ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Quels ont été à votre avis les changements essentiels dans le paysage théâtral hongrois de ces dix dernières années ?
Zoltán Imely : Je ne constate en vérité aucun changement essentiel. Il y a eu de petites transformations, de légers changements, mais aucun n’est assez radical pour renouveler la structure théâtrale.
A. T.: Mais parlons simplement de votre expérience propre. Quelles difficultés rencontrez-vous au quotidien ?
Z. I.: Il y a toujours le même fossé entre, d’un côté, les théâtres d’État et de l’autre, les compagnies indépendantes. Elles ne sont d’ailleurs pas complètement indépendantes, parce qu’elles reçoivent des fonds du Ministère de la Culture. Mais la somme en est dérisoire comparée à ce que reçoivent les structures d’État.
L’année dernière, l’ensemble des compagnies indépendantes a reçu environ deux cents millions de florins de l’état — peu importe combien cela représente — quand les structures étatiques ont reçu plus de sept milliards. Nous sommes l’une des compagnies indépendantes les plus reconnues. Or quand on compte l’argent que l’on reçoit, que l’on regarde le nombre de gens qui travaillent avec nous et qu’on le divise en douze mois, il ne reste plus grand chose. Cette année qui est celle où notre subvention a été la plus importante, nous avons reçu sept millions et demi de florins pour l’année entière et dix-huit personnes. En deux ans, nous sommes devenus une compagnie professionnelle, ce qui signifie que nous n’avons ni le temps, ni l’énergie de gagner de l’argent en dehors. La compagnie doit aussi subvenir aux moyens de ses membres, et ce n’est pas évident.
Notre but est de réussir à faire en sorte que les fonds de l’État soient accessibles aux structures indépendantes : nous avons besoin d’argent pour continuer à travailler et nous ne voulons pas pour autant devenir un organe de l’État.
A. T.: Comment allez-vous vous y prendre ? Un tel système de subvention reste encore à inventer.
Z. I.: Oui, un tel système reste encore à inventer. Et mis à part nos activités artistiques, l’un de nos principaux objectifs est de réussir à influer sur la politique actuelle de financement de l’État. La Compagnie Mozgo Haz est de plus en plus reconnue à l’étranger, ce qui lui donne davantage de poids en Hongrie. Sans vouloir être trop profondément impliqués dans la vie politique, nous voudrions réussir à paver le chemin pour les autres compagnies indépendantes, qui seront sans doute de plus en plus nombreuses dans les années à venir.
A. T.: Comment votre compagnie Mozgо́ Ház est-elle née ?
Z. I.: La plupart des membres actuels de la compagnie se sont rencontrés en répondant à une annonce. Après avoir travaillé ensemble toute une année en faisant du théâtre de rue en tant qu’amateurs, ils ont invité Lászlо́ Hudi et sa femme Lea Tolnai à venir les diriger au cours d’un stage. Le stage s’est si bien passé, qu’ils ont décidé de continuer à travailler ensemble après. C’était en 1994.
A. T.: Voyager à l’Ouest a‑t-il eu une incidence sur le langage artistique de la compagnie ?
Z. I.: Je ne sais pas. Car Läszlé a travaillé en France pendant plusieurs années. J’ai moi-même beaucoup voyagé depuis vingt ans. Ma question serait plutôt : avons-nous exercé une influence sut les compagnies de l’Ouest rencontrées lors de nos tournées ?
A. T.: Lászlо́ Hudi, quel a été votre trajet personnel ? Comment et dans quelles circonstances avez-vous quitté la Hongrie ?
Lászlо́ Hudi : J’avais dix-neuf ans. Ma famille était dissidente. Nous sommes partis en Allemagne. Mais un an plus tard je suis retourné en Hongrie, à Budapest, seul. Mon trajet est ponctué de ces voyages aller-retour entre la Hongrie et l’étranger dont je n’arrive pas exactement à saisir la cause. J’ai étudié le théâtre dès mon premier retour à Budapest. J’ai commencé par la pantomime. Ensuite, j’ai un peu tout fait : du théâtre, de la danse. J’ai travaillé avec Andras Jeles et avec Joseph Nadj. C’est avec Nadj que nous avons créé le Théâtre Jel. Nous avons travaillé ensemble pendant huit ans.
A. T.: Comment avez-vous appris ? avez-vous eu des maîtres ?
L. H.: J’ai appris sans aller à l’école. En faisant des stages, en regardant des vidéos, en travaillant avec des gens. Je ne pourrais appeler personne « mon maître ». Ce qui m’a sans doute le plus formé, ce sont les stages auxquels j’ai pu participer et qui mettaient l’accent sur la créativité avant tout.

