Quand je pense à Riszard Cieslak, je pense à un acteur créatif. Il me semble qu’il était vraiment l’incarnation d’un acteur qui joue comme un poète écrit, ou comme Van Gogh peignait. On ne peut pas dire que c’est quelqu’un qui a joué des rôles imposés, des personnages déjà structurés, d’un point de vue littéraire du moins, parce que, même s’il a gardé la rigueur du texte écrit, il a créé une qualité entièrement nouvelle. Cela me paraît fondamental de comprendre cet aspect de son travail.
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Il est très rare qu’une symbiose entre un soi-disant metteur en scène et un soi-disant acteur puisse dépasser toutes les limites de la technique, d’une philosophie, ou des habitudes ordinaires. Cela est allé jusqu’à une telle profondeur que souvent il était difficile de savoir si c’était deux êtres humains qui travaillaient, ou un double être humain.
Sur Le Prince constant, nous avons travaillé des années et des années. Nous avons commencé ce travail en 1963. La première officielle eut lieu deux années plus tard. Mais en vérité, nous avons travaillé bien après la première officielle. La plupart du temps, notre travail se déroulait dans un isolement complet, personne d’autre n’y participait, ni les autres membres du groupe, ni aucun témoin.
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Je vais toucher un point qui fut une particularité de Ryszard. Il était nécessaire de ne pas le pousser ni l’effrayer. Comme un animal sauvage, quand il a perdu sa peur, sa fermeture peut-on dire, sa considération à propos de son image, il a pu progresser pendant des mois et des mois avec une ouverture et une complète liberté, une libération de tout ce qui dans la vie, et plus encore dans le travail de l’acteur, nous bloque. Cette ouverture était comme une confiance extraordinaire. Et quand il a pu travailler de cette manière pendant des mois et des mois avec le metteur en scène seul, après il a pu faire cela en présence de ses collègues, les autres acteurs, et après même en présence des spectateurs ; il était entré déjà dans une structure qui lui assurait, à travers la rigueur, une sécurité.
Pourquoi est-ce que je pense qu’il était un acteur aussi grand que, dans un autre domaine de l’art, Van Gogh par exemple ? Parce qu’il a su trouver la connexion du don et de la rigueur. Quand il a eu une partition du jeu, il n’a pu la tenir jusqu’aux plus minuscules détails. Cela, c’est la rigueur. Mais il y avait quelque chose de mystérieux derrière cette rigueur qui se présentait toujours en connexion avec la confiance. C’était le don, don de soi, dans ce sens, le don. Cela n’a pas été, attention, le don au public, que nous avons considéré ensemble comme un putanisme. Non. C’était le don à quelque chose qui est beaucoup plus haut, qui nous dépasse, qui est au-dessus de nous, et aussi, peut-on dire, c’était le don à son travail, ou c’était le don à notre travail, le don à nous deux.
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Le vrai secret a été de sortir de la peur, du refus de soi-même, de sortir de cela, d’entrer dans un grand espace libre où l’on peut n’avoir aucune peur et ne rien cacher.

