Le terrain du dialogue
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Le terrain du dialogue

Entretien avec Alain Lecucq, de la compagnie Papierthéâtre

Le 14 Avr 2002
Article publié pour le numéro
Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives ThéâtralesVoix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
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Eve­lyne Lecucq : En tant que met­teur en scène de spec­ta­cles de mar­i­on­nettes, ou de théâtre d’acteurs, tu montes depuis des années des auteurs con­tem­po­rains. Qu’est-ce qui t’a amené à entre­pren­dre une démarche qui appa­raît, dans sa con­stance, comme un véri­ta­ble sou­tien à l’écriture de notre temps ?

Alain Lecucq : La danse con­tem­po­raine ! (rires). Je m’explique. C’est à tra­vers la richesse de la créa­tion dans ce domaine que j’ai ressen­ti la néces­sité d’inscrire résol­u­ment mon tra­vail dans un dia­logue avec notre époque. Il faut dire que ma for­ma­tion à l’art du spec­ta­cle s’est faite pen­dant deux ans, à Lon­dres, dans les années 70, auprès de John Wright, un grand maître de la mar­i­on­nette à fils. Ses mis­es en scène ne s’écartaient pas de la tra­di­tion et de la forme du con­te. Ma cul­ture était clas­sique — à l’exception d’un goût très mar­qué pour le nou­veau roman — et, au milieu de son équipe, je vivais dans un univers « immo­bil­isé ». Grâce aux invi­ta­tions que nous rece­vions, j’ai fini par sor­tir beau­coup et par décou­vrir où en étaient les autres arts : la pho­togra­phie, la musique, les arts plas­tiques en général, et surtout la danse con­tem­po­raine avec l’explosion formelle de Cun­ning­ham ou Nikolai’s… Cela a déclenché en moi une pro­fonde révo­lu­tion men­tale et, en par­tant créer ma com­pag­nie, j’ai eu la con­vic­tion qu’il ne s’agissait plus de revis­iter un quel­conque réper­toire mais d’explorer ce que nous étions en train de vivre.

Pen­dant des années, j’ai mon­té des spec­ta­cles d’ombres, pour les adultes ou pour la jeunesse, dans cet esprit. Plus tard, avec des acteurs, j’ai mis en scène Enzo Cor­mann, Copi, Hein­er Müller… En con­trepar­tie, mes activ­ités pour met­tre en valeur le théâtre de papi­er ne sont pas entrées immé­di­ate­ment dans cette démarche. J’ai plutôt essayé, dans un pre­mier temps, de porter un regard ironique et mod­erne sur des sujets anciens à la façon du cabaret. Et le tour­nant a été pris, dans ce domaine égale­ment, lors de ma ren­con­tre avec Michel Deutsch. Il est venu à Troyes, où ma com­pag­nie est implan­tée, grâce à une man­i­fes­ta­tion sur les auteurs con­tem­po­rains qu’organisait une librairie en parte­nar­i­at avec les édi­tions de l’Arche. Il m’a vu jouer du théâtre de papi­er, et m’a pro­posé de mon­ter sa pièce Empire-col­lage.

E. L.: À par­tir de là, tu as tra­vail­lé sur des textes de Bap­tiste-Mar­rey, Matéi Vis­niec et, en dernier lieu, Mohamed Kaci­mi, auteurs que tu as tous ren­con­trés. Est-ce que le con­tact direct avec celui qui écrit, par la pos­si­bil­ité d’échanges et de dia­logues qu’il implique, joue un grand rôle dans tes choix ?

A. L.: Je ne passe pas du tout com­mande d’un sujet à un auteur. Je ne lui demande pas non plus d’écrire pour une matière formelle. Ce sont des atti­tudes pos­si­bles mais que je n’adopte pas. Mon désir naît de la lec­ture d’un texte préex­is­tant, dans le plaisir que provoque sa for­mu­la­tion com­plète. Une fois que l’envie de m’approprier cette langue existe, je suis très heureux de dia­loguer avec son auteur.

E. L.: Cette néces­sité d’un texte qui est allé jusqu’au bout de sa propo­si­tion paraît liée à une autre con­stante dans ton par­cours, dès son orig­ine — et y com­pris lorsque tu pra­ti­quais cette forme de théâtre de papi­er que tu rap­proches du cabaret et que je nom­merais plutôt « épique » parce que totale­ment dépourvue de gra­tu­ité —, c’est la référence impor­tante au monde, à la société, au poids de l’Histoire. Cela peut pren­dre des détours à peine voilés comme chez Matéi Vis­niec, mais, du Maïakows­ki de tes débuts au référent israé­lo-pales­tinien de la pièce de Kaci­mi, le fil poli­tique est net­te­ment ten­du.

A. L.: …C’est tout à fait juste. Néan­moins, ce n’est pas du tout le fruit d’une prémédi­ta­tion. La dimen­sion poli­tique est dans le ques­tion­nement, pas dans le mil­i­tan­tisme. J’ajouterai qu’on retrou­ve tou­jours l’histoire d’une rela­tion amoureuse forte dans mes spec­ta­cles, à l’exception de la pièce de Matéi…

E. L.: Le con­texte d’oppression men­tale, que Matéi nous livre dans Théâtre décom­posé, la rend inviv­able !

A. L.: Son texte évoque, dès le début, un cer­cle dans lequel cha­cun vit seul. Impos­si­ble d’y vivre à deux. L’exclusion de l’autre est posée. Elle est en creux, elle n’est pas éludée.

E. L.: Cette notion idéologique nous ramène au sens de l’Histoire…

A. L.: Et à mon goût pour les auteurs con­tem­po­rains… Nous pou­vons rap­procher les pièces du puz­zle si j’ajoute que la forme par laque­lle je m’exprime, le théâtre de papi­er, est conçue pour un petit pub­lic. Elle crée une rela­tion très proche avec les spec­ta­teurs qui engen­dre sou­vent des dis­cus­sions après la représen­ta­tion. Autrement dit : j’aime inter­préter un auteur vivant avec lequel j’ai pu échang­er des pistes de recherche, j’aime ren­con­tr­er directe­ment un spec­ta­teur avec lequel je peux par­ler du fruit de ces recherch­es. Non pas pour don­ner des répons­es mais pour se pos­er des ques­tions ensem­ble et dia­loguer.

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Écrit par Évelyne Lecucq
Évelyne Lecucq est jour­nal­iste et dirige Mû, pub­li­ca­tion consacrée à l’art de la mar­i­on­nette.Plus d'info
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Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
#72
avril 2002

Voix d’auteurs et marionnettes

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