« J’aime que le mot soit au milieu du spectateur et du comédien »
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« J’aime que le mot soit au milieu du spectateur et du comédien »

Entretien avec Laurence Vielle

Le 16 Oct 1998
À QUOI RÉVONS-NOUS LA NUIT? de Olivier Besson. Photo Theresa Murphy.
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FABIENNE VERSTRAETEN : Com­ment es-tu arrivée à la mise en scène ?

Lau­rence Vielle : Ce n’est pas très clair, J’ai du mal à me dire : je suis met­teur en scène où je suis comé­di­enne ou je suis auteur. Quand j ai ter­miné mes human­ités, j’avais envie d’être réal­isatrice. C’é­tait une cer­ti­tude. J’écrivais des scé­nar­ios de courts métrages. Je ne me suis pour­tant pas lancée directe­ment dans cette voie : les choses sont venues d’elles-mêmes et peu à peu sans que je n’aie jamais fait de choix décisif. Le théâtre comme l’écri­t­ure ont tou­jours été liés à ma vie : je fais du théâtre depuis toute petite et dès que j’ai su écrire, j’ai fait des poèmes. J’ai com­mencé par suiv­re un par­cours sage : obéis­sant au con­seil de mes par­ents j’ai entamé un cur­sus uni­ver­si­taire. Je me suis inscrite en philolo­gie romane où j’ai fait beau­coup de lin­guis­tique et de philoso­phie du lan­gage avec un pro­fesseur d’an­thro­polo­gie clin­ique. L’an­thro­polo­gie clin­ique est une théorie qui se penche sur la déviance lan­gag­ière, elle étudie par exem­ple com­ment l’aphasie met en lumière nos pos­si­bil­ités lan­gag­ières dans l’ab­sence de toute norme réduc­trice. J’ai tra­vail­lé là-dessus qua­tre années : mon mémoire défendait la thèse qu’il n’y avait pas d’u­ni­ver­saux de lan­gage. J’ai util­isé comme matéri­aux de tra­vail des textes de gens internés ce qui m’a énor­mé­ment mar­quée. Par­al­lèle­ment j’ai recréé avec Michel Debroux et Xavier Dujardin le Théâtre Uni­ver­si­taire de Lou­vain-la-Neuve qu’Ar­man Del­campe avait fondé. Je suiv­ais aus­si au C.E.T. les cours de Georges Banu et de Robert Abirached. Après quoi, avec Patrick Sim­mons nous avons ten­té le con­cours du Con­ser­va­toire et ça a marché. C’est là que j’ai ren­con­tré Pietro Piz­zu­ti qui m’a encour­agée à faire exis­ter mes textes sur le plateau. Il m’a fait décou­vrir l’écri­t­ure de Valère Novarina en me faisant tra­vailler le mono­logue L’ENFANT DES CENDRES C’é­tait à mon sens dans la même lignée que tous ces écrits déviants sur lesquels je m’é­tais penchée à l’u­ni­ver­sité. Je tra­vail­lais en même temps avec Bernard Mouffe sur L’INNOMMABLE de Beck­ett à la demande de mo pro­fesseur d’u­ni­ver­sité. J’ai décou­ver en 1993 L’INQUIÉTUDE de Nova­ri­na et j’ai eu le coup de foudre pour ce texte.

Je l’ai mis en scène en 1994 pour Les moissons au Théâtre de la Bal­samine. J’avais demandé à Mag­a­li Pinglaut de tra­vailler avec moi, de se plonger en chute libre dans le texte et à Pietro Piz­zu­ti de venir faire l’œil extérieur tous les cinq-six jours. Dans mes pro­jets per­son­nels, je ne me mets jamais com­plète­ment à l’ex­térieur comme le fait clas­sique­ment le met­teur en scène. Je par­ticipe au jeu ou à l’écri­t­ure comme pour le spec­ta­cle que j ai mis en scène cette sai­son 1999 ec écrit avec Gwe­naëlle Stubbe. J’aime bien l’idée d’un comé­di­en vrai­ment act­if. C’est pourquoi j’ap­pré­cie le tra­vail avec Isabelle Pousseur dont j’ai suivi le stage sur Hein­er Müller : elle nous demande d’être com­plète­ment act­ifs ; elle vient dire : « ça je prends », « Ça je trou­ve intéres­sant » et ne rejette jamais les propo­si­tions. J’aime arriv­er avec pleins de matéri­aux, pleins de livres qui vien­nent nour­rir le tra­vail, pro­pos­er un univers qu’on puisse partager, qui ouvre des dis­cus­sions, mais aus­si ini­ti­er des aven­tures, faire des expéri­ences telles que répéter à la cam­pagne, ou dans les cimetières comme nous l’avons fait avec Mag­a­li pour le Nova­ri­na. Car nous avions l’im­pres­sion que c’é­tait une parole des­tinée autant aux morts qu’aux vivants, une parole entre ces deux univers, aux lim­ites du vivant, et la profér­er dans un cimetières lui don­nait un point d’an­crage.

F. V.: Tu as égale­ment présen­té aux Moissons MARIN MON CŒUR d’Eugène Sav­it­skaya dans lequel tu jouais aus­si. Com­ment cela s’est-il con­crète­ment passé sur Le plateau ?

L. V.: Pour ce spec­ta­cle, il n’y a pas eu d’œil extérieur. C’é­tait vrai­ment moi qui étais cen­sée être à la fois dedans et dehors. Cela veut dire accepter la dis­cus­sion. C’est pourquoi j’avais envie d’ap­pel­er ce tra­vail « tra­vail col­lec­tif dirigé par…», mais l’on m’a dit : « Mais non, Ça n’ex­iste pas, il faut qu’il y ait un seul met­teur en scène ». Pour le Nova­ri­na, on avait sim­ple­ment dit que Pietro Piz­zu­ti était le met­teur en scène, même si en vérité c’é­tait plus com­plexe ; comme s’il n’y avait pas de mot pour exprimer cette réal­ité-là.

Toute­fois, ce à quoi je tiens vrai­ment beau­coup, et peut-être davan­tage que les autres mem­bres de l’équipe, c’est au tra­vail sur la langue ; j’aime que le texte soit enten­du et je suis extrême­ment pointilleuse là-dessus. Dans mon tra­vail, ce sont tou­jours les mots qui font naître le spec­ta­cle ;les images ne préex­is­tent pas. Quand on entend le texte, c’est comme si le décor venait naturelle­ment, les acces­soires aus­si … Il me faut d’abord percevoir le rythme d’une écri­t­ure. Je suis même par­fois trop dans les mots et pas assez dans la représen­ta­tion. Et chaque fois que Pietro Piz­zu­ti m accom­pa­gne dans un tra­vail, il con­tre­bal­ance cette ten­dance : c’est lui par exem­ple qui a pro­posé le chou dans le spec­ta­cle MARIN, MON CŒUR. C’est pourquoi je ne sais pas si Je suis vrai­ment un Jeune met­teur en scène, ma fonc­tion est encore un peu floue. Mon tra­vail s’ar­tic­ule vrai­ment autour de la langue, je m’at­tache con­stam­ment à met­tre en jeu le lan­gage, dans un face à face avec les gens. J’aime que le mot soit au milieu, entre le spec­ta­teur et le comé­di­en, avec le temps du regard entre les deux. Ce que Denis Gue­noun exprime d’une façon très belle dans LA LETTRE À UN DIRECTEUR DE THÉÂTRE. Quand je suis arrivée sur le spec­ta­cle de Luc Fonteyn, LA FEMME DE GILLES, dont j’ai finale­ment cosigné la mise en scène, le cexte avait déjà été défriché, mais On n’ar­rivait pas encore à l’en­ten­dre, ni à percevoir le rap­port entre les per­son­nages. On a tout repris à zéro avec l’idée de sim­ple­ment dire les choses. Les per­son­nages ont alors sur­gi du dire, avec évi­dence.

De la même façon qu’il m’est dif­fi­cile de me présen­ter comme met­teur en scène, j’ai du mal à aller frap­per à la porte de théâtres avec un pro­jet à la main. J’ai un pro­jet en tête et j’at­tends que se pro­duise la ren­con­tre qui le con­cré­tis­era. Je crois beau­coup aux ren­con­tres. C’est pourquoi quand Monique Dorsel du Théâtre Poème me pro­pose son théâtre pour y mon­ter ce que je désire, j’ac­cepte aus­sitôt. Ça a don­né CONTES À REBOURS, qui était égale­ment une aven­ture pas­sion­nante sur le lan­gage : on a tra­vail­lé essen­tielle­ment sur CENDRILLON de Grimm qu’on a repris à la let­tre en par­tant une fois encore du dire, en cher­chant notam­ment à assumer chaque phrase, ce qui a don­né l’im­pres­sion aux spec­ta­teurs que nous avions totale­ment réécrit le texte alors que nous n’avions pas touché à un seul mot … Moi, je crois vrai­ment que la parole peut être mag­ique ; si l’on prend le temps de la met­tre en espace, elle devient presqu’une matière.

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