Temps, espace et énergie physique. Arco Renz au travail.
Danse
Théâtre
Parole d’artiste

Temps, espace et énergie physique. Arco Renz au travail.

Bart Van den Eynde

Le 28 Juin 2010
Su Wen-Chi dans HÉROÏNE 2, chorégraphie Arco Renz / Kobalt Works, Festival international des Brigittines, 2007. Photo Lisbeth Bernaerts.
Su Wen-Chi dans HÉROÏNE 2, chorégraphie Arco Renz / Kobalt Works, Festival international des Brigittines, 2007. Photo Lisbeth Bernaerts.
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LA PREMIÈRE CHOSE que l’on remar­que lorsque l’on jux­ta­pose les dif­férentes pro­duc­tions du choré­graphe alle­mand Arco Renz, c’est l’in­ten­sité de la présence des artistes sur la scène : calmes et inertes, se déplaçant à peine dans l’e­space, ou soudain hyper-ciné­tigues et investis­sant la total­ité du plateau, ils sem­blent tou­jours poussés par une force et une énergie intérieures con­sid­érables. Dynamique à out­rance et immo­bil­ité absolue sont les deux extrêmes d’une zone de ten­sion que les corps de ses danseurs essaient de con­cili­er. Évo­quant cette présence scénique, Arco Renz ren­voie à un spec­ta­cle de kathakali qu’il a vu à Paris, qui l’a com­plète­ment sub­jugué, et qui a amor­cé sa fas­ci­na­tion durable pour l’in­ten­sité de la présence et l’én­ergie qui se dégage de cette tra­di­tion artis­tique ori­en­tale. Après cette pre­mière ren­con­tre, il s’est ren­du régulière­ment en Ori­ent pour étudi­er les tech­niques et la théorie qui per­me­t­tent cette présence forte des artistes ori­en­taux.
Ce con­tact suivi avec des tra­di­tions gestuelles ori­en­tales très dif­férentes (opéra chi­nois, danse bali­naise, Tai Chi, etc.) l’a con­duit à éla­bor­er ses pro­pres principes fon­da­men­taux, où une énergie extrême est employée pour une action la plus infime pos­si­ble. C’est pré­cisé­ment l’in­verse de ce que nous faisons dans notre quo­ti­di­en, où nous essayons d’être aus­si économes que pos­si­ble de notre énergie. Ses danseurs sem­blent ain­si au repos quand ils don­nent le max­i­mum, et hyper-dynamigues quand ils bougent à peine.
Arco Renz sem­ble avoir été prédes­tiné à une car­rière de danseur et choré­graphe. Ses par­ents ont une école de danse dans le nord de l’Alle­magne, et l’ont envoyé très jeune dans une école de bal­let. Mais à l’âge de dix ans, il aban­donne tout, et suit plus tard une for­ma­tion de théâtre. Celle-ci étant cen­trée sur le théâtre tra­di­tion­nel, il est rapi­de­ment insat­is­fait de cette forme de théâtre très psy­chologique et orale. À Paris, il décou­vre le théâtre plus physique de Jacques Lecocq et arrive presque par hasard dans un ate­lier d’Anne-Tere­sa De Keers­maek­er, lors des derniers pré­parat­ifs de la créa­tion de P.A.R.T.S. en 1994, dans sa pre­mière phase expéri­men­tale1.
Il tra­vaille ensuite trois ans dans dif­férentes réal­i­sa­tions de Robert Wil­son, tour à tour assis­tant, per­former, et scéno­graphe. On retrou­ve les traces de cette ren­con­tre avec Wil­son dans le tra­vail per­son­nel ultérieur de Renz pour Kobalt Works, sa com­pag­nie.2 Assisté par ses col­lab­o­ra­teurs réguliers et impor­tants, Jan Maertens pour les lumières et Marc Appart pour la musique, il crée lui aus­si des univers esthé­tiques spé­ci­fiques très éloignés de notre quo­ti­di­en mais qui par­lent de cette réal­ité de façon abstraite et métaphorique. Il ne veut toute­fois pas pouss­er trop loin cette influ­ence : « Robert Wil­son va sci­em­ment à la recherche de la froideur, alors que je recherche plutôt la chaleur des con­cepts temps et espace. Je pars d’un point nar­ratif bien défi­ni pour explor­er la chaleur des con­cepts temps et espace. »
Dans ce qu’il appelle lui-même une « dra­maturgie abstraite », Renz asso­cie en per­ma­nence ces con­cepts de temps et d’e­space qu’il juge essen­tiels à des élé­ments nar­rat­ifs plus con­crets qui évo­quent ses intérêts exis­ten­tiels : l’ « épais­seur » comme con­cept de résis­tance dans THINK ME THICKNESS ; le « temps ver­ti­cal », un temps qui n’est pas une suc­ces­sion d’évène­ments mais un évène­ment qui se pro­longe, dans HEROÏNE ET OPIUM, asso­cié dans ce dernier spec­ta­cle à un réc­it de Jorge Luis Borges dans lequel un indi­vidu peut en un point don­né sur­veiller tous les endroits du monde en même temps ; le héros absurde, heureux de son mal­heur, du MYTHE DE SISYPHE d’Al­bert Camus, dans STATES, où le coureur fait du sur-place ; le temps « mythologique » et « his­torique » asso­cié dans I2 à la MEDEA de Pier Pao­lo Pasoli­ni ; le con­cept de « liq­uid­ité » tel que l’énonce le philosophe Zig­mund Bau­man dans son essai pour le récent spec­ta­cle 1001. La nar­ra­tiv­ité est un élé­ment impor­tant dans la pré­pa­ra­tion et le proces­sus de répéti­tion, elle est indéchiffrable et peu recon­naiss­able dans le spec­ta­cle final, mais elle crée une néces­sité pal­pa­ble gui donne forme au con­tenu et inverse­ment. Arco Renz est à la recherche d’une langue abstraite, qui se veut à la fois élé­men­taire et uni­verselle. Le temps, l’e­space et l’én­ergie physique sont les fonde­ments à par­tir desquels les spec­ta­cles ne par­lent pas con­crète­ment de prob­lèmes soci­aux ou poli­tiques pré­cis, mais bien des mod­èles et des arché­types qui les provo­quent, et qui fonc­tion­nent par le biais de l’i­den­ti­fi­ca­tion et de la con­no­ta­tion.


Traduit du néer­landais par Émi­lie Sys­sau.

Su Wen-Chi dans HÉROÏNE 2,
choré­gra­phie Arco Renz / Kobalt Works,
Fes­ti­val inter­na­tion­al des Brigit­tines, 2007.
Pho­to Lis­beth Bernaerts.
  1. Les « Per­form­ing Arts Research and Train­ing Stu­dios » (P.A.R.T.S.) ont ouvert leurs portes en sep­tem­bre 1995 à Brux­elles, à l’ini­tia­tive de la com­pag­nie de danse Rosas et de la Mon­naie, l’opéra nation­al de Bel­gique. Le pro­gramme d’é­tudes artis­tique et péd­a­gogique a été élaboré par Anne Tere­sa De Keers­maek­er, qui assure la direc­tion de l’é­cole. ↩︎
  2. www.kobaltworks.be ↩︎
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Écrit par Bart Van den Eynde
Après une for­ma­tion uni­ver­si­taire en His­toire et en études théâ­trales à Gand, Greno­ble et Lou­vain, Bart Van den...Plus d'info
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