LE TRAVAIL DE LA LANGUE, en poésie, est un travail de la matière. Le fait qu’un texte véhicule du sens est une condition nécessaire, mais absolument pas suffisante. Le poème est — aussi — un objet. Le poème dans un univers de marionnettes, ou de théâtre d’objets, est un objet parmi d’autres. La parole distanciée du manipulateur — même grimée — laisse le poème exister aussi nu que sur la page.
Définir ce qu’est le poème ? Ce mot, je l’entends ici dans un sens large, incluant par exemple le dialogue, ou la parole démultipliée, ou même le récit, mais avec cette condition d’un travail sur la langue, d’une plongée dans une matière de langue, d’une parole à la fois puisée au centre du corps et simultanément sculptée à distance.
Le voisinage avec les créatures de bois et de tissu n’encombre pas les mots qui deviennent un peu — eux aussi — des créatures de bois et de tissu. Ce dont ils rêvent. Une parole dense, resserrée, toujours difficile à porter par un acteur, peut devenir aussi légère qu’un pantin au milieu des objets, car objet elle-même, aussi légère que la feuille de papier qui la portait à l’origine. Écrire en poésie, c’est manipuler les mots comme de minuscules marionnettes, avec ce savoir permanent qu’ils sont toujours beaucoup plus que ce qu’ils paraissent, et beaucoup plus que tout ce que l’on peut en dire. Les poètes autant que les marionnettistes savent que les objets qu’ils manipulent, parfois, les dépassent.
Marionnettes, objets animés, la poésie la plus contemporaine est votre sœur de lait, et le travail sur les mots est d’un apprentissage tout aussi long et délicat que celui d’apprendre à vous construire et vous manipuler. Placez-vous devant toutes sortes de textes, écoutez-les ! Choisissez des textes qui vous ressemblent, des textes qui appartiennent à votre monde : compacts, incisifs, résistants au temps et comme prélevés dans des univers parallèles, coupés de la réalité des hommes ou alors, la (re)visitant avec toute l’acuité d’un regard plus ouvert, un regard — en quelque sorte — avec un pied dans la quatrième dimension.
Je me dis parfois que c’est notre capacité à nous mouvoir de façon autonome qui nous enferme dans des espaces restreints, sous la dictée du temps. Les marionnettes — les figures de bois, tissu, papier — par leur immobilité première, leur relative ignorance du temps, auraient un accès permanent à d’autres dimensions, d’où elles nous regarderaient — pourquoi pas ? — avec une pointe d’amusement.
Marionnettistes, inventeurs et créateurs d’objets magiques, allez chercher les poètes, les plus fous, les plus loin des mondes matériels, les plus loin des modèles éculés du dix-neuvième, ou même du vingtième, et séquestrez-les dans un castelet ! Ou placez-leur de force une marionnette à gaine dans la main gauche, une craie dans la main droite ! Ou plus simplement, emmenez-les en promenade au cœur de vos ateliers en dégustant un bon Saint-Joseph ! Vous verrez bien ce qu’il en sortira !
Texte publié en 1999 dans la revue Compresse (Strasbourg) et donné en lecture: au théâtre de la Croix-Rousse, par la…

