mence le théâtre à Greno­ble. Il devient codi­recteur du Cen­tre Dra­ma­tique Nation­al des Alpes en 1976,...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Débuter-Couverture du Numéro 62 d'Alternatives Théâtrales
#62
mai 2025

Débuter

Précédent
20 Oct 1998 — GEORGES BANU: Le début de votre travail en tandem coïncide avec la constitution d'une compagnie, la Compagnie Deschamps et Deschamps…

GEORGES BANU : Le début de votre tra­vail en tan­dem coïn­cide avec la con­sti­tu­tion d’une com­pag­nie, la Com­pag­nie Deschamps et Deschamps en 1979. Vous formez donc une troupe. Jérôme Deschamps : Il n’y a rien de pire…

Par Eloise Tabouret
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total