L’auteur, le marionnettiste et le veau à deux têtes

L’auteur, le marionnettiste et le veau à deux têtes

Le 26 Avr 2002

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Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives ThéâtralesVoix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
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Le plus beau de nos mythes n’est ni Faust ni Don Juan, mais le mythe de Pinoc­chio.

Valère Nova­ri­na

ATTENDU DEPUIS LONGTEMPS, anticipé par quelques rares explo­rateurs tels que Dominique Houdart et Jeanne Heuclin dans leur longue col­lab­o­ra­tion avec Gérard Lépinois, ou bien François Lazaro dans son dia­logue avec Daniel Lemahieu, pré­paré par des arti­cles1, des ren­con­tres, des ate­liers2, le rap­proche­ment du théâtre de mar­i­on­nettes et des nou­velles écri­t­ures théâ­trales de langue française est devenu aujourd’hui une réal­ité de plus en plus per­cep­ti­ble, de mieux en mieux partagée. Nul doute, à ce point, que le rôle pio­nnier d’institutions telles que l’Institut Inter­na­tion­al de la Mar­i­on­nette à Charleville-Méz­ières ou, plus récem­ment, THEMAA et le Cen­tre Nation­al des Ecri­t­ures du Spec­ta­cle à Vil­leneuve-lès-Avi­gnon, doit être con­sid­éré comme l’un des fac­teurs déter­mi­nants de cette évo­lu­tion : en effet, l’éclatement et la fragilité endémiques des com­pag­nies de mar­i­on­net­tistes, réfugiées mas­sive­ment sur le ter­rain de l’adaptation ou du mon­tage quand elles ne com­posent pas elles-mêmes leurs textes, ne les prédis­posent guère à l’expérimentation d’écritures plus exigeantes ; et, lorsqu’elles s’y risquent de leur pro­pre ini­tia­tive, la frilosité des pro­gram­ma­teurs à l’égard des auteurs immé­di­ate­ment con­tem­po­rains con­tribue assez peu à les encour­ager. Le change­ment que nous voyons s’amorcer résulte donc bien d’une poli­tique volon­tariste de for­ma­tion, de com­mande, d’invitation, de mise en rela­tion d’individus et d’expériences, au terme de laque­lle il faut espér­er que s’établira une rela­tion plus mature entre écrivains et mar­i­on­net­tistes, et que cesseront les pra­tiques encore trop répan­dues de l’emprunt inavoué, de l’accumulation hétéro­clite et de toutes les formes du brico­lage des matéri­aux textuels.

Entrée des auteurs

Observée depuis l’étranger, ou bien sim­ple­ment dans l’oubli de l’histoire récente de la scène française, une telle sit­u­a­tion appa­raît sans doute dif­fi­cile­ment com­préhen­si­ble, et les enjeux d’une entrée des textes de Didi­er-Georges Gabi­ly, Philippe Minyana, Roland Fichet, Kos­si Efoui, Valère Nova­ri­na3 au réper­toire de ces com­pag­nies ou sur le ter­rain de ces expéri­men­ta­tions risquent d’être insuff­isam­ment perçus. En effet, il ne s’agit pas seule­ment, pour les mar­i­on­net­tistes (même si par ailleurs cet objec­tif n’est tou­jours pas atteint), d’acquérir une plus grande légitim­ité sym­bol­ique et une meilleure vis­i­bil­ité insti­tu­tion­nelle en s’affranchissant des ter­ri­toires exi­gus de l’enfance ou du folk­lore à l’intérieur desquels on tend régulière­ment à les ren­fer­mer. Ce qui est en jeu dans la ren­con­tre du théâtre de mar­i­on­nettes et des écri­t­ures con­tem­po­raines intéresse aus­si et au pre­mier chef ces dernières, dans leurs dimen­sions artis­tiques par­ti­c­ulières. Pour des raisons his­toriques qu’il serait trop long de dévelop­per ici, mais au nom­bre desquelles il faut au moins compter la démo­li­tion sys­té­ma­tique des codes dra­maturgiques con­duite par les auteurs des années 1950, ain­si que la prise de pou­voir exclu­sive des met­teurs en scène au cours des deux décen­nies suiv­antes4, l’écriture théâ­trale de langue française a pu, de 1965 à 1985 env­i­ron, paraître asthénique aux yeux de l’observateur pressé ou inat­ten­tif, et la pro­fes­sion d’auteur dra­ma­tique sem­bler tomber dans l’oubli. Jusqu’au début des années 1990 encore, jour­naux et mag­a­zines con­tin­u­aient de con­sacr­er des dossiers ou des édi­to­ri­aux sur le thème large­ment rebat­tu de la dis­pari­tion des auteurs5, et un jeune met­teur en scène pou­vait déclar­er :

Il y a très peu de grands auteurs par époque. Sur la péri­ode de Tchékhov, eh bien… il y a Tchékhov ! Après vien­nent Brecht, puis peut-être un ou deux autres. Aujourd’hui ? Hein­er Mil­li­er, Thomas Bern­hard… Peut-être pas plus que ça. Mais ça n’est pas grave. On a tou­jours assez de matière avec toute la lit­téra­ture théâ­trale. Hau­teur de théâtre dans le sens clas­sique est une notion qui n’a peut-être plus beau­coup de sens aujourd’hui.6

De manière para­doxale, c’est dans ce con­texte général d’indifférence ou de soupçon à l’égard de l’écriture théâ­trale con­tem­po­raine qu’une nou­velle généra­tion d’auteurs, qui s’impose pro­gres­sive­ment à par­tir du milieu des années 19807, s’engage sur la voie d’une rad­i­cal­ité esthé­tique et d’une poétic­ité où aucune dra­maturgie (celles de langue alle­mande excep­tées) ne s’est à la même époque aus­si mas­sive­ment aven­turée. Le pri­mat de la fable, la resti­tu­tion réal­iste (voire nat­u­ral­iste) des modes de vie con­tem­po­rains, l’engagement poli­tique ou social explicite, ces dimen­sions essen­tielles de la créa­tion théâ­trale d’aujourd’hui chez la plu­part de nos voisins européens sont ici comme sus­pendues au prof­it d’une dou­ble explo­ration : celle des pou­voirs de la langue, ou plus exacte­ment de la parole, d’une part ; et celle des pro­to­coles de la représen­ta­tion, d’autre part.
L’une et l’autre de ces explo­rations emprun­tent les chemins les plus diver­si­fiés. Toutes deux, cepen­dant, par­tent d’un même refus : celui du lam­i­nage de la langue et de l’imaginaire sous la pres­sion des mod­èles que véhicu­lent les média. Du côté de la parole, ce peut être le débor­de­ment du per­son­nage par une mémoire qui le sub­merge, la faille qui se des­sine entre le réal­isme de la sit­u­a­tion dra­ma­tique et le développe­ment lyrique du dia­logue, la découpe en vers libres de la phrase, les dis­tor­sions syn­tax­iques et les néol­o­gismes, l’entrelacement des reg­istres expres­sifs, des par­lers régionaux et des langues. Du côté de la représen­ta­tion, on observe par exem­ple la dis­lo­ca­tion du texte en frag­ments nar­rat­ifs, dra­ma­tiques et lyriques (ce que Jean-Pierre Sar­razac, dans L’AVENIR DU DRAME8, nomme la rhap­sodi­s­a­tion des écri­t­ures con­tem­po­raines), la trans­for­ma­tion des didas­calies en nar­ra­tion sub­jec­tive, la non-attri­bu­tion des répliques et, de façon générale, tous les procédés par lesquels l’auteur, loin de faciliter le pas­sage au plateau, sem­ble au con­traire mul­ti­pli­er les obsta­cles ou les défis à l’ingéniosité du met­teur en scène.
Ceci établi, en quoi pou­vons-nous sup­pos­er que ces textes intéressent le théâtre de mar­i­on­nettes, et sur quelles bases spé­ci­fiques la rela­tion nais­sante entre les mar­i­on­net­tistes et les auteurs d’aujourd’hui s’est-elle con­stru­ite ? Il ne s’agit évidem­ment pas, ici, d’apporter une réponse générale et défini­tive à ces ques­tions, mais plutôt d’esquisser des hypothès­es de réflex­ion capa­bles de les éclair­er à par­tir de quelques propo­si­tions artis­tiques récentes.

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Écrit par Didier Plassard
Après avoir longtemps enseigné à Rennes, où il a fondé le Départe­ment Arts du spec­ta­cle, Didi­er Plas­sard est...Plus d'info
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Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
#72
avril 2002

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