Un laboratoire de l’identité culturelle

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Slovaquie

Le 6 Juin 2000

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L'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives ThéâtralesL'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives Théâtrales
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À L’AUTOMNE 1989, quand les villes d’Eu­rope cen­trale se sont soulevées con­tre l’ancien régime, per­son­ne ne savait quels résul­tats con­crets amèn­erait la dis­so­lu­tion du sys­tème. Les acteurs, les dra­maturges et les met­teurs en scène ont active­ment par­ticipé aux man­i­fes­ta­tions et nom­bre d’entre eux ont même quit­té leur pro­fes­sion pour se con­sacr­er à la poli­tique. Mais tous étaient scep­tiques. [ls ne croy­aient pas que le change­ment de régime puisse amélior­er la sit­u­a­tion théâ­trale. Peut-être même empir­erait-elle. On chang­erait certes de directeurs, on aban­don­nerait le vieux réper­toire pour mon­ter de nou­velles pièces, mais la logique artis­tique du monde de la scène resterait inchangée. Car com­ment se pour­rait-il que changent d’un coup les options artis­tiques et esthé­tiques qui avaient couts avant 1989 ? Aujourd’hui pour­tant, dix ans après, il est indé­ni­able que d’im­por­tants change­ments se sont bel et bien pro­duits. 

Les change­ments les plus évi­dents, con­cer­nent les ori­en­ta­tions esthé­tiques. Les théâtres n’ont pas changé de lieu, les acteurs sont sou­vent restés les mêmes, mais la mise en scène a changé de lan­gage.

Con­for­mé­ment aux principes du post­mod­ernisme, les met­teurs en scène ont renon­cé à l’u­nité des styles. Ils puisent leur énergie et leur inspi­ra­tion dans l’époque con­tem­po­raine ou dans la tra­di­tion théâ­trale, dans leur pro­pre cul­ture ou dans celle d’autres pays, qu’elle soit pop­u­laire ou éli­tiste. Ils mélan­gent les gen­res ; les fron­tières entre le théâtre dra­ma­tique et le théâtre musi­cal s’estompent. Dans LA MOUETTE de Tchékhov mise en scène par Sve­tozár Spruzan­sky, au théâtre d’An­drej Bagar à Nitra, on entend des songs comme s’ils venaient de Brecht. Dans plusieurs de ses spec­ta­cles, Jozef Bed­nárik mélange le chant d’opéra et le jeu dra­ma­tique tout en jouant avec la scéno­gra­phie et les lumières, quand Miro Koz­icky dans sa dernière mise en scène LE MAUSOLÉE (Spizská Nová Ves, 2000), renonce au con­traire à tout décor et habille les acteurs avec des uni­formes de l’armée slo­vaque. Aujourd’hui tout est pos­si­ble et rien n’est inter­dit. 

La plu­ral­ité chao­tique des styles dans le théâtre slo­vaque est à l’image du monde actuel. Le théâtre ne pré­tend plus jouer un rôle moral au sens clas­sique de Schiller, mais voudrait faire du spec­ta­teur son parte­naire. En aban­don­nant le pathos et son rôle d’instituteur, il s’est plongé encore plus pro­fondé­ment dans les prob­lèmes de l’âme humaine. Mais aus­si dans la saleté. Dans la boue (la grande déchéance morale !). Le pes­simisme, l’hu­mour noir et la satire, ont rem­placé l’euphorie qui jail­lis­sait sur les places en 1989. J’ai pro­jeté aux étu­di­ants de la nou­velle école de théâtre à Ban­ské Bystri­ca le film de Denis Bablet LE THÉÂTRE DE TADEUSZ KANTOR. THÉÂTRE DE LA MORT. Les jeunes gens ont vu pour la pre­mière fois le tra­vail du grand met­teur en scène polon­ais. Et ils ont été trans­portés par son univers. 

Le théâtre Sto­ka (en français Les égouts) ain­si que le théâtre Astorka-Korzo’90, ont vu le jour il y a dix ans. Ils ont encore été créés con­for­mé­ment aux principes post­mod­ernistes et ont aus­sitôt trou­vé leur pub­lic dans la jeune généra­tion. Le Théâtre SNP à Mar­tin et le Théâtre d’An­drej Bagar à Nitra tra­vail­lent aujourd’hui sur base de cette même poé­tique. Ces qua­tre troupes théâ­trales for­ment la base sur laque­lle s’élèvera sans doute le théâtre slo­vaque de demain. 

Avant 1989, les théâtres offi­ciels, le Théâtre nation­al slo­vaque à Bratisla­va mais égale­ment ceux de Koz­ice, Mar­tin, Zvolen ou Nitra rem­plis­saient un rôle cul­turel et édu­catif. Leurs réper­toires affichaient les clas­siques slo­vaques — Ján Palárik, Jozef Gre­gor-Tajovsky, Pavol Országh Hviez­doslav, Ivan Stodola —, ils trans­met­taient les tra­di­tions cul­turelles, enseignaient avec assur­ance le lan­gage de l’art aux tra­vailleurs. Ces grands théâtres de pierre devaient défendre l’idéal social­iste, la foi en l’avenir, chanter avec opti­misme ;apporter surtout des valeurs pos­i­tives et la foi en un meilleur avenir. Aujourd’hui, le pes­simisme règne partout. Même CORIOLAN de Shake­speare four­mille de piques dirigées con­tre le gou­verne­ment (Théâtre SNP, Mar­tin, mise en scène Roman Polák, 1997). Le dra­maturge Karol Horák avec ses pièces non con­ven­tion­nelles, empreintes de doutes sur Le sens de la vie, extrême­ment cri­tiques à pro­pos de l’histoire nationale, est l’un des auteurs dra­ma­tiques les plus joués sur les scènes slo­vaques, de même que Rudolf Slo­bo­da, con­nu pour ses comédies noires, qui s’est trag­ique­ment sui­cidé il y a peu. 

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Écrit par Milosz Mistrik
Milosz Mis­trik est his­to­rien et théoricien du théâtre. Il dirige le Kabi­net dival­a­da a fil­mu SAV à Bratisla­va.Plus d'info
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