Un travail né d’une nécessité intérieure
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Un travail né d’une nécessité intérieure

Le 21 Nov 2007
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 94-95 - Lars Norén
94 – 95
Article fraîchement numérisée
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Entre­tien avec Isabelle Polis­seur réal­isé par Bernard Debroux

Bernard Debroux : Com­ment nais­sent tes pro­jets de spec­ta­cle ? Est-ce au départ d’un con­cept ? À quel moment inter­vient le théâtre ?

Isabelle Pousseur : C’est très mys­térieux… Depuis que je fais du théâtre, il y a tou­jours eu plusieurs types de pro­jets. Cer­tains étaient de pures créa­tions, d’autres étaient des pièces de réper­toire. Il y en a qui étaient un peu entre les deux et ils se sont tou­jours con­stru­its les uns par rap­port aux autres. J’ai par­fois eu besoin de retourn­er au réper­toire parce qu’après une péri­ode de pure créa­tion, je ressen­tais le besoin de retourn­er à de l’écri­t­ure con­sti­tuée, ou l’inverse… Tout ça a tou­jours été très lié à des moments de ma vie. Alors, com­ment naît un pro­jet ? En tout cas, le « com­ment il naît » est impor­tant. J’accorde beau­coup d’importance à la qual­ité de sa nais­sance. Il ne naît pas ou qua­si jamais par oppor­tu­nité ou par oppor­tunisme. J’accorde de l’importance à ce que sa nais­sance soit une néces­sité que je puisse éprou­ver comme pro­fonde. Mais c’est aus­si un mys­tère, car je n’ai pas de grille d’examen de la pro­fondeur de ma néces­sité ! Ce sont des choses que je soumets à des sortes d’examens per­son­nels qui peu­vent être chaque fois dif­férents. Par­fois, ça a à voir avec la durée. J’ai tout à coup l’impression qu’un tel texte me hante, je me dis qu’il y a quelque chose qui me pour­suit et qu’il faut que j’aille voir de plus près. Par­fois, c’est beau­coup plus bru­tal ; en lisant quelque chose, par exem­ple, ça se passe dans l’instant et je dois réa­gir tout de suite.Je fais très fort con­fi­ance à mon instinct, à mon intu­ition et au sen­ti­ment que je peux avoir d’être saisie par quelque chose. Mais « com­ment ils nais­sent », c’est vrai­ment la ques­tion à laque­lle je ne peux pas répon­dre ; je ne sais pas pourquoi ou com­ment quelque chose est là… Quelque chose est là, je la reçois et je dois y répon­dre.

Bernard Debroux : Tu as dit pour­tant que c’était lié à des moments de ta vie…

Isabelle Pousseur : Oui, mais c’est sou­vent après coup que je m’en rends compte. Comme lorsque, après toute une série de spec­ta­cles, j’ai tout à coup besoin de faire un change­ment de cap et vient alors un pro­jet comme À ceux qui naîtront après nous, un pro­jet très spé­ci­fique ; ou alors je dois inter­roger le rap­port au pub­lic et le rap­port aux acteurs et je remets un peu tout à zéro. Je sais qu’il y a dans ma vie des moments charnières où il y a des choses claires qui se passent. Par exem­ple, je tra­vaille un texte à l’Insas avec des élèves et il ne me quitte pas ; je sens que je ne suis pas allé au bout, que je dois ren­con­tr­er des acteurs pro­fes­sion­nels avec ce texte-là, que j’ai encore beau­coup à explor­er. Ce que je suis en train de faire, en ce moment, c’est tout autre chose : ce sont deux actri­ces qui veu­lent tra­vailler ensem­ble et tra­vailler avec moi. Elles ne trou­vaient pas vrai­ment de pro­jets et j’ai décidé, il y a qua­tre semaines, de leur pro­pos­er 4. 48 Psy­chose de Sarah Kane. C’est une idée qui m’est tombée dessus une nuit… Ça peut être qua­tre, cinq choses qui me tombent dessus en même temps, des sou­venirs de pen­sées que j’ai eues en voy­ant ce texte au théâtre, ou par exem­ple en voy­ant Claude Régy ce print­emps à Lau­sanne qui le tra­vail­lait avec des élèves. Véronique et Cather­ine ont tra­vail­lé dans Matéri­au Médée et ont éprou­vé des frus­tra­tions. Je mets ensem­ble toutes ces don­nées et je relis le texte qui sem­ble répon­dre à ces dif­férents élé­ments. Là, c’est un exem­ple de déci­sion très bru­tale, très rapi­de, même si les racines peu­vent être anci­ennes.

Bernard Debroux : Les choses nais­sent, sem­ble-t-il, plus par du vécu que par un con­cept ?

Isabelle Pousseur : Oui, tout à fait. Je suis très méfi­ante de tous les actes trop volon­taires. Je crois être quelqu’un de très rationnel dans toute une série de moments de ma vie, donc, par rap­port à la créa­tion, je ne veux pas que ce soit cette par­tie-là de moi qui agisse. Je veux vrai­ment que ça se passe autrement. Le choix des pro­jets, j’essaye qu’il vienne du vécu et d’une par­tie de moi qui peut être enfouie. Il m’est arrivé de com­pren­dre très tard pourquoi j’avais fait cer­tains pro­jets. C’était par­fois pour des ques­tions très intimes que je n’avais pas du tout lues au moment où je réal­i­sais le pro­jet.

Bernard Debroux : En définis­sant le temps d’un pro­jet en trois par­ties, la con­cep­tion, la pré­pa­ra­tion et la réal­i­sa­tion, com­ment nav­igues-tu dans ces trois temps ? On a déjà par­lé de la con­cep­tion, com­ment organ­is­es-tu la pré­pa­ra­tion ?

Isabelle Pousseur : Il y a toute une par­tie de temps de lec­ture, un temps que j’aime. L’idéal est d’avoir du temps de lec­ture, du temps de recherche dra­maturgique réel. Un temps de lec­ture, très ouvert. Dans le cas d’un auteur, j’essaye de lire tout ce qu’il a écrit et ce qu’il y a autour. J’aime bien ce que j’appelle faire l’éponge. Avant même de pro­duire, de créer ou de dire des choses, il faut que je me sois imprégnée, beau­coup. Il y a une époque de ma vie où j’avais plus de temps que main­tenant, alors j’ai trou­vé des straté­gies pour le faire plus rapi­de­ment. Pour Tchékhov que j’ai déjà tra­vail­lé, j’ai quand même l’impression de par­tir à la décou­verte, autrement. Après avoir lu deux, trois biogra­phies que je ne con­nais­sais pas, je me suis dit que par rap­port à L’Homme des Bois, il y a toute une prob­lé­ma­tique vis-à-vis de Tol­stoï : la ques­tion de l’idéalisme. Tout en l’admirant, Tchékhov s’oppose à l’idéalisme, à une cer­taine forme d’idéalisme chez Tol­stoï. Et dans L’Homme des Bois, il existe un con­flit entre idéal­isme et scep­ti­cisme per­son­nifié par les per­son­nages de l’Homme des Bois lui-même et Voïnitz­ki (qui devien­dra Vania plus tard). Mais ce con­flit existe aus­si en Tchékhov lui-même. Ces deux per­son­nages représen­tent aus­si cha­cun des ten­dances de Tchékhov lui-même. Je peux men­er ce tra­vail dra­maturgique et de lec­ture en faisant autre chose. C’est ce qui se passe en ce moment où je suis sur deux pro­jets en même temps. Pen­dant le mois de juil­let, j’accompagnais la scéno­graphe qui tra­vail­lait sur la maque­tte et les cos­tumes, donc sur les per­son­nages, et je reli­sais le texte pour pou­voir répon­dre aux ques­tions qui se posaient. C’étaient des ques­tions extrême­ment pré­cis­es, tout en étant encore dans la dra­maturgie plus générale et en même temps, je com­mençais à planch­er sur Sarah Kane. Ce sont des moments où je suis extrême­ment recon­nais­sante au méti­er que je fais de pou­voir les vivre. Ce sont de grands moments intens­es d’apprentissage. À par­tir de là, il y a des axes de tra­vail qui nais­sent, que je vais partager avec les autres. D’abord, for­cé­ment, avec le scéno­graphe, c’est le pre­mier avec lequel il y a un échange dra­maturgique, la plu­part du temps. Ensuite il y a tout le tra­vail à faire à des­ti­na­tion des acteurs. J’envisage la dra­maturgie en direc­tion des acteurs ; ce n’est pas n’importe quel type de pen­sée, n’importe quel type d’analyse, c’est une dra­maturgie en direc­tion de ceux qui vont jouer. Elle doit s’appuyer sur le texte, mais elle doit en même temps être un ressort de désir de jeu et un ressort de con­struc­tion. À par­tir de cette étape-là, je songe à inven­ter les pre­mières choses que je vais leur deman­der, des exer­ci­ces ou des impro­vi­sa­tions, des textes à écrire.

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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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