LA BULGARIE compte 8,5 millions d’habitants dont 1,2 vivent dans la capitale, à Sofia. Le pays est entré dans l’ère post-communiste avec cinquante quatre théâtres de répertoire, tous financés par le Ministère de la Culture ; trente-cinq sont consacrés au théâtre et dix-neuf aux marionnettes. En somme, la Bulgarie était soumise au modèle théâtral dominant en Europe centrale et orientale : de nombreux grands ensembles, pour la plupart de haute qualité artistique, des employés à temps complet, des troupes attachées aux institutions, le tout contrôlé à différents niveaux par le pouvoir.
Les racines du mouvement indépendant sont déjà repérables dans les théâtres de répertoire avant 1989. Celui-ci est né des regroupements informels opérés au sein même des grands ensembles entre artistes partageant les mêmes valeurs artistiques et esthétiques. Il était traditonnellement de mise que les acteurs et metteurs en scène à peine diplômés fassent leurs preuves pendant trois années dans des institutions de provinces. C’est ainsi que devait commencer toute leur carrière. Mais travailler en province était aussi, avant 1989, la seule manière de faire un travail artistique autonome. C’est pourquoi beaucoup d’artistes choisirent de rester plus longtemps « collés » loin de Sofa. Mais pour y demeurer il fallait déjouer le pouvoir qui cherchait à contrôler les mouvements de migration centrifuge en puissance subversive, les tentatives de dispersion qui contraient la centralisation.
Être loin du centre, avec des moyens non négligeables, un moindre contrôle politique, permettait aux artistes les plus progressistes, Les plus courageux et Les plus Libres d’esprit de réaliser un vrai travail de laboratoire. Mais ceux-ci languissaient en province. Tant était fort le sentiment que la seule autorité et le seul espace d’expression valable se trouvait à Sofa. Il fallait pour exister y montrer son travail et être reconnu.
Pendant les premières années de la démocratie (dans les années 1990), ces groupes déjà formés étaient pratiquement les seuls à être reconnus comme les tenants du mouvement théâtral indépendant. On était indépendant parce qu’on faisait un travail alternatif, qu’on inventait un nouveau langage esthétique ou technique, pas parce qu’on était autonome sur le plan structurel. Ce qui primait était la reconnaissance de la différence artistique. Mais les pionniers du mouvement indépendant sont aussi ceux qui ont fait le pont entre les deux systèmes. Même avant que les changements politiques aient lieu, certains ont essayé d’exister en dehors du système de l’État : Vazkressia Vicharova qui a créé sa propre compagnie à l’intérieur d’un théâtre de répertoire en l’associant à un projet éducatif ; Zarko Ouzounov qui a fondé une assise théâtrale au sein de l’Université de nouvelle Bulgarie en 1991 ; Stefan Moskov qui a été le directeur artistique du premier théâtre privé La Starda, etc. Dans les années 90, sont nés d’autres compagnies indépendantes comme ATF, Alternativa Theatre, La Compagnie du théâtre libre, etc. Le contexte socio-politique et le système politique de la Bulgarie ont radicalement changé en 1989. Ils n’ont depuis cessé d’évoluer. En 1997, une certaine stabilité s’est installée, les réformes initiées par le gouvernement commençant à faire leur effet. Preuve en est l’invitation qui fut faite à la Bulgarie de préparer son entrée dans la Communauté Européenne (en décembre 1999).
Le Ministère de la Culture a pris son rôle au sérieux. Bien qu’il continue à distribuer lui-même les subventions, il a créé six Centres nationaux qui lui servent de relais. Le Centre national pour le Théâtre a pour charge de s’occuper des arts scéniques. La réforme mise en œuvre vise à séparer les édifices des compagnies, la phase de création de celle de distribution, et à définir de nouveaux modèles structurels.
La réforme a séparé les théâtres de répertoire en trois catégories : les théâtre de répertoire (les grands ensembles entièrement subventionnés par l’État), les scènes ouvertes (elles n’emploient qu’une petite équipe et assurent l’accueil et la production de projets indépendants), et les « 6 +» (qui n’ont que six employés, et + quand ils trouvent les moyens nécessaires pour les payer). Ce sont Les scènes ouvertes qui, apparemment, sont les plus concernées par le théâtre indépendant. Mais la réforme actuelle ne tient pas compte de l’extrême centralisation qui grève le pays. Le problème n’est résolu que d’une façon artificielle : donner le statut de scène ouverte à des lieux excentrés ne résout rien. Il n’y a pour l’instant qu’une seule scène ouverte à Sofia !
La réforme initiée depuis quelques années a cherché à ouvrir ses fonds aux compagnies indépendantes. Cet argent est alloué à certains des projets mis en compétition pour l’obtenir. Il ne peut être investi dans les infrastructures, ou dans les institutions. Les autres sources de subventions ne sont pas légions. La plus importante est la Fondation Soros qui s’attache à soutenir les artistes indépendants à Sofa, quel que soit leur mode d’expression artistique. Le gouvernement n’a pas vraiment réussi à créer un environnement favorable au développement artistique. Il a multiplié les lois et les décrets, ce qui a alourdi encore la procédure. Il n’y a pas de tradition de mécénat en Bulgarie, ce qui ne facilite pas le travail des indépendants dans leur recherche de fonds. Il faut clarifier et faciliter les démarches. (…)
Les artistes de la jeune génération se détournent des structures d’État, et tentent d’inventer une nouvelle façon de faire du théâtre en Bulgarie, en liaison avec le reste de l’Europe. Citons Ivan Panteleev, Elena Panayotova, Galin Stoev, Dimitar Nedkov ou Stoyan Radev. C’est à eux que revient la difficile tâche de redéfinir la notion de théâtre indépendant dans un paysage théâtral où 95 % de l’infrastructure appartient encore à l’État, et où les préjugés sur le théâtre qui se fait en marge de l’Institution sont encore vivaces. Gageons qu’ils y parviennent.
Texte traduit de l’anglais par Julie Birmant.

