Éloge de la lenteur — Notes sur Ricardo Bartìs créateur

Éloge de la lenteur — Notes sur Ricardo Bartìs créateur

Le 11 Juil 2008

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1.

DEPUIS son pre­mier tra­vail de mise en scène en 1985, il y a 20 ans, Ricar­do Bartfs a créé à peine une douzaine de spec­ta­cles, tous sont fon­da­men­taux dans l’histoire du théâtre argentin : TELARANAS, POSTALES ARGENTINAS, Ham­let o la guer­ra de los teatros, Muneca, El corte, El peca­do que no se puede nom­brar, Teatro PROLETARIO DE CAMARA, La ÛLTIMA CINTA MAGNÉTICA, Tex­tos por asalto, Donde mAs duele, De mal en peor, La PESCA. La moyenne est frap­pante : un spec­ta­cle tous les deux ans, env­i­ron. Non pas que Bar­ris mette en scène de temps en temps, tout au con­traire : il dirige sans cesse, il est tout le temps en train de men­er des recherch­es scéniques, seule­ment il prend de longues péri­odes pour la ges­ta­tion de ses spec­ta­cles. Ce qui le dis­tingue d’autres met­teurs en scène*, qui créent 3 ou 4 spec­ta­cles par an. Le temps d’élaboration est le pro­tag­o­niste de l’épaisseur poé­tique de ses créa­tions. La sin­gu­lar­ité de sa poé­tique est le résul­tat de lents proces­sus.

2.

Si les longs par­cours d’investigation et d’expérimentation sont indis­pens­ables dans le théâtre de Bartfs, c’est parce qu’il tra­vaille auto-poé­tique­ment : il per­met que la poé­tique théâ­trale se con­fig­ure elle-même. Bartfs part de la recherche en aveu­gle, à tâtons, ori­en­tée par l’intuition et le désir : on ne sait jamais tout à fait dans quelle direc­tion il va, et il entre­prend même des pro­jets qu’il peut aban­don­ner s’ils n’ouvrent pas de voies poé­tiques. L’investigation est la con­di­tion de pos­si­bil­ité pour les étapes de con­sti­tu­tion de la poé­tique. Sa vision est aux antipodes du théâtre con­ceptuel. Il y a un exem­ple remar­quable : en 2006 Bartfs a mené une inves­ti­ga­tion sur la struc­ture clas­sique d’HEDDA Gabler d’Ibsen, il s’est lais­sé empris­on­ner par l’architecture théâ­trale du texte norvégien, et au bout d’un an de tra­vail et de recherche, il a décidé de ne pas faire de créa­tion et de ne mon­tr­er que des répéti­tions à des groupes d’invités. Con­séquence de sa con­cep­tion auto-poé­tique, le lieu du met­teur en scène est pour Bartfs celui d’un inter­mé­di­aire, un catal­y­seur de la poésie théâ­trale. Bartfs n’imprime pas sa volon­té sur l’œuvre, il ne la con­duit pas où il veut, où il sait déjà : il lui laisse son pro­pre temps de ges­ta­tion, il va la décou­vrant. C’est pourquoi il con­sacre tant de temps à la for­ma­tion et aux répéti­tions. Bartfs écoute les matéri­aux qui appa­rais­sent peu à peu : il répète, il impro­vise, il enreg­istre, il tran­scrit, il note, il avance en étu­di­ant la forme qui est en train de se déploy­er sous ses yeux, incon­nue avant sa man­i­fes­ta­tion et qui acquiert le statut d’une appari­tion. Répéter c’est voir appa­raître une forme qui n’existe pas préal­able­ment. Il com­prend pas à pas ce que, autopoé­tique­ment, la pièce exige, c’est pourquoi à l’heure de définir sa poé­tique il par­le d’altérité, d’étonnement, d’un autre mys­térieux avec qui il dia­logue pour com­pos­er.

3.

Bartfs pour­suit, par-dessus tout, un théâtre d’états, et non pas un théâtre de représen­ta­tion. Comme il ne s’agit pas de « re-présen­ter », il n’y a pas de texte préal­able pos­si­ble. Il entend par théâtre d’états un théâtre des corps actoraux affec­tés par l’événement théâ­tral, par l’action poé­tique. Un théâtre où valent plus les présences que les absences, un théâtre d’ici et main­tenant, un théâtre du « entre » que génèrent des acteurs avec des acteurs et des acteurs avec des spec­ta­teurs.
Une con­vivi­al­ité à laque­lle on ne peut renon­cer, essen­tielle.
C’est pourquoi la sélec­tion des acteurs, comme la décou­verte de leurs pos­si­bil­ités expres­sives et de leurs savoirs, de leur plas­tique et de leur musique cor­porelle, est l’ingrédient fon­da­men­tal des proces­sus de recherche. Bartfs a besoin de temps car il doit laiss­er les acteurs don­ner leur opin­ion : le secret de son théâtre est de faire macér­er la matière cor­porelle de ses acteurs, com­pos­er une car­togra­phie de ce que sont ces corps et de ce qu’ils devi­en­nent, affec­tés par l’action poé­tique. Bartfs ne pro­lé­tarise pas ses acteurs en les soumet­tant à une forme ou à un texte : ses acteurs sont la matière et la final­ité de son théâtre. « Le texte est le vam­pire de l’acteur » — dit Bartfs dans son livre Can­cha CON NIEBLA —, c’est pourquoi l’acteur bar­tisien doit déchir­er, vio­len­ter les textes lit­téraires pour fonder son pro­pre texte depuis l’événement musi­cal des corps.

4.

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Écrit par Jorge Dubatti
Jorge Dubat­ti (Buenos Aires, 1963) est Doc­teur de l’Université de Buenos Aires (His­toire et théorie des arts). Pro­fesseur...Plus d'info
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