KITT SUR UN PLATEAU, c’est un vrai miracle. Ce n’est plus un corps, une personne, ce sont des paysages, des odeurs, des animaux étranges et familiers qui semblent prendre vie à partir de presque rien, d’un effleurement d’épaule, d’un regard détourné, d’un froissement de robe qui imperceptiblement crée une béance, un gouffre répercuté à l’infini dans le plissement de nos yeux. Car ses lumières sont chiches, à l’instar des longues veillées de son pays, le Danemark, ses spectacles sont des nuits sans fin qui voilent plus que dévoilent le vivant, cet intime infra-dermique, cette consolation des ténèbres qui gît dans les ténèbres, une petite flamme de geste, un glissement plus qu’une marche, de longs guets avant l’éclat, l’ébloui, le déboulis. Elle connaît la fixation tenace qui nous donne l’illusion de voir, comme quand on plonge le regard, longuement, dans le négatif du moulage d’un visage, et que, subitement, le positif, le rond de bosse apparaît, plein de vie, les joues qui rebondissent depuis le creux, la bouche qui s’ourle alors qu’elle n’était qu’un sillon.
Difficile de séparer le chorégraphique du poétique, quand ce petit corps tout de nerfs et d’aguets grandit sous nos yeux, quand la sorcière gémit dans le silence des mains, qui se parent d’ongles courbes, démesurés, pour redevenir menottes graciles l’instant d’après.
Kitt ne doit pas dépasser le mètre soixante dans le civil, sur scène c’est une géante, elle impressionne les contours, sa vibration la démesure.

Festival internationaldes Brigittines 2009.
Photo Per Morten Abrahamsen.
Et c’est dans la rareté des moyens qu’on doit, spectateur, apporter le superflu, la redondance de notre propre imaginaire : un trait donné, et à nous les fondus, le coloriage, les renflements de la couleur, ou le remplissage des mots. Si son trait est ferme, tranchant souvent, d’une précision redoutable, à nous les rêveries crépusculaires, les déhanchements de la pensée. Un trait, un geste, presque rien et ça bascule, pour le plus grand plaisir de l’être.
Kitt dans la vie, c’est un ravissement : douceur attentive, un peu appliquée, envers celle ou celui qu’elle écoute, qu’elle entend. Sourire à bras le corps, détermination dans le gant, jusqu’au bout de ses projets elle ira. Il en faut de la ténacité pour réveiller une culture danoise peu encline à la marginalité, ni tellement curieuse des méandres, de la recherche parallèle. Elle tient un axe, le tient bien, à quand sa prochaine apparition sur la scène des Brigittines ?




