LA PREMIÈRE CHOSE que l’on remarque lorsque l’on juxtapose les différentes productions du chorégraphe allemand Arco Renz, c’est l’intensité de la présence des artistes sur la scène : calmes et inertes, se déplaçant à peine dans l’espace, ou soudain hyper-cinétigues et investissant la totalité du plateau, ils semblent toujours poussés par une force et une énergie intérieures considérables. Dynamique à outrance et immobilité absolue sont les deux extrêmes d’une zone de tension que les corps de ses danseurs essaient de concilier. Évoquant cette présence scénique, Arco Renz renvoie à un spectacle de kathakali qu’il a vu à Paris, qui l’a complètement subjugué, et qui a amorcé sa fascination durable pour l’intensité de la présence et l’énergie qui se dégage de cette tradition artistique orientale. Après cette première rencontre, il s’est rendu régulièrement en Orient pour étudier les techniques et la théorie qui permettent cette présence forte des artistes orientaux.
Ce contact suivi avec des traditions gestuelles orientales très différentes (opéra chinois, danse balinaise, Tai Chi, etc.) l’a conduit à élaborer ses propres principes fondamentaux, où une énergie extrême est employée pour une action la plus infime possible. C’est précisément l’inverse de ce que nous faisons dans notre quotidien, où nous essayons d’être aussi économes que possible de notre énergie. Ses danseurs semblent ainsi au repos quand ils donnent le maximum, et hyper-dynamigues quand ils bougent à peine.
Arco Renz semble avoir été prédestiné à une carrière de danseur et chorégraphe. Ses parents ont une école de danse dans le nord de l’Allemagne, et l’ont envoyé très jeune dans une école de ballet. Mais à l’âge de dix ans, il abandonne tout, et suit plus tard une formation de théâtre. Celle-ci étant centrée sur le théâtre traditionnel, il est rapidement insatisfait de cette forme de théâtre très psychologique et orale. À Paris, il découvre le théâtre plus physique de Jacques Lecocq et arrive presque par hasard dans un atelier d’Anne-Teresa De Keersmaeker, lors des derniers préparatifs de la création de P.A.R.T.S. en 1994, dans sa première phase expérimentale1.
Il travaille ensuite trois ans dans différentes réalisations de Robert Wilson, tour à tour assistant, performer, et scénographe. On retrouve les traces de cette rencontre avec Wilson dans le travail personnel ultérieur de Renz pour Kobalt Works, sa compagnie.2 Assisté par ses collaborateurs réguliers et importants, Jan Maertens pour les lumières et Marc Appart pour la musique, il crée lui aussi des univers esthétiques spécifiques très éloignés de notre quotidien mais qui parlent de cette réalité de façon abstraite et métaphorique. Il ne veut toutefois pas pousser trop loin cette influence : « Robert Wilson va sciemment à la recherche de la froideur, alors que je recherche plutôt la chaleur des concepts temps et espace. Je pars d’un point narratif bien défini pour explorer la chaleur des concepts temps et espace. »
Dans ce qu’il appelle lui-même une « dramaturgie abstraite », Renz associe en permanence ces concepts de temps et d’espace qu’il juge essentiels à des éléments narratifs plus concrets qui évoquent ses intérêts existentiels : l’ « épaisseur » comme concept de résistance dans THINK ME THICKNESS ; le « temps vertical », un temps qui n’est pas une succession d’évènements mais un évènement qui se prolonge, dans HEROÏNE ET OPIUM, associé dans ce dernier spectacle à un récit de Jorge Luis Borges dans lequel un individu peut en un point donné surveiller tous les endroits du monde en même temps ; le héros absurde, heureux de son malheur, du MYTHE DE SISYPHE d’Albert Camus, dans STATES, où le coureur fait du sur-place ; le temps « mythologique » et « historique » associé dans I2 à la MEDEA de Pier Paolo Pasolini ; le concept de « liquidité » tel que l’énonce le philosophe Zigmund Bauman dans son essai pour le récent spectacle 1001. La narrativité est un élément important dans la préparation et le processus de répétition, elle est indéchiffrable et peu reconnaissable dans le spectacle final, mais elle crée une nécessité palpable gui donne forme au contenu et inversement. Arco Renz est à la recherche d’une langue abstraite, qui se veut à la fois élémentaire et universelle. Le temps, l’espace et l’énergie physique sont les fondements à partir desquels les spectacles ne parlent pas concrètement de problèmes sociaux ou politiques précis, mais bien des modèles et des archétypes qui les provoquent, et qui fonctionnent par le biais de l’identification et de la connotation.
Traduit du néerlandais par Émilie Syssau.

chorégraphie Arco Renz / Kobalt Works,
Festival international des Brigittines, 2007.
Photo Lisbeth Bernaerts.
- Les « Performing Arts Research and Training Studios » (P.A.R.T.S.) ont ouvert leurs portes en septembre 1995 à Bruxelles, à l’initiative de la compagnie de danse Rosas et de la Monnaie, l’opéra national de Belgique. Le programme d’études artistique et pédagogique a été élaboré par Anne Teresa De Keersmaeker, qui assure la direction de l’école. ↩︎
- www.kobaltworks.be ↩︎




