[ Comme s’il m’avait un peu appartenu … ]
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[ Comme s’il m’avait un peu appartenu … ]

Le 24 Déc 1995
Article publié pour le numéro
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vitale. Ain­si, à chaque instant, provo­qués par Les mêmes actes, nos rires se mêlaient à nos san­glots et l’émerveillement à une hor­reur sacrée. 

Retourn­er, voilà le mot. Retourn­er et être retourné. Retourn­er dans le passé. Retourn­er aux émo­tions de l’en­fance enfouies sous l’armure médiocre de l’adulte. Retourn­er les idées reçues, les notions appris­es de beau ou d’harmonie, les con­ven­tions qu’on con­fond avec des con­vic­tions. Retourn­er les cœurs comme on retourne un gant. Retourn­er les âmes comme on retourne une peau trop petite, trop étroite ou trop vieille, qu’il faut arracher et sous laque­lle per­le le sang d’une chair nou­velle. Retourn­er au pre­mier cri de son nou­veauné, à la main tenue du père qui meurt, au ser­ment échangé, à l’innocence du désir, aux chars de Prague, à l’é­ter­nité de Jean-Sébastien Bach, aux illu­mi­na­tions de Niet­zsche, à la révéla­tion des Nymphéas, aux larmes de Pes­soa. Retourn­er à ce soir où je vis LA CLASSE MORTE et dont je sor­tis sans vis­age. Retourn­er. Retourn­er. 

PARLER DE KANTOR comme s’il m’avait un peu appartenu ?Qui pour­rait pré­ten­dre avoir con­nu les débuts de son Théâtre Clan­des­tin à Cra­covie ? Tadeusz était alors pein­tre, sculp­teur et scéno­graphe.

Gro­tows­ki pas­sait à l’époque pour le gourou absolu de l’a­vant-garde polon­aise mais il était, m’a-t-on dit, davan­tage dans les grâces du régime et se voy­ait plus facile­ment accorder les visas vers l’é­tranger. Sans doute les sautes d’humeur légendaires de Kan­tor n’arrangeaien­telles rien.

J’ai dû voir LA POULE D’EAU de Witkiewicz en ban­lieue parisi­enne, à Malakoff, puis revoir à Edim­bourg cet éton­nant spec­ta­cle en rond — en « long » plutôt — qui suc­cé­dait à quan­tité d’autres exploits que per­son­ne n’avait pu décou­vrir à l’Ouest.

Nous voulions le présen­ter, les ser­vices polon­ais avaient d’autres pri­or­ités. LA CLASSE MORTE fut présen­tée au Mick­ery à Ams­ter­dam, les bureau­crates s’é­tant human­isés à l’égard du désor­mais célèbre Cricot 2 de Cra­covie.

Le 140 put enfin l’héberger aux Halles de Schaer­beek et la car­rière plus que bril­lante de Kan­tor s’amorça, fêtée de fes­ti­val en fes­ti­val.

Il ne quit­tait plus la France ni l’I­tal­ie. Je l’ai cepen­dant retrou­vé à Cara­cas où on le déco­ra.

WIELOPOLE-WIELOPOLE s’inscrivait tou­jours dans la ligne de la boulever­sante CLASSE MORTE. QU’ILS CRÈVENT, LES ARTISTES me déçut, je l’avoue, par ses red­ites et ses inter­minables bavardages, le pub­lic d’Av­i­gnon applaud­is­sait par avance le spec­ta­cle. Ils avaient lu Le MondeLibéra­tion.

Puis d’autres, la répéti­tion d’une parole « voy­ante » d’une force et d’une sin­gu­lar­ité qui lui apparte­nait en pro­pre. Et tou­jours Tadeusz se prom­e­nait, mys­térieux, par­mi ses comé­di­ens tétanisés dans un enfer­me­ment de grande mis­ère mobil­ière.

Il dis­ait volon­tiers : « J’ai très bien con­nu Jean-Paul IT, nos écoles se touchaient, il était déjà très mau­vais comé­di­en ». Son humour était tou­jours chargé d’un peu de para­noïa. Il aura enfan­té un monde entre l’in­stal­la­tion et le théâtre, le pre­mier sans doute à nous appren­dre qu’un comé­di­en muet n’é­tait pas un mime mais un per­son­nage en sit­u­a­tion frag­ile.

Fal­lait-il faire du « Kan­tor » après la mort de celui-ci ? J’ai peur des mau­solées. 

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Écrit par Jo Dekmine
Jo Dek­mine Directeur du Théâtre 140 à Brux­elles depuis 1963. À révélé de nom­breux artistes et spec­ta­cles (le...Plus d'info
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