EN TRAVAILLANT sur CONVIVES de Paul Emond j’ai fait une découverte qui allait se montrer pleine de conséquences pour mon travail : un texte n’est pas un texte. À cette époque j’étais à la recherche d’autres formes de théâtre que celles que je connaissais et pratiquais auparavant. Si la rencontre était pour moi propice, c’était certainement parce que CONVIVES n’est pas une pièce qu’on monte en suivant un mode d’emploi convenu mais plutôt une sorte de laboratoire en forme de texte qui actionne une série d’expériences humaines.
La particularité sied dans le fait que les textes « n’appartiennent » pas aux personnages. Cela fonctionne plutôt comme le renvoi de mélodies d’un instrument à l’autre dans une œuvre musicale. La parole ne prend pas son sens dans une quelconque prédisposition psychologique du personnage qui l’énonce, mais dans l’interchangeabilité, dans la logique de l’instant même, de la circonstance — qui peut être ludique, méchante, voire un peu perverse. Ce qui crée un univers de dépossession de l’individu, de confusion identitaire qui rend cette écriture éminemment contemporaine.
Tout cela demande au comédien une sorte de complément d’écriture. Le personnage n’existe pas, il est entièrement à inventer à partir de quelques indices extérieurs. Tout le monde semble étrangement dépourvu d’histoire et le peu que nous apprenons sur les uns et les autres peut être vrai ou inventé. Aujourd’hui cela me fait penser à un roman de Paul Theroux qui parle d’un homme qui se perd dans les multiples identités qu’il se fabrique dans des rencontres anonymes avec des femmes qu’il contacte en répondant à des annonces dans les journaux.
Il y avait un parti pris particulier dans notre approche : la pièce est composée de séquences courtes et séparées et nous avons essayé de donner l’illusion d’une continuité. Pourquoi ?
Nous avions l’impression que la continuité permettait de mieux gérer l’énergie du comédien. La circulation des textes, les phrases volées dans la bouche de l’autre, suggèrent une lente montée de la température et de la pression, de façon à ce que les mots commencent à danser comme des molécules dans une éprouvette. Il fallait qu’on voie le rythme d’une soirée qui dégénère. De la circulation il en fallait dans tous les sens : sur scène d’abord (pour bien essorer les fêtards !): l’espace se composait de neuf portes qui formaient trois parois en position fermée et un labyrinthe de portes battantes dans les deux sens en position ouverte. Et circulation dans le temps aussi : une petite mascarade érotique en début de soirée était enregistrée en vidéo à l’insu des hôtes — plus tard dans la soirée, la cassette est mise par erreur dans le lecteur, et les images apparaissent sur l’écran. Façon de créer un tour d’essorage de plus.
SI J'AI VOULU monter INACCESSIBLES AMOURS et MALAGA, c’est d’abord pour le plaisir que les textes de Paul Emond me…

