Flots d’images et flux de mots
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Flots d’images et flux de mots

Entretien avec la compagnie Eclats d’Etats

Le 6 Avr 2002
Article publié pour le numéro
Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives ThéâtralesVoix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
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Sylvie Mar­tin-Lah­mani : Vous avez com­mencé une col­lab­o­ra­tion avec Patrick Ker­mann en 1998. Sa langue vous a paru claire et limpi­de. Pensez-vous qu’elle con­vient bien à votre pro­pre mode de com­po­si­tion ?

Éclats d’États : Cette ren­con­tre fut pour nous évi­dente et forte comme un coup de foudre. Au-delà de l’aspect humain, dès les pre­mières lec­tures de ses textes, sa langue nous a paru pré­cieuse, autant par les thèmes abor­dés que par les formes pro­posées. Des con­struc­tions sim­ples et frag­men­tées, ne noy­ant pas la dif­fi­culté du dire dans une com­plex­ité formelle ou explica­tive. Une écri­t­ure qui cherche une langue dans ses dehors et ses dedans les plus extrêmes. Elle nous con­fronte directe­ment à la sen­sa­tion, aux échos des pro­fondeurs de l’âme. En somme, il s’agit de textes justes et forts comme peut l’être la poésie.

Nous nous sommes immé­di­ate­ment recon­nus dans cette écri­t­ure, qui pro­pose des images sim­ples et per­ti­nentes, jamais démon­stra­tives. Elle offre un libre accès au spec­ta­teur en l’impliquant dans un proces­sus de représen­ta­tion qui fait appel à ses sen­sa­tions intérieures, innom­ma­bles soit, mais intel­li­gi­bles. En échap­pant à la rai­son, elle nous pro­pose une autre lec­ture de la représen­ta­tion qui s’éloigne de l’histoire pour s’inscrire dans un mou­ve­ment poé­tique. « Com­ment nom­mer ce qui n’a pas de nom ? Ni d’image, ni d’image d’un ailleurs ». Nous avons besoin de ren­dre compte sur scène (et en nous-mêmes) de ces ques­tions méta­physiques.
Il est vrai qu’en ce moment, nous sommes comme hap­pés par un souci du poé­tique, de l’entre‑d’eux, de cette part d’inatteignable. L’écriture intran­sigeante de Patrick Ker­mann, qui sem­ble nous par­ler d’un au-delà des êtres, nous apporte des répons­es.

Sylvie Mar­tin-Lah­mani : Actuelle­ment, vous débutez une nou­velle his­toire avec Alain Béhar. Son style n’a rien à voir avec celui de Ker­mann. Pou­vez-vous nous dire deux mots de la fable, de la struc­ture du texte et des inci­dences sur votre adap­ta­tion plas­tique ?

Éclats d’États : Cette nou­velle his­toire s’inscrit en fait dans la con­ti­nu­ité. Nous avions élaboré JOURNAL INTIME d’une mouche à par­tir d’une écri­t­ure tout d’abord visuelle qui a évolué dans une dra­maturgie inclu­ant le texte à l’image et le jeu d’acteur à celui des formes ani­mées. Le tout con­vergeant à met­tre en scène un poème en mou­ve­ment et entraîn­er le spec­ta­teur dans un univers sug­ges­tif. Avec Fil naquit la volon­té d’approfondir l’écriture du plateau sans le sou­tien du verbe. Seules les actions plas­tiques, visuelles et musi­cales révè­lent une fable, un mou­ve­ment poé­tique et philosophique artic­ulé. Un con­te de la curiosité, une ré-créa­tion sonore et optique.
Seuils met en ful­gu­rance, en échos dis­tancés une écri­t­ure poé­tique dense, con­cise, frag­men­tée et notre écri­t­ure scénique : « Une quête de la légèreté. De ce qui existe pour­tant ». Ten­ta­tives d’au-delà ou d’en-deçà, explo­rations d’espaces et de temps joux­tant les fron­tières de l’innommable et du nom­ma­ble, de l’irreprésentable et du représentable. JE VAIS, d’Alain Béhar, approche une autre écri­t­ure, débor­dante, pro­lixe, sans struc­ture appar­ente. Un mou­ve­ment con­tinu et non pas frag­men­té. Comme un bouil­lon­nement citadin, flots d’images et de sons, de rythmes et de mots dans tous les sens entourant le mur­mure d’une fig­ure soli­taire et para­doxale : « Je fais encore ce rêve, je ne suis pas à ma place, je ne trou­ve pas ma place ». La dif­fi­culté, le refus d’être ou pas — on ne sait pas et il ne sait pas non plus — dans le monde comme il va, trop vite, sans lui. Là encore, le but est proche : désta­bilis­er la rai­son par un flot d’apparitions-disparitions inachevées com­mu­ni­quant et prenant sens dans les grandeurs sen­si­bles. Il n’y a pas d’adaptation de l’une ou de l’autre de nos écri­t­ures, il y a recherche d’une zone nar­ra­tive, d’intelligibilité des formes sen­si­bles ou sen­suelles. D’une écri­t­ure de la représen­ta­tion où chaque objet, image, matière et abstrac­tion lais­seraient entrevoir une pen­sée-vision cri­tique, un con­stat sans dis­cours de notre exis­tence.

Sylvie Mar­tin-Lah­mani : Vous avez un autre pro­jet de créa­tion en per­spec­tive avec un auteur grec, par ailleurs sculp­teur, pein­tre… En somme, un homme qui accoucherait directe­ment d’une écri­t­ure visuelle et textuelle à la fois. Vous pensez que cela sera une nou­velle étape dans votre façon de penser l’écriture scénique ?

Éclats d’États : Avec Nikos Hou­liaras, pein­tre, écrivain et musi­cien, la ren­con­tre fut sim­ple elle aus­si. À une représen­ta­tion du JOURNAL INTIME d’une MOUCHE à Athènes, il inter­pré­ta le tra­vail comme une mise en mou­ve­ment de la pein­ture, de matières et de formes tout en pro­posant un développe­ment dra­ma­tique comme le pro­pose la lit­téra­ture. De notre côté, nous con­nais­sions son univers artis­tique. L’aventure qui se des­sine va une fois de plus comme une con­ti­nu­ité. Tra­vailler sur PAYSAGES, titre pro­vi­soire, pré­cis­era cette recherche d’écriture cernée par nos spec­ta­cles précé­dents. Met­tre en per­pétuel déséquili­bre les rela­tions des élé­ments de la représen­ta­tion. De leur tan­gente se des­sine un lieu où chaque élé­ment tra­vaille, à l’intérieur du lieu lui-même et de nous tous, dans un temps où le spec­ta­teur s’implique et donne vie en révélant la fable dans tous ses sens et de tous ses sens.
La pra­tique de la pein­ture, de la musique et de la poésie con­duit Nikos Hou­liaras, à une com­po­si­tion de mou­ve­ments et de didas­calies qui tient compte en amont de notre rap­port au plateau. Ecrire un matéri­au pré­parant à une écri­t­ure de tous les élé­ments de la représen­ta­tion. Met­tre à jour des puis­sances gram­mat­i­cales et syn­tax­iques où tout entre en prox­im­ité pour nous redonner une con­science de ce qui n’est pas pal­pa­ble, compt­able, raison­né… Organ­is­er sur le plateau une alchimie créa­trice, un devenir inachevé, en per­pétuel mou­ve­ment, débor­dant d’une matière à « vivre ».

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Écrit par Sylvie Martin-Lahmani
Sylvie Mar­tin-Lah­mani est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Alter­na­tives théâ­trales, doc­tor­ante à la Sor­bonne sous...Plus d'info
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Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
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