L’explosion après l’agonie ?

L’explosion après l’agonie ?

Allemagne de l’Est

Le 18 Juin 2000

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L'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives ThéâtralesL'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives Théâtrales
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L’OUVERTURE DU MUR, en 1989 a fait l’ef­fet d’un levé de soupape. Chaque jour, chaque semaine se sont pro­duits des change­ments d’une portée insoupçon­née. Les événe­ments se sont accom­plis par sauts, et l’on avait peine à recon­naître ce qui Les avait causés. On aurait dit les soubre­sauts d’un fleuve après le dégel. Dans les rues de Berlin-Est, une image dis­ait que le pays était sor­ti du temps : toutes les hor­loges de la ville s’é­taient arrêtées et sont restées pen­dant des mois dans cette immo­bil­ité. Puis, peu à peu, les rues se sont recon­stru­ites, on a instal­lé de nou­veaux abribus et mis de nou­velles hor­loges ; la ville mar­quait à nou­veau l’heure. 

Après 1989, plus le flot des événe­ments s’est pré­cip­ité, plus la vie théâ­trale s’est ralen­tie. Beau­coup de gens de théâtre ont voulu s’im­pli­quer poli­tique­ment dans le mou­ve­ment de l’histoire. Cette ten­ta­tive d’en­gage­ment poli­tique a échoué, ce qui en a découragé cer­tains. Beau­coup ont per­du tout espoir de pou­voir exercer une quel­conque influ­ence sur la vie poli­tique dans un État bour­geois. Les artistes se sont alors rep­longés dans leur pra­tique et il fau­dra atten­dre un cer­tain temps avant même qu’ils réen­vis­agent la pos­si­bil­ité d’a­gir sur la société et cherchent un lan­gage appro­prié pour ce faire. D’autres ont déploré dès le début qu’ils ne pou­vaient avoir de prise dans le tour­bil­lon des événe­ments et des change­ments his­toriques. Ils se sen­taient dépos­sédés de leur tête comme de leur corps, comme pris dans des sables mou­vants. Qui pour­rait sup­port­er la pres­sion de ce flot his­torique ? Et qui pour­rait com­mu­ni­quer la force de résis­ter ? Telles étaient les ques­tions que l’on se posait. Des ques­tions inédites, de même que l’é­tait la sit­u­a­tion ; car aupar­a­vant il s’agis­sait de trou­ver la force néces­saire pour remuer le trop grand calme. Il fal­lait du jour au lende­main adopter une atti­tude opposée : non pas aller aus­si vite que le courant — ou plus vite que lui, mais par­venir à le con­tenir, à en ren­dre compte avec l’in­tel­li­gence du corps dans l’espace et le temps (…)

LE BRISEUR DE SALAIRE (1988) ou HAMLET/HAMLIETMACHINE dans Les mis­es en scène de Hein­er Müller au Deutsches The­ater de Berlin, sont les deux derniers spec­ta­cles où la R.D.A. donne d’elle-même une image d’a­vant l’é­clate­ment. SPONSAI — LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ mis en scène par la seule com­pag­nie indépen­dante de la R.D.A., le théâtre Zin­nober est un autre spec­ta­cle d’adieu à la R.D.A. : elle par­le de l’enfermement con­scient, des cloi­sons étanch­es qui sépar­ent le Vieux, du Jeune et du Chef. Le plus mar­quant est sans doute cet échafaudage cubique sur lequel les per­son­nages se pen­dent ou s’agrippent comme si la force qui émanait d’eux n’é­tait plus la seule dont il faille tenir compte : on voit que l’in­di­vidu est lié à une con­struc­tion imposante. 

Dans les frac­tures, de nou­veaux espaces 

Après 1989, la recherche du sens, du pourquoi et du com­ment ont per­du pour un temps de leur per­ti­nence en R.FA. Les attentes se sont focal­isées sur la pro­gram­ma­tion qui devait être rad­i­cale­ment nou­velle. Les inter­ro­ga­tions qui se sont tou­jours posées au théâtre en R.D.A. étaient atten­dues avec impa­tience aus­si bien par les Alle­mands de l’Est emportés de l’autre côté par les événe­ments que par cer­tains intel­lectuels de gauche de l’Ouest. Mais dans les deux ou trois années qui suivirent la chute du Mur, aucun con­cept, aucun pro­gramme théâ­tral déjà exis­tant n’a pu s’adapter à la sit­u­a­tion nou­velle et sus­citer des ini­tia­tives dynamiques et zélées. La société nou­velle devait réin­ven­ter ses références, son esthé­tique et renon­cer à toute pré­ten­tion total­isante. 

Berlin-Est n’a pas cessé d’être, même en 1990 quand l’in­tro­duc­tion du Deutsche Mark et la procla­ma­tion de la réu­ni­fi­ca­tion entérinèrent l’ef­fon­drement économique et éta­tique de la R.D.A., un lieu ouvert où nais­saient chaque jour de nou­veaux espaces de com­mu­ni­ca­tion. Ce qui était impor­tant ce n’é­tait plus les pièces ellesmêmes, ni leur mes­sage, mais Le lieu, l’espace de la ren­con­tre qui créait une nou­velle sit­u­a­tion d’échange. La Ruine des Arts Tacheles au cœur de Berlin est représen­ta­tive de cet état de fait. On s’appropria ces nou­veaux espaces, dans lesquels on va depuis lors en pèleri­nage s’imprégner de leur atmo­sphère à la fois étrange et famil­ière. L’ap­pro­pri­a­tion de ces nou­veaux espaces était dans le même esprit que l’assertion reven­di­ca­trice avec laque­lle Frank Cas­torf inau­gu­ra son vais­seau à l’Est, la Volks­bühne, place Rosa Lux­em­bourg : « Nous sommes des brig­ands » (d’après Schiller). (…) 

Sous la direc­tion d’Hein­er Müller, qui a été d’abord l’un de ses qua­tre directeurs, puis son seul directeur, le Berlin­er Ensem­ble a été quelque chose comme un cor­rec­tif, une forter­esse d’immobilité où l’on pou­vait oppos­er mas­sive­ment le désir, l’histoire et la mémoire à un présent « absolu », à un avenir à courte vue. Müller a d’abord mon­tré dans ses mis­es en scène ce qu’il entendait réalis­er dans le théâtre tout entier : la sus­pen­sion, la résis­tance au déchire­ment de la per­son­nal­ité dans Le tour­bil­lon des événe­ments ;la ten­ta­tive d’of­frir une vision d’ensem­ble comme dans un musée. On avait déjà adressé ce reproche au Berlin­er Ensem­ble du temps de la R.D.A. (en dernier lieu, du temps de Man­fred Wek­w­erth): ce théâtre était figé, et cette léthargie repro­dui­sait la sit­u­a­tion générale du pays. Après 1989, on a pu à nou­veau le com­par­er à un musée, mais cette fois en évo­quant sa réelle péd­a­gogie muséale qui pour­rait servir de point de départ pour les temps nou­veaux. Et Müller est bien, en cette époque d’après la chute du mur, non pas par son écri­t­ure mais par son tra­vail théâ­tral poli­tique, le suc­cesseur de Brecht. (…)

Des change­ments dans le sys­tème théâ­tral ? 

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Écrit par Carena Schlewit
Care­na Schle­witt pré­pare une thèse de doc­tor­at sur le théâtre alter­natif en ex-Alle­magne de l’Est.Plus d'info
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