Transmissions créatrices

Transmissions créatrices

Le 27 Juil 2008

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 98 - Créer et transmettre
98
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À pre­mière vue, on doit créer d’abord, trans­met­tre ensuite. Que l’on trans­mette le résul­tat de la créa­tion, ou ses méth­odes s’il y en a, ces objets à trans­met­tre pré­sup­posent une créa­tion antérieure. Or, on voit bien qu’en vérité, les choses peu­vent se pass­er dif­férem­ment. Une cer­taine activ­ité de créa­tion peut se don­ner la trans­mis­sion, non pas comme con­séquence ni même comme cor­rélat, mais comme con­di­tion. Il est pos­si­ble que l’existence et la néces­sité de trans­met­tre for­ment un dis­posi­tif dont la créa­tion est trib­u­taire, et dépen­dante.
C’est peut-être ce que voulait dire Dullin, lorsqu’il asso­ci­ait le Théâtre et l’École, ce qui fai­sait le noy­au de la notion d’Atelier1. Un ate­lier, c’est bien cela : un lieu de trans­mis­sion qui con­stitue le milieu où la créa­tion s’épanouit, et qu’elle requiert. Dans la lignée de cette réflex­ion se situent sans doute les pen­sées de Vitez sur l’École2, et le mou­ve­ment, aujourd’hui général, qui con­duit tous les grands théâtres à s’adjoindre une struc­ture de for­ma­tion de haut niveau. Mais ce mou­ve­ment ne s’accomplit que si l’on con­sid­ère que l’École n’est pas le pro­longe­ment du théâtre, qu’elle inter­roge le dis­posi­tif théâ­tral, et son engage­ment, au cœur de son activ­ité créa­trice.
Com­ment for­muler, de façon plus explicite ou déter­minée, la nature de ce lien entre créa­tion et trans­mis­sion ? Qu’est-ce qui rend pos­si­ble cette artic­u­la­tion ? La ques­tion pour­rait être éclairée, par­tielle­ment, par le point que voici. Le théâtre est le plus sou­vent pen­sé comme une pra­tique dont la final­ité est de pro­duire un cer­tain effet sur un pub­lic. L’horizon fon­da­teur du théâtre est la réu­nion de ceux qui vien­dront assis­ter à son événe­ment. Le théâtre est donc pour le pub­lic, pour les assem­blées qui se rassem­bleront autour de lui, et les indi­vidus qui les com­posent. Or, cette des­ti­na­tion de l’activité théâ­trale n’est pas la seule à avoir été req­uise, dans l’histoire des métiers et des hommes. Il est arrivé, plus d’une fois, que le théâtre soit conçu et voulu, non pas pour le pub­lic (et en tout cas, pas pri­or­i­taire­ment pour lui), mais pour ceux qui le pra­tiquent. Il y a toute une his­toire du théâtre fait pour ceux qui le jouent.
C’est, d’abord, la grande lignée du théâtre péd­a­gogique. Dans notre his­toire mod­erne, cette fil­i­a­tion con­naît un épisode majeur avec la fon­da­tion et le développe­ment des col­lèges de Jésuites, qui conçoivent le théâtre comme une activ­ité péd­a­gogique cen­trale, et qui le pra­tiquent (le font pra­ti­quer) dans le but de lui voir pro­duire un cer­tain effet sur les élèves qui seront en scène. Effet d’apprentissage à plusieurs branch­es, com­plexe : rhé­torique, mais aus­si moral, et « cul­turel » en un sens sin­guli­er. Cette pra­tique, mul­ti­ple et diverse, s’est dévelop­pée jusqu’au XXᵉ siè­cle inclus. Les représen­ta­tions publiques de ces travaux n’étaient pas écartées : mais elles ne représen­taient, en principe au moins, qu’un sup­plé­ment de plus ou moins d’importance, une sorte de couron­nement, la grat­i­fi­ca­tion d’une activ­ité préal­able dont elles n’étaient pas la rai­son. Le théâtre ici s’orientait essen­tielle­ment vers la for­ma­tion, pra­tique et spir­ituelle, de ceux qui étaient appelés à le pra­ti­quer, menés en cela par des maîtres qui, on sup­pose, régis­saient et dirigeaient le jeu, mais qui ont écrit aus­si de très nom­breuses pièces : le cor­pus qui nous reste com­prend des cen­taines, peut-être des mil­liers de textes, et on voit bien là qu’aussi bien sur le plan scénique que dra­ma­tique, la créa­tion a eu la trans­mis­sion non pas pour effet, mais pour préal­able et pour con­di­tion.
Cette tra­di­tion s’est pro­longée, de façon à nos yeux inat­ten­due, dans un cer­tain théâtre de recherche, révo­lu­tion­naire et d’avant-garde, au XXᵉ siè­cle — dont les liens et con­nex­ions avec la tra­di­tion péd­a­gogique (jésuite, donc, entre autres) mérit­eraient une étude poussée. On se sou­vient que cer­taines œuvres de Brecht, dites pré­cisé­ment « didac­tiques », ont été écrites seule­ment à l’intention de groupes d’acteurs au tra­vail3. Il s’agissait par­fois — pas tou­jours — de jeunes comé­di­ens, voire d’enfants. Cer­taines de ces œuvres — pas toutes — furent même conçues par Brecht comme exclu­ant la représen­ta­tion publique. Il y a là une pra­tique de créa­tion qui s’inscrit dans le milieu créatif représen­té par l’exigence didac­tique, de for­ma­tion et de trans­mis­sion.

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Écrit par Denis Guénoun
Denis Gué­noun est aujourd’hui pro­fesseur à l’Université de Paris-Sor­bonne et directeur du Cen­tre de Recherche sur l’Histoire du...Plus d'info
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