Écrit peu après les cinq tableaux de GRINCEMENTS ET AUTRES BRUITS, ce texte en aurait constitué le sixième, si je n’avais préféré garder à la pièce son équilibre premier. S’il s’inscrit donc totalement dans la même thématique, rien n’empêche non plus de le représenter séparément. Et comme la thématique en question est, à l’évidence, inépuisable, peut-être même fera-t-il partie un jour d’une autre pièce qui s’appellera, par exemple, NOUVEAUX GRINCEMENTS ET BRUITS DIVERS…
Personnages :
Femme 1
Femme 2
Homme 1
Homme 2
Femme 1 : Les histoires d’amour, c’est vraiment désopilant.
Femme 2 : Dois-je comprendre que tu plaisantes, Henriette ?
Homme 1 : Laisse-la, Yolande. Tu vois tout de même bien dans quel état elle est.
Homme 2 : Justement. Il faut qu’elle s’exprime. Il faut qu’elle se libère.
Femme 1 : Toi, Yann, tu me dis de me libérer ?
Femme 2 : Mais enfin ! Ça n’a rien d’étonnant qu’il dise ça !
Homme 1 : Il a plu toute la journée. Ça nous met les nerfs en boule.
On devrait se divertir.
Homme 2 : Attends, Pierre-Etienne. Attends. Il se dit ici des choses intéressantes.
Dis-moi pourquoi, Henriette, je ne te dirais pas de te libérer.
Ça m’amuserait de le savoir.
Femme 1 : Parce que c’est de toi que je dois me libérer, tiens ! Mais oui, Yann,
de toi ! Même si ça ne te plaît pas, c’est comme ça ! Désopilant, non ?
Femme 2 : Non, pas du tout. Pas du tout désopilant, comme tu dis.
Homme 1 : Yolande, je te le répète : ne t’en mêle pas. Pourquoi insistes-tu
lourdement ?
Homme 2 : N’en fais pas tout un drame, Pierre-Étienne ! Tu connais Henriette,
tu sais qu’il lui arrive de traverser des moments difficiles.
Femme 1 : Des moments difficiles ! Un bel euphémisme !
Femme 2 : Je n’ai pas à trouver, puisqu’il paraît que j’insiste lourdement.
Sans reproche, Pierre-Etienne !
Homme 1 : Et voilà ! Elle s’est vexée ! Mon cher Yann, réponds-moi en toute
franchise : est-ce que Yolande se vexait aussi pour un oui ou pour
un non quand elle était ta femme ?
Homme 2 : Est-ce que Yolande se vexait pour un oui ou pour un non ?
Bonne question. Si on la laissait répondre elle-même ?
Femme 1 : C’est comme je Le disais : les histoires d’amour, c’est vraiment
désopilant.
Femme 2 : Bravo, Yann. Tu aurais pu répondre n’importe quoi, de toute façon
tu aurais apporté de l’eau à son moulin.
Homme 1 : Voilà, c’est bien ce que je disais, elle est vexée.
Homme 2 : Mais toi, tu es très énervé.
Femme 1 : Et toi, Yann, tout va bien ?Tout va bien, n’est-ce pas ?
Femme 2 : D’ailleurs, je n’ai aucune raison d’être vexée. Pourquoi serais-je vexée ?
C’est tout l’art de Pierre-Étienne, ça ! Me mettre gentiment
en porte-à-faux, me rendre de plus en plus vulnérable. Il est très fort.
Sans reproche, Pierre-Étienne !
Homme 1 : Je t’ai simplement demandé de ne pas insister lourdement.
Si Henriette traverse un moment difficile, il n’est tout de même pas
utile d’insister lourdement. Et toi, tu te vexes !
Homme 2 : Tu vois ta chance, Henriette ! Tu as un allié dans la place !
Ton ex en personne ! Alors, oui, je te Le dis très franchement :
pour moi, tout va bien !
Femme 1 : Ne sois pas ironique. J’apprécie la sollicitude de Pierre-Etienne.
Vraiment, j’apprécie. Même si jadis on formait un couple désopilant,
nous aussi.
Femme 2 : Ce merveilleux couple soi-disant désopilant, d’habitude quand
tu l’évoques il ne te fait pas beaucoup rire.
Homme 1 : C’est du passé, bon Dieu ! À quoi bon aller trifouiller
dans le passé !
Homme 2 : Puisque tu t’es libérée de Pierre-Étienne, eh bien, vas‑y !
Maintenant, libère-toi de moi ! Qu’est-ce que tu attends ?
Femme 1 : Je ne sais pas ce que j’attends. Je suis si lasse, tout à coup.
Si lasse.
Femme 2 : Moi non plus, avec Yann, je ne savais pas ce que j’attendais. Alors, j’ai attendu cinq ans de trop. Et ça n’avait rien de désopilant, je t’assure, Henriette. Sans reproche, Yann !
Homme 1 : Je préfère vous le dire tout net et tout de go : je n’aime pas trop le tour que prend cette conversation. Une bonne partie de scrabble, ça ne vous dirait rien ?
Homme 2 : Attends. Je suis persuadé qu’Henriette a encore quelque chose à nous dire. Quand elle déclare une brusque baisse de tension, c’est qu’elle a encore quelque chose à dire.
Femme 1 : C’est bien, je le dis. Puisque tu veux l’entendre, je le dis. La nuit passée, j’ai rêvé que je te tuais, Yann. Je conduisais la voiture, tu étais à côté de moi, je dérapais, on allait contre un arbre. Moi, je n’avais rien mais toi, tu étais mort. Alors dans mon rêve j’ai pensé : ce n’est pas ma faute, ce n’était qu’un accident.
Femme 2 : Henriette, tu me fais peur. C’est à peine si je te reconnais.
Homme 1 : Je vous répète que le mieux dans ces cas-là, c’est Le scrabble.
Ou alors vous préférez une vidéo ? J’ai un de ces pornos suédois de derrière les fagots …
Homme 2 : En fait, elle tire de plus en plus fort sur la corde pour voir à quel moment ça casse. Pour tout vous avouer, ça fait plus de huit jours qu’elle tire. Une traction très attractive, si vous voyez ce que je veux dire.
Femme 1 : Tu les entends, Yolande ? Au fond de lui-même, le mâle éternel est inquiet. Tu sais pourquoi ? Parce qu’il déteste entendre dire que les histoires d’amour, c’est vraiment désopilant. Alors il se met à plaisanter.
Femme 2 : Oh ! Moi, je comprends très bien que tu veuilles te libérer de Yann ! Je le comprends même parfaitement !
Homme 1 : Tu te trompes, Henriette. Moi, je ne plaisante pas.
Homme 2 : Pierre-Etienne ne plaisante jamais, c’est bien connu.
Femme 1 : Ou si le mâle ne plaisante pas, il propose de se rabattre sur le porno. Ça revient au même, en somme.
Femme 2 : Moi, vivre avec un homme qui n’est pas capable de plaisanter, ça ne me rend pas nécessairement heureuse. Sans reproche !
Homme 1 : Merci, merci, Yolande, n’en jette plus ! Evidemment, ça t’amuse de jeter de l’huile sur le feu. Toi, Henriette, tu as quelque chose contre Le porno ? C’est nouveau, ça !
Homme 2 : Yolande a tout de même le droit de s’amuser. Moi aussi, je m’amuse.
Femme 1 : Moi je trouve que tu as l’air inquiet.
Femme 2 : Mais non, ça fait partie de son amusement. C’est le trac du grand acteur au moment où il entre en scène.
Homme 1 : Yolande, pardonne-moi d’être grossier mais tu nous les casses. Avec tes comparaisons à la noix, tu nous les casses.
Homme 2 : Moi, je trouve au contraire que Yolande est charmante, carrément charmante.
Femme 1 : Yann, est-ce que tu te rends compte que tu fais tout pour que je réussisse ?
Femme 2 : Pour que tu réussisses quoi ? Vas‑y ! Dis-le !
Homme 1 : Qu’est-ce que tu cherches, Yolande ? Et toi, Yann ?
Homme 2 : Tu n’avais pas compris, Pierre-Etienne ? Henriette veut réussir à remettre le grappin sur toi.
Femme 1 : Mais Yann, est-ce que tu deviens fou ?
Femme 2 : Bien sûr qu’il avait compris ! Pierre-Etienne, c’est un faux naïf ! Sans reproche ! Eh bien, tant mieux si je les lui casse ! Est-ce que je dois me laisser faire ?
Homme 1 : Fais très attention, Yolande.
Homme 2 : Fais très attention, toi aussi, Pierre-Etienne. Quand Yolande devient carrément charmante, fais attention.
Femme 1:Yann, je ne supporte absolument pas la façon dont tu parles à Pierre-Étienne. Je ne supporte absolument pas ce que tu dis.

