Langhoff / Stehlé, cru 1941 : art et amitié à tire‑d’aile

Langhoff / Stehlé, cru 1941 : art et amitié à tire‑d’aile

Le 7 Jan 2006
Jean-Marc Stehlé et Agnès Dewitte, répétition de DONA ROSITA, LA CÉLIBATAIRE OU LE LANGAGE DES FLEURS de Garcia Lorca. Photo Jacquie Bablet.
Jean-Marc Stehlé et Agnès Dewitte, répétition de DONA ROSITA, LA CÉLIBATAIRE OU LE LANGAGE DES FLEURS de Garcia Lorca. Photo Jacquie Bablet.

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Jean-Marc Stehlé et Agnès Dewitte, répétition de DONA ROSITA, LA CÉLIBATAIRE OU LE LANGAGE DES FLEURS de Garcia Lorca. Photo Jacquie Bablet.
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Les liaison singulières-Couverture du Numéro 88 d'Alternatives ThéâtralesLes liaison singulières-Couverture du Numéro 88 d'Alternatives Théâtrales
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Préam­bule1

L’un dit qu’ils se sont ren­con­trés là, l’autre ici. Les années et les lieux ne coïn­ci­dent pas for­cé­ment. Pour notre ency­clopédie con­tem­po­raine du théâtre, certes, rien de tout cela ne nous arrange. Il faut même le dire, cela nous dérange puisque cela va à l’encontre de notre pré­ci­sion, à car­ac­tère sci­en­tifique, quand les artistes eux-mêmes, bien vivants, se préoc­cu­pent de leur vie et non de sa nar­ra­tion. Comme il me l’indique, Lang­hoff n’est pas un papil­lon pour être sujet aux mul­ti­ples analy­ses de la recherche théâ­trale qui pré­tendrait à une sci­en­tificité qui n’a pas lieu d’être à ses yeux si elle ne se con­cen­tre pas unique­ment sur l’artistique. La dis­sec­tion d’une col­lab­o­ra­tion artis­tique avec Jean-Marc Stehlé, qui lie aus­si bien l’amitié que le tra­vail, n’a rien pour plaire au pre­mier et ne cap­tive pas néces­saire­ment le sec­ond. On ne peut même pas garan­tir que leur mémoire flanche ; c’est juste que le doux sou­venir con­servé par l’un et l’autre sera, fût-il erroné, tou­jours plus beau que le fait his­torique et réel. La mémoire d’homme leur importe plus que la réal­ité datée, archivée, chiffrée d’un quo­ti­di­en plus ou moins passé. Le sou­venir est plus impor­tant que la réal­ité. La nature de Lang­hoff n’est pas d’épouser un sys­tème ; en tout cas, refuse-t-il celui d’une recherche théâ­trale qui s’intéresse à son par­cours de vie, artis­tique ou/et ami­cale, avec un acteur. Ce qui intéresse Lang­hoff dans la recherche théâ­trale est le tra­vail théâ­tral, et non spé­ci­fique­ment les rela­tions humaines qui gravi­tent autour, fussent-elles par­fois à l’origine de la créa­tion artis­tique. Ce qui intéresse pro­fondé­ment Lang­hoff est la pen­sée. Brecht, Ben­jamin, Dort. Trois phras­es de ces êtres per­me­t­traient de réfléchir. Réfléchir sur le rap­port humain dans le tra­vail n’a pas de sens pour lui. Com­ment en effet par­ler d’un ami ? Là est peut-être le véri­ta­ble nœud quand il s’agit d’un véri­ta­ble ami. Ces écrits ne peu­vent pro­duire à ses yeux que des ersatz de recherche théâ­trale. En con­séquence, la réti­cence de Matthias Lang­hoff est réelle par rap­port à l’objet dont il est ici ques­tion : évo­quer le rap­port de col­lab­o­ra­tion artis­tique entre un met­teur en scène et un acteur. Ce qui engen­dre l’art et la pen­sée de l’art est dif­férent. Importe l’art à Lang­hoff. Il pose alors vrai­ment la ques­tion des alter­na­tives théâ­trales : celle du regard que nous choi­sis­sons pour par­ler du théâtre. Lang­hoff ne veut pas être la mou­ette de Trig­orine, « un sujet pour un petit con­te ». Peut-être la maxime de Wittgen­stein, du moins sur cette ques­tion, reflète-t-elle la posi­tion du met­teur en scène : « Ce dont on ne peut par­ler, il faut le taire. » Le dernier que cet arti­cle intéressera est donc Matthias Lang­hoff ; mais en bonne con­nais­sance des textes sacrés, n’oublions pas que les derniers seront les pre­miers.

Envol

Matthias Langhoff, Jean-Marc Stehlé et Agnès Dewitte répètent DONA ROSITA, LA CÉUBATAIRE OU LE LANGAGE DES FLEURS DE Garcia Lorca. Photo Jacquie Bablet.
Matthias Lang­hoff, Jean-Marc Stehlé et Agnès Dewitte répè­tent DONA ROSITA, LA CÉUBATAIRE OU LE LANGAGE DES FLEURS DE Gar­cia Lor­ca. Pho­to Jacquie Bablet.

Matthias Lang­hoff et Jean-Marc Stehlé ont tra­vail­lé ensem­ble sur neuf spec­ta­cles. Leur col­lab­o­ra­tion com­mence avec le pre­mier opéra mis en scène par Lang­hoff, Don Gio­van­ni de Mozart, au Grand Théâtre de Genève en 1991, où Stehlé était déco­ra­teur. Aupar­a­vant, Lang­hoff avait invité Stehlé à repein­dre la salle du Théâtre de Vidy, dont il a assumé la direc­tion de 1989 à 1991. Leur col­lab­o­ra­tion varie ensuite en des alter­nances flex­i­bles. Alors même que Lang­hoff est sou­vent scéno­graphe de ses spec­ta­cles, Stehlé en assure par­fois la scéno­gra­phie, comme pour Simone Boc­cane­gra de Ver­di en 1993 à l’Opéra de Franc­fort ou Com­bat de nègres et de chiens de Koltès, créé en ital­ien au Théâtre de Gênes en 2003, ou assure celles de cos­tu­mi­er et inter­prète pour Désirs sous les ormes de O’Neill au Théâtre nation­al de Bre­tagne (TNB) en 1992. Suiv­ent des créa­tions comme Les Trois Sœurs de Tchékhov au Théâtre de la Ville et Philoc­tète de Müller au TNB en 1994, où Jean-Marc Stehlé sera comé­di­en, avant d’être scéno­graphe, cos­tu­mi­er et inter­prète en 1996 dans le même lieu pour Île du salut. Rap­port 55 sur la Colonie péni­ten­ti­aire de Kaf­ka. Tou­jours dans le même lieu, il jouera dans L’Inspecteur général de Gogol en 1999 et coréalis­era en 2005 avec Lang­hoff au Théâtre Nan­terre-Amandiers la scéno­gra­phie de Doña Rosi­ta, la céli­bataire ou le Lan­gage des fleurs de Gar­cía Lor­ca, dans lequel il jouera égale­ment. Les deux hommes ont le même âge et, à soix­ante-cinq ans, dont presque la moitié en pra­tique théâ­trale et ami­tié partagées, leur com­plic­ité et leur ami­tié ne font qu’accroître dans le tra­vail leur rela­tion priv­ilégiée sans, sem­ble-t-il, l’ombre de rival­ités.

La dou­ble qual­ité d’acteur et de scéno­graphe de Jean-Marc Stehlé

Dans sa con­cep­tion des hommes et femmes de théâtre qui l’entourent, Matthias Lang­hoff ne prêterait pas un statut spé­ci­fique à la dou­ble qual­ité d’acteur et de scéno­graphe de Jean-Marc Stehlé. Rien n’empêche qu’au fil des répéti­tions, les deux hommes remet­tent en cause un élé­ment de décor qu’ils ont réal­isé ; pour le reste, ils ont la même con­cep­tion. Lang­hoff, comme il le men­tionne régulière­ment, affirme tou­jours cette dis­tinc­tion entre ses activ­ités de scéno­graphe et de met­teur en scène, et Jean-Marc Stehlé en fait de même entre ses fonc­tions de déco­ra­teur et d’acteur. Cette posi­tion de Lang­hoff pour­rait être prise pour de la mau­vaise foi, en soupçon­nant chez lui les prémiss­es d’une mise en scène pré­conçue du fait de la réal­i­sa­tion de l’espace en amont. Étrange­ment, la posi­tion de Stehlé s’avère du même acabit ; il n’intervient pas comme acteur dans ses créa­tions scéno­graphiques. Et ensuite, le comé­di­en Stehlé oubliera le scéno­graphe : « Quand je suis acteur, je ne suis pas du tout scéno­graphe. Je me fiche du décor et me débrouille avec. » A pri­ori, la com­plic­ité artis­tique des deux hommes dans la con­cep­tion scéno­graphique cherche donc à forg­er une com­pat­i­bil­ité entre le décor et le jeu qui ne préjuge pas d’une mise en place pré­conçue. De sur­croît, pour aucun des deux, une activ­ité ne prend le pas sur l’autre dans leur col­lab­o­ra­tion. L’amitié amenuise les fron­tières entre des travaux de nature dif­férente, car le seul plaisir d’œuvrer ensem­ble paraît compter, quelles que soient finale­ment les fonc­tions de l’un ou de l’autre au fil des pro­jets.

Matthias Lang­hoff donne-t-il des indi­ca­tions dif­férentes à Jean-Marc Stehlé car celui-ci est égale­ment scéno­graphe ? Il ne sem­ble pas et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que Stehlé acteur ne se soucie pas de son statut de déco­ra­teur. De sur­croît, Lang­hoff abhorre ces dis­tinc­tions. Il recon­naît à cha­cun des com­pé­tences spé­ci­fiques qui jus­ti­fient une fonc­tion pré­cise sur la pro­duc­tion, mais ne lim­ite pas les per­son­nes à la seule iden­tité de leur fonc­tion. C’est pourquoi le fait que Stehlé n’ait pas de for­ma­tion d’acteur importe peu pour Lang­hoff, d’autant plus que celui-ci est cri­tique vis-à-vis de la for­ma­tion dis­pen­sée en France. Cela explique aus­si que dans sa rela­tion de fidél­ité avec cer­tains comé­di­ens comme Éve­lyne Didi, Agnès Dewitte, Mar­cial Di Fon­zo Bo, Gilles Privât ou encore Jean-Marc Stehlé, les rela­tions ne sont pas basées sur l’exclusivité. Pour ne citer que ce dernier, avant même sa col­lab­o­ra­tion avec Lang­hoff, Stehlé tra­vail­lait avec Ben­no Besson2 comme acteur et déco­ra­teur, fonc­tion pour laque­lle il a reçu deux Molières, le troisième ayant été le fruit d’un décor pour Jean-Michel Ribes. Si la ques­tion de la trans­mis­sion est sou­vent abor­dée dans un sens unique et généra­tionnel, du met­teur en scène plus âgé envers ses acteurs, la rela­tion dévelop­pée ici n’est pas de ce ressort, notam­ment parce que pour Lang­hoff, la trans­mis­sion peut se réalis­er dans les deux sens et indépen­dam­ment de l’âge.

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Écrit par Sophie Proust
Sophie Proust est maître de con­férences en Arts du spec­ta­cle (Théâtre) et chercheur au CEAC (Cen­tre d’étude des...Plus d'info
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