SI JE ME SOUVIENS BIEN, j’ai rencontré Paul Emond peu de temps après avoir vu sa pièce LES PUPILLES DU TIGRE dans une mise en scène de Philippe Sireuil. C’était en 1986. Je venais de m’installer en Belgique et je crois que c’était le premier spectacle que je suis allé voir. En tout cas celui dont je garde encore des images très nettes. Un peu plus tard, j’ai découvert PAYSAGE AVEC HOMME NU DANS LA NEIGE. Je me souviens que j’ai lu ce roman d’un seul trait, le souffle coupé par la force des images, la poésie, la cruauté et la solitude qui se dégageaient. Un jour, en 1989, j’avais téléphoné à Paul pour lui demander s’il connaissait quelqu’un qui pourrait faire l’adaptation DES CHÂTEAUX MAGNIFIQUES, d’‘Eugène O’Neill pour le Théâtre de l’Ancre. « Oui, moi ! », m’a-t-il répondu et on a commencé à travailler ensemble.
Paul Emond a réalisé trois adaptations pour moi et à chaque fois son approche était tout à fait autre. « Je m’entraîne », disait-il. « J’apprends énormément quand je dois pénétrer dans un univers et une technique d’écriture qui est très différente de la mienne. » Pour LES CHÂTEAUX MAGNIFIQUES, Paul a fait plutôt une adaptation, avec un dialogue beaucoup plus condensé et plus dynamique que l’original, tout en respectant l’esprit de l’œuvre de O’Neill. Pour LE ROI LEAR au contraire, il fallait rester le plus près possible de l’original. Il m’est impossible d’appeler le travail que Paul Emond à fait une traduction. Il fallait recréer en français les trois niveaux de langue qui existent dans la pièce : prose rythmée, vers blancs et vers avec des rimes. Il fallait surtout retrouver la force immédiate des images ainsi que le côté pulsionnel de la langue shakespearienne. Ceci permettait aux comédiens de jouer des personnages dominés par leurs passions et non des ombres rhétoriques qui décrivent avec art ce qui devrait être leurs passions.
Un jour Paul Emond m’apprend que sa nouvelle pièce, INACCESSIBLES AMOURS, était entrée au répertoire du Rideau de Bruxelles. C’était en 1991. II me proposait de la monter et m’a fait Lire la pièce. Je me souviens de mes premières impressions : des personnages simples sortis directement d’un café populaire de Bruxelles. Mais en même temps ces homoncules comme ceux de la peinture de Bruegel ou des pièces de Gogol dépassaient largement les frontières nationales, puisqu’ils parlaient de l’éternelle solitude de l’être humain et de la quête désespérée de l’autre. Et puis tout cela était décrit avec beaucoup d’humour. J’ai accepté aussitôt.
Notre dernier travail ensemble était LETTRES D’AMOUR DE PIRANDELLO À MARTA ABBA pour le Rideau de Bruxelles. À partir de la correspondance des dix dernières années de la vie de Pirandello, il fallait créer Le personnage de l’homme de théâtre, du Solitaire Créateur qu’est l’écrivain face à ses personnages, ses rêves et ses folies. On s’est entendus très vite, en très peu de mots ; parce que ce sont, je pense, des thèmes chers à Paul Emond.
Ceci pour le passé. Pour l’avenir, j’espère trouver un jour un producteur pour MALAGA ou LE ROYAL…

