Entretien avec Lars Norén réalisé par Bernard Debroux
Bernard Debroux : Que pensez-vous du pouvoir du théâtre face aux médias tels que l’Internet, la presse écrite ou la télévision ? Le théâtre est-t-il devenu un art mineur ?
Lars Norén : Je ne pense pas. Le théâtre a survécu pendant près de deux mille ans et il est encore aujourd’hui très vivant. C’est toujours un lieu où vous pouvez voir des personnes vivantes raconter des histoires importantes à d’autres personnes. Si vous regardez la télévision, si vous allez voir un film au cinéma, vous pouvez vous protéger. Vous pouvez vous cacher, faire autre chose. Quand vous êtes assis dans un théâtre et que vous regardez ce qui se passe sur la scène, vous n’avez pas de défense. Il n’y a pas d’échappatoire. À l’école, de nombreuses leçons sont données sur le drame du nazisme et du néonazisme. Les jeunes vous diront qu’ils le savent et qu’ils en ont assez d’en entendre parler. Souvent, ils ne seront pas attentifs. S’ils viennent au théâtre et regardent ma pièce, ils ne peuvent plus se protéger. Ils doivent affronter la réalité. Ils sont sans défense. C’est le pouvoir du théâtre. Vous êtes seul au milieu du public. Même si vous êtes venu avec votre femme ou votre mari. Vous êtes seul avec l’histoire et les acteurs. C’est devenu très rare de nos jours.
Bernard Debroux : Croyez-vous dans le pouvoir de la catharsis qui aide les spectateurs à supporter le choc du théâtre ?
Lars Norén : Il existe différentes catharsis. Mon idée n’est pas de séduire le public avec de la musique, une belle lumière, un décor fantastique. Je veux que le public soit séduit par son esprit critique, que la pièce ait un effet sur lui. Vous pouvez avoir une émotion et l’instant d’après c’est fini, vous pouvez de nouveau être le même.Mais si le cerveau, l’esprit critique est touché, alors l’émotion persiste et vous pouvez être influencé. Notre théâtre a beaucoup évolué dans ce sens en Suède. Le système politique a été influencé.
Bernard Debroux : Vous avez des exemples ?
Lars Norén : Oui. Lors des représentations de CATÉGORIE 3.1., la ministre des Affaires sociales qui était dans le public a pleuré. Ensuite, elle a alloué un nouveau budget pour les sans-abri. Quand nous avons joué KYLA (Froid) et d’autres pièces qui traitaient du phénomène des personnes qui migrent en Suède pour y travailler mais qui n’ont pas de papiers, le dirigeant du syndicat le plus important du pays a décidé d’organiser ces travailleurs. Voilà deux exemples d’influence du théâtre sur des décisions politiques.
Bernard Debroux : Qu’apporte le Lars Norén dramaturge au Lars Norén metteur en scène, et vice-versa ?
Lars Norén : On m’a toujours demandé de mettre en scène. Ce n’était pas mon objectif, loin s’en faut. Je ne l’ai jamais voulu… Cela a commencé avec LA DANSE DE MORT de Strindberg en 1993. Depuis, j’ai toujours été invité à mettre en scène. Mais c’est un problème pour moi d’aller de la condition de metteur en scène à celle de dramaturge ou d’écrivain. Mettre en scène affecte mon écriture. Je suis aujourd’hui plus concentré sur l’écriture et aussi plus lent. J’ai mis un an à écrire ma dernière pièce. Auparavant, je pouvais mettre en scène et écrire le même jour. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Bernard Debroux : Mettre en scène reste-t-il une activité importante à vos yeux ?
Lars Norén : Non, je rêve du jour où je pourrais juste être un auteur. Peut-être en 2009 ? Dans un sens, c’est amusant parce que j’aime mettre en scène, j’aime les acteurs, j’aime ce travail mais ce que je veux vraiment faire c’est m’asseoir et écrire.


