Construire un vocabulaire de phrases chorégraphiques
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Construire un vocabulaire de phrases chorégraphiques

Le 19 Nov 2007
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 94-95 - Lars Norén
94 – 95
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Entre­tien avec Michèle Noiret réal­isé par Bernard Debroux

Bernard Debroux : Com­ment nais­sent tes pro­jets artis­tiques ? Au départ s’agit-il d’un con­cept ? Est-ce un tra­vail soli­taire ? Nais­sent-ils aus­si de con­tacts avec d’autres per­son­nes ?

Michèle Noiret : Tous ces élé­ments entrent en jeu. Cela dépend du type de pro­jet. Il n’y a pas de règles. Je tra­vaille sur des ter­rains diver­si­fiés et plutôt comme un arti­san… Dans la dernière créa­tion au Théâtre Nation­al, LES ARPENTEURS, il n’y a pas de tech­nolo­gie inter­ac­tive, ni d’images vidéo. Le proces­sus de tra­vail est donc dif­férent que dans le spec­ta­cle DE DEUX POINTS DE VUE que je répète en ce moment, où les tech­nolo­gies con­stituent des out­ils sup­plé­men­taires dans l’élaboration de la créa­tion. Il y a bien sûr tou­jours la ren­con­tre avec d’autres créa­teurs, qui inter­vi­en­nent dans la con­struc­tion du spec­ta­cle : le scéno­graphe, l’éclairagiste, le com­pos­i­teur par exem­ple, comme c’est sou­vent le cas pour le spec­ta­cle vivant. Il y a ensuite le moment où, de ces ren­con­tres, de ces échanges, com­men­cent à se con­cré­tis­er des frag­ments intéres­sants. C’est à par­tir de là que j’essaye de con­stru­ire ce qu’on pour­rait appel­er un scé­nario. Je tra­vaille comme pour un film, avec des découpages de scènes, dans des sit­u­a­tions précises.Je pro­pose cet état du tra­vail aux col­lab­o­ra­teurs proches. En fonc­tion de l’évolution des répéti­tions, ce scé­nario évolue, par­fois peu, sou­vent beau­coup, tout dépend de la façon dont le tra­vail se passe entre les per­son­nes, les danseurs que je ren­con­tre, et du temps dont je dis­pose pour la créa­tion. Cela dépend donc d’une créa­tion à l’autre. Aujourd’hui, je tra­vaille sur une pièce pour des danseurs du Bal­let de Nan­cy, qui a comme point de départ de dévelop­per des out­ils inter­ac­t­ifs qui relient le mou­ve­ment, le son, la lumière et l’image vidéo. J’ai d’abord ren­con­tré le scéno­graphe, Philippe Ekkers. Après lui avoir expliqué le pro­jet, nous avons défi­ni ensem­ble la scéno­gra­phie. Ensuite, il l’a con­stru­ite, et instal­lée dans la salle de répéti­tions. Pen­dant trois semaines, avec le vidéaste Fred Vail­lant et le com­pos­i­teur Todor Todo­r­off, nous avons mené un tra­vail de recherche, de con­struc­tion, d’affinement des out­ils tech­nologiques qu’ils pro­po­saient. C’est un tra­vail que l’on éla­bore ensem­ble, avant l’arrivée des danseurs. Par­al­lèle­ment à cela, j’ai besoin de visu­alis­er des images qui font « sens », qui ont un con­tenu émo­tion­nel, images que je tente ensuite de décrire avec des mots. J’invente un univers dont je sens intu­itive­ment la cohérence. C’est impal­pa­ble. Nous par­tons rarement de pièces écrites, avec des per­son­nages déjà défi­nis. Il peut y avoir bien sûr des textes desquels on s’inspire, ou qui se retrou­vent d’une façon ou d’une autre dans la pièce, mais cela reste beau­coup plus abstrait qu’un met­teur en scène qui monte LA TEMPÊTE de Shake­speare. Je me sens plutôt proche de l’écrivain devant la page blanche. Pour LES ARPENTEURS, nous avons choisi de tra­vailler sur le thème de la ville. Sou­vent, il faut don­ner un titre au pro­jet longtemps à l’avance. J’aimais l’idée de l’arpentage, car il ren­ferme à la fois l’idée de la mesure, du corps et du mou­ve­ment : on mesure l’espace avec son corps, la ville aus­si se mesure, on l’arpente avec des pas ; tout comme le danseur sur scène, qui s’invente et s’approprie l’espace scénique. Avec le scéno­graphe Alain Lagarde, les pre­mières dis­cus­sions ont porté sur com­ment sug­gér­er la ville, sans s’enfermer dans une vision trop con­crète ou anec­do­tique.

Bernard Debroux : Donc, si on prend ce pro­jet des ARPENTEURS, le départ est plutôt con­ceptuel ?

Michèle Noiret : Il s’agit de définir un con­cept sus­cep­ti­ble de s’ancrer dans un con­tenu. J’ai du mal à rêver mon pro­jet si je ne sais pas dans quel espace il va évoluer, quelle mod­u­la­tion sera pos­si­ble, com­ment les danseurs pour­ront l’habiter et le tra­vers­er. Au départ des répéti­tions des ARPENTEURS, il n’y avait qu’une maque­tte. On ne dis­po­sait pas des élé­ments scéno­graphiques, on ne pou­vait pas les touch­er, les manip­uler. Or sou­vent dans mon tra­vail, j’essaye que la scéno­gra­phie fasse par­tie inté­grante de la choré­gra­phie, qu’elle soit un vrai parte­naire qui con­di­tionne aus­si l’invention des mou­ve­ments : avoir des appuis, des obsta­cles. Avec LES ARPENTEURS, nous avons dis­posé de la scéno­gra­phie trois semaines avant la créa­tion. J’étais sou­vent en train de faire des hypothès­es et d’imaginer la présence de cette scéno­gra­phie en lais­sant de l’espace pour créer les mou­ve­ments au dernier moment, avec elle. Chaque pro­jet a donc sa pro­pre vie. Dans les pre­mières étapes de tra­vail, je con­stru­is un vocab­u­laire en créant des phras­es choré­graphiques sur lesquelles je peux m’appuyer. C’est un lan­gage comme un texte, qui va être don­né aux danseurs et qu’ils devront s’approprier. Ensuite, on le tri­t­ure dans tous les sens et là ils com­men­cent à le réin­ter­préter. À leur tour, sur des propo­si­tions pré­cis­es, ils vont inven­ter des phras­es per­son­nelles, etc. Et puis, il y a la recon­struc­tion con­stante du scé­nario, un fil rouge qui per­met à cha­cun d’avancer dans une direc­tion com­mune. Je vois le spec­ta­cle comme un mille-feuilles où toutes les couch­es se rejoignent à un moment pour pro­duire un tout cohérent.

Bernard Debroux : Il y a donc un temps impor­tant de pré­pa­ra­tion entre le con­cept de départ et la réal­i­sa­tion ?

Michèle Noiret : Pour LES ARPENTEURS, on peut compter un an et demi durant lequel j’ai ren­con­tré les autres parte­naires de la créa­tion : le com­pos­i­teur, par exem­ple. La com­po­si­tion musi­cale a été écrite pour les six musi­ciens des Per­cus­sions de Stras­bourg. Il a fal­lu décider quels types d’instruments allaient être util­isés, com­bi­en il y en aurait, quelle place ils prendraient sur scène, com­ment on les insér­erait dans la scéno­gra­phie… Nous avons fait plusieurs essais, car beau­coup de con­traintes entrent en jeu. Avant tout, le bud­get dont on dis­pose, ensuite la taille des scènes pour lesquelles le pro­jet est conçu, les jours de mon­tage dont on dis­pose en tournée, la lib­erté et la lis­i­bil­ité des mou­ve­ments et puis l’élimination des élé­ments super­flus, pour ne rester qu’avec ce qui est vrai­ment néces­saire au spec­ta­cle. Bien sûr, avant tout cela, il a fal­lu trou­ver les fonds, et ren­con­tr­er les copro­duc­teurs pour met­tre la pro­duc­tion en place. Les créa­tions s’enchaînent au rythme d’une par année et il faut com­bin­er tournées et créa­tion, car un spec­ta­cle doit vivre, pour mûrir et pren­dre toute son ampleur. Cela impose un rythme assez soutenu de tra­vail et un équili­bre dif­fi­cile, tou­jours réin­ven­té.

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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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