ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Quels ont été vos premiers contacts avec le théâtre de l’Est de l’Europe
Bernard Faivre d’Arcier : Le Festival d’Avignon a une tradition d’invitations du théâtre russe. Paul Puaux déjà, dans les années 70, avait fait venir des metteurs en scène de Moscou, comme Tovstonogov qui présenta au Théâtre municipal, L’HISTOIRE DU CHEVAL. Succédant à Paul Puaux, j’ai bénéficié de ses conseils et ses contacts, au temps de l’URSS. C’est en sa compagnie que j’ai fait mes premiers voyages à Léningrad, Moscou ou encore Tbilissi. J’ai, d’ailleurs, invité dès 1980 un grand metteur en scène géorgien, Robert Sturua, qui présenta au Palais des Papes, RICHARD III et LE CERCLE DE CRAIE CAUCASIEN, servis par des acteurs puissants et magnifiques. L’influence de Vilar était parvenue jusque dans le lointain Caucase. On se réclamait beaucoup, en Union Soviétique, du Théâtre National Populaire.
A. T.: Comment se déroulaient les négociations avec les autorités de la zone communiste pour inviter les compagnies ?
B. F. A.: On le sait, le théâtre public dans les « démocraties populaires » avait un statut bien particulier. Fortement subventionné, fondé sur un réseau de grands théâtres de répertoire, il était aussi le lieu d’une certaine pensée critique, l’occasion pour un public très attaché au théâtre, de décrypter une certaine dissidence de pensée. Il s’agissait pour le Festival d’Avignon de ne pas se laisser imposer une programmation, mais de rester libre de ses choix, face à un système étatique, centralisé, mais riche aussi de mille intrigues et batailles intestines, surtout lorsqu’il s’agissait de se rendre en Occident.
Ceci dit, ce théâtre-là avait une grandeur, représentait un enjeu. De Berlin-Est à Moscou, riche était la source théâtrale. Il faut se souvenir du prestige acquis en France par Brecht et le Berliner Ensemble. Michel Bataillon, compagnon du TNP de Roger Planchon, m’initiait à la découverte des théâtres est-allemands et russes, qu’il connaît fort bien. J’espère que Youri Lioubimov qui vient cet été à Avignon (pour la première fois!) nous racontera cette fantastique histoire du théâtre russe, dont il a connu tous les bouleversements, les ruptures, les mutations. À 84 ans, avec son énergie de jeune homme, il a vécu le siècle théâtral.
A. T.: Mais quels étaient les contacts possibles en Europe entre les théâtres de l’Ouest et de l’Est ?
B. F. A.: Ils étaient malgré tout limités. Et soumis à des autorisations administratives qui exerçaient un droit d’aller et venir sur les troupes de l’Est recevant des invitations à se produire à l’Ouest.
Il existait cependant des lieux de rencontre : le Festival de Belgrade, le BITEF, qui au temps du titisme, a joué un grand rôle à cet égard. On venait y voir une sélection des pays d’Europe centrale. Et les contacts se sont également multipliés dans les années 80, grâce à des réseaux d’informations, de rencontres informelles. Ainsi, la création par Philippe Tiry (alors directeur de l’ONDA, l’office français de diffusion artistique) de l’IETM a eu une influence considérable pour ces rapprochements. Ce réseau informel du théâtre européen a très vite associé à ses travaux, des professionnels du théâtre et de la danse, venant de l’Est.
A. T.: Depuis la chute du Mur, et les changements de régime, comment a évolué la situation du théâtre ?

