Texte rédigé par Katrin Ahlgren à partir d’un entretien avec Lars Norén et Claude Baqué (metteur en scène de la pièce Tristano) et basé sur l’expérience de la traduction et de l’interprétation pendant les mises en scène de l’auteur de ANNA POLITOVSKAÏA IN MEMORIAM (2007), LE 20 NOVEMBRE (2007), GUERRE (2003).
Qu’est-ce qui fait que les gens arrivent à survivre ? Même après avoir tout perdu et après avoir traversé les choses les plus horribles — la guerre, la terreur, le viol… Pourquoi certains continuent-ils à vivre pendant que d’autres cèdent et ne tiennent plus à la vie ? Ce sont des questions fondamentales dans l’œuvre de Lars Norén, aussi bien pour son écriture que pour ses mises en scène, un fil conducteur allant d’une pièce à l’autre.
« Si nous regardons nos vies en arrière, dit-il, c’est l’histoire de la mort. Tout le temps nous quittons quelque chose, c’est comme des épisodes de notre vie. Nous avons l’impression d’arriver au terme de tous ces épisodes, mais rien ne se déroulera comme prévu, un jour l’histoire s’arrêtera net. » Norén cherche souvent à exprimer la mort sur scène par des positions, avec une main qui s’immobilise au milieu d’un geste ou avec des mouvements très lents, un sourire ou un rire figé. « Je vois l’existence de cette manière, comme une danse, un mouvement, et quand le mouvement s’arrête,il n’y a plus rien. » Cette façon de travailler fait penser à un photographe qui compose des images, les scènes deviennent des impressions de vie. Les acteurs de Norén sont souvent libres de choisir la destinée qui convient à leurs personnages — et pour ceux qui prennent le chemin de la mort, il y a encore un choix important à faire…
Selon Norén, on peut distinguer plusieurs facettes de la mort. Il y a des gens qui n’arrêtent pas de penser à ce qu’ils n’ont pas pu réaliser, à ce qui n’est pas advenu comme ils l’avaient espéré ou pensé. Cela peut devenir obsessionnel et finalement réduire à néant toute ambition, c’est une sorte de mort dans la vie. Ensuite, il y a la mort réelle. Il paraît qu’au moment de mourir nous revoyons en accéléré tous les épisodes notre vie, des choses que nous avons vécues, petites et grandes, repassent dans notre conscience… Norén évoque aussi la mort sur le plan religieux, et fait allusion à Dante et à Swedenborg en disant que même dans le purgatoire, ou ce qu’il appelle « le royaume de la mort », nous pouvons choisir entre l’enfer et le paradis. Nous avons la possibilité de nous libérer de nos idées fausses et de notre culpabilité. La religion permet la rédemption.
Dans la pièce TRISTANO, le passage entre la vie et la mort est invisible. Six personnes viennent de dîner, ils restent assis autour de la table en se révélant les uns aux autres par des fragments de leur vie. Pour le personnage de la mère, la vie s’est arrêtée quand elle a appris la mort de sa fille. Elle refuse de voir que le monde change et que le temps passe, tandis que le père continue de mener la même vie qu’avant, en maintenant les structures établies. Finalement, c’est lui qui cède le premier et qui entre dans « le royaume de la mort » pendant que la discussion continue à se dérouler autour de leur identité juive et des grandes catastrophes du monde qu’ils suivent par les infos à la télé — la guerre dans le Golfe, au Moyen-Orient,en Afrique, le 11 septembre…
Nous trouvons une autre manière, plus directe et plus violente, de traiter la mort dans LE 20 NOVEMBRE. Ce monologue, écrit comme un poème, est composé des dernières paroles d’un garçon de dix-huit ans qui prépare un massacre dans son ancienne école. Plusieurs voix s’expriment dans ce texte où des pensées et des actions de violence générées par de jeunes révoltés s’entremêlent. C’est une sorte de suicide prolongé, ainsi qu’un appel au secours, mais l’aide ne lui parvient pas à temps… Personne ne peut arrêter le jeune homme car sa décision est prise. Son choix, c’est la mort physique réelle.

