« Le théâtre a besoin d’un fruit défendu »
Entretien

« Le théâtre a besoin d’un fruit défendu »

Le 28 Juin 2000

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L'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives ThéâtralesL'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives Théâtrales
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ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Vous avez com­mencé à créer des mis­es en scène pro­fes­sion­nelles l’année de l’indépendance de votre pays. Cela fait cette année dix ans. Depuis THERE TO BE HERE, les con­di­tions de pro­duc­tions ont-elles changé ?
Quelles en ont été les con­séquences sur le paysage théâ­tral Litu­anien 

Oskaras Kor­suno­vas : Je suis moi-même en train de réfléchir sur cette péri­ode de dix ans. J’ai créé mon pre­mier spec­ta­cle le 22 mars 1990. La pre­mière a eu lieu exacte­ment onze jours après la déc­la­ra­tion d’indépen­dance de la Litu­anie. Il se fait que LÀ ÊTRE ICI a été le pre­mier spec­ta­cle créé dans le nou­veau pays. Le sys­tème qui avait été le mien jusque là s’est évanoui du jour au lende­main.
Depuis beau­coup de choses ont changé… mais pas énor­mé­ment dans le monde théâ­tral : les réformes dans le sys­tème cul­turel sont très lentes, la machiner­ie est d’une lour­deur dif­fi­cile­ment imag­in­able ! Les dirigeants cul­turels n’ont pas appris à con­sid­ér­er qu’il puisse exis­ter autre chose que des théâtres d’État. Chang­er les men­tal­ités prend du temps !
Les Théâtres d’État, écrasés sous leur pro­pre poids sont con­fron­tés à d’im­menses prob­lèmes qui ont très peu de rap­ports avec les ques­tions artis­tiques. On y dépense en vain une énergie folle. Dès que l’op­por­tu­nité m’en a été don­née, j’ai créé ma pro­pre com­pag­nie.
Un pro­jet comme THEOREM qui asso­cie les copro­duc­teurs étrangers aux pou­voirs publics était impens­able, il y a seule­ment deux ans. Ce n’est que depuis peu que les pou­voirs cul­turels ont pris con­science de la néces­sité vitale de soutenir des pro­jets indépen­dants.
Dans notre pays, toute la poli­tique cul­turelle est à réin­ven­ter : en désir­ant soutenir des pro­jets indépen­dants, l’É­tat abor­de un con­ti­nent absol­u­ment incon­nu. Il n’ex­iste pas encore de procé­dures légales : tout dépend encore de notre tal­ent à per­suad­er les fonc­tion­naires !
Les com­pag­nies indépen­dantes qui tra­vail­lent pro­fes­sion­nelle­ment sont encore trop rares : il y a bien sûr Le Théâtre de Nekros­sius, cer­tains fes­ti­vals ; l’É­tat organ­ise aus­si un con­cours de pièces de théâtre.
Notre théâtre se dis­tingue par son réper­toire qui est impor­tant : nous avons déjà créé huit spec­ta­cles. Pour­tant notre exis­tence reste prob­lé­ma­tique, car nous ne savons pas quelles seront demain nos sources de finance­ment. Et sans sub­ven­tion de l’É­tat nous ne pour­rons pas nous main­tenir à flot. 

A. T.: Quelles con­séquences la dis­pari­tion de la cen­sure a‑t-elle eues sur le lan­gage théâ­tral ? 

O. K.: Si la cen­sure a dis­paru, d’autres con­traintes sont apparues. Des con­traintes économiques. Elles causent de lourds prob­lèmes dans le monde du théâtre. Le théâtre a per­du la place impor­tante qu’il occu­pait aupar­a­vant dans la vie sociale. Avant l’indépen­dance le théâtre était un endroit de résis­tance où l’on pou­vait exprimer ses idées par le biais de la métaphore.
Après l’indépen­dance, le théâtre a per­du de sa per­ti­nence, ce qui a entraîné la flo­rai­son de spec­ta­cles de diver­tisse­ment pur, il s’est dévelop­pé un « art culi­naire pour les gour­mands » loin des inter­ro­ga­tions nou­velles et des préoc­cu­pa­tions effec­tives du pub­lic.
Or le pub­lic a soif, nous sem­ble-t-il, de théâtre con­tem­po­rain. Nous voudri­ons pou­voir répon­dre à ses attentes exigeantes et nous nous appliquons à inven­ter un lan­gage théâ­tral qui lui par­le. Nous avons d’ailleurs mon­té récem­ment SHOPPING AND FUCKING de Mark Raven­hill. 

A. T.: Le spec­ta­cle a‑t-il été bien accueil­li ? Où l’avez-vous présen­té ? 

O. K.: Oui, il a plu au pub­lic. Nous l’avons présen­té dans le Théâtre nation­al de Vil­nius. 

A. T.: Vous êtes, dès vos débuts, par­tis en tournée à l’Ouest. En quoi votre mise en con­tact avec l’Ouest a‑t-il mod­i­fié votre façon de faire du théâtre ?

O. K.: L’in­flu­ence a été très néga­tive ! Non, je plaisante ! Jouer à l’Ouest est à mes yeux une expéri­ence très pré­cieuse.
L’e­space des fes­ti­vals me per­met d’expérimenter. Si un spec­ta­cle fonc­tionne à Vil­nius, com­ment savoir si c’est parce que la pièce est bonne ou parce que le lan­gage théâ­tral est effi­cace ? À l’é­tranger, nul doute n’est per­mis : c’est la valid­ité du lan­gage théâ­tral que l’on expéri­mente. Le pro­pre du lan­gage théâ­tral est d’être inter­na­tion­al. Com­par­er les dif­férences de réac­tions dans son pro­pre pays et lors de fes­ti­vals inter­na­tionaux per­met de réfléchir sur la nature même du lan­gage théâ­tral.
À la dif­férence de mes spec­ta­cles précé­dents, j’ai com­mencé à met­tre en scène ROBERTO ZUCCO avec l’idée d’adopter un lan­gage qui puisse être com­pris inter­na­tionale­ment. 

A. T.: Vos spec­ta­cles utilisent d’une façon judi­cieuse la vidéo : elle ne par­le pas un lan­gage par­al­lèle à l’action scénique, mais l’amplife. 

O. K.: L’u­til­i­sa­tion de la vidéo au théâtre est dan­gereuse. Le théâtre par sa nature doit éveiller l’imag­i­na­tion : cer­taines actions doivent provo­quer la vidéo dans la tête du spec­ta­teur et pas sur la scène. Dans ROBERTO ZUCCO, l’utilisation de la vidéo fonc­tionne effec­tive­ment parce qu’elle est en inter­ac­tion avec l’action dra­ma­tique. Nous l’avons expéri­men­tée pen­dant les répéti­tions. Le principe est assez sim­ple : il y a une caméra qui capte ce qui se passe sur la scène, l’enregistre et le repro­jette instan­ta­né­ment par l’in­ter­mé­di­aire d’un rétro­pro­jecteur. Nous avons tra­vail­lé avec Le vidéaste Gin­taras Seputis, qui est d’ailleurs assez recon­nu. 

A. T.: Vous êtes un des rares met­teurs en scène de l’Est à tra­vailler sur des textes con­tem­po­rains : Raven­hill, Koltès ou Sig­i­tas Parul­skis. Êtes-vous en Litu­anie égale­ment une excep­tion ou bien voyez-vous naître une nou­velle généra­tion d’auteurs et un pub­lic prêt à venir enten­dre leurs textes ? 

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