Lettre à Bernard Dort

Lettre à Bernard Dort

Le 12 Oct 2006

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Couverture du Numéro 90-91 - Marc Liebens
90 – 91
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Nieu­port, le 26 décem­bre 1979

Cher Bernard Dort,

Ces quelques mots con­stituent-ils encore une let­tre ? Oui, parce que j’ai envie de vous les faire par­venir… Vous n’avez pas le temps de pour­suiv­re cette cor­re­spon­dance et je le regrette, car elle n’est pas fausse, croyez-moi. Nous auri­ons pu tenir deux dis­cours : vous, avec votre con­nais­sance de Shake­speare et de Brecht ; moi, avec ma sen­si­bil­ité à ce texte-ci, pré­cisé­ment. Pourquoi faudrait-il que l’on se pose des ques­tions dont l’autre ait la réponse ? Pourquoi faudrait-il que l’on par­le du même lieu et que l’on tienne le même lan­gage ? Ham­let et Ophélie sont, chez Müller, cha­cun dans leur(s) théâtre(s), et pour­tant, ils sont bien dans le même texte.

J’aurais aimé que l’on par­le davan­tage de cette annu­la­tion par Müller, l’une par l’autre, de la grande visée his­torique et de la déri­sion théâ­trale — il achève un théâtre ou il en invente un nou­veau ? — en rela­tion, sans doute, avec ce désir et cette peur d’un grand change­ment, et de la ques­tion de savoir quelle part l’homme y prend.

Mais il est un peu inutile d’entamer des dis­cus­sions. Donc, gar­dons nos dis­tances, restons dans nos pro­pos.

En ce qui me con­cerne, j’avais envie de vous par­ler de cette deux­ième voix qui se joue en deux frag­ments : « L’Europe de la femme » et « Furieuse attente dans l’armure ter­ri­ble des mil­lé­naires » ; ce fameux per­son­nage féminin qui con­tin­ue de s’appeler Ophélie, mais qui, à la fin, se présente comme Élec­tre qui par­le.

Il y a, dans Ham­let-Machine, une voix qui ne joue pas du tout Ham­let — ce qui ne veut pas dire qu’elle ne joue pas du tout Shake­speare — qui ne se pose plus/pas la ques­tion. Elle n’a gardé d’Ophélie que le nom, elle a entière­ment vidé le per­son­nage de sa sub­stance et de sa fonc­tion. For­cé­ment, le per­son­nage de Shake­speare n’est vrai­ment plus d’aucune util­ité pour la femme con­tem­po­raine qui refuse de se sui­cider, même avec des moyens mod­ernes (l’overdose, la cuisinière à gaz, etc.). Il n’y a guère, dans l’histoire, dans la lit­téra­ture, dans le théâtre, un mod­èle par rap­port auquel elle pour­rait se situer, dans, con­tre, hors. La femme sans his­toire, la femme sans parole, la femme sans théâtre…

Le pre­mier frag­ment, « L’Europe de la femme », n’est tra­ver­sé par aucune référence à aucune théâ­tral­ité. Pas de jeu, pas de mythe, pas d’histoire, pas de réflex­ion.

Elle ne dit que des actions con­crètes qui s’épuisent dans le sim­ple fait de s’énoncer. Pour Ophélie, la ques­tion ne se pose pas d’être ou de ne pas être : elle fait, c’est tout. Toute entière dans ces actions, dans cette série de gestes qui sem­blent suf­fire à la définir à ce moment-là de la pièce. Rien avant, rien après, rien au-dehors (sauf le cri du monde, que l’on appelle). Le lan­gage la recou­vre, elle sat­ure le théâtre.

« Je suis seule… Je détru­is les instru­ments de ma cap­tiv­ité… J’ouvre grand les portes… Je sors dans la rue… »

Paroles sim­ples, élé­men­taires, qui ne racon­tent rien d’autre que ce qu’elles dis­ent.

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Écrit par Michèle Fabien
Michèle Fabi­en est l’au­teur de plusieurs textes de théâtre : JOCASTE, NOTRE SADE, SARA Z, TAUSK, CLAIRE LACOMBE, ATGET...Plus d'info
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