La vérité cachée sur les personnages de Bleu Bleu

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La vérité cachée sur les personnages de Bleu Bleu

Le 18 Mar 2016
À gauche : Claude Schmitz, Nicolas Luçon et Ugo Dehaes, acteurs dans "Bleu Bleu" de Stéphane Arcas. À droite, les originaux...
À gauche : Claude Schmitz, Nicolas Luçon et Ugo Dehaes, acteurs dans "Bleu Bleu" de Stéphane Arcas. À droite, les originaux...
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Depuis 1990, Stéphane Arcas et moi sommes amis, nous nous sommes ren­con­trés lors de notre entrée aux Beaux-Arts de Toulouse. C’est dans ce lieu que les per­son­nages de Bleu Bleu se sont recon­nus. A suivi une péri­ode intense, de tra­vail, de fêtes et d’ami­tié, pen­dant ce qui furent nos années de for­ma­tion. Je ne par­le pas d’é­tudes, nous n’avons pas du tout abor­dé cette péri­ode sous cet angle.

À vingt ans, c’est déjà une deux­ième jeunesse, avant on a été ado, âge du doute et de la con­fu­sion qui cède la place à celui des choix, des affir­ma­tions assénées trop fort, tein­tées d’ar­ro­gance à défaut d’as­sur­ance.

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Nico­las, Jean, Pas­cal, Stéphane et moi avions cha­cun dans notre genre cette fausse assur­ance tein­tée de provo­ca­tion et de bravade qui a fait que nous nous sommes rapi­de­ment accordés. La timid­ité et l’an­goisse nous rendaient aus­si grandes gueules les uns que les autres. Seul notre humour fai­sait pass­er la pilule. Une cer­taine can­deur et notre capac­ité à l’au­to-per­sua­sion, nous per­me­t­taient de croire en quelque chose de plus fort que nous, l’é­man­ci­pa­tion par l’art. Notre moti­va­tion pro­fonde et notre ami­tié nous aidaient à per­sis­ter dans cette école d’art mori­bonde. Seul le choc ther­mique provo­qué par la décou­verte de l’art nous per­me­t­tait toutes les audaces. Notre mai­gre bagage artis­tique, quelques références clas­siques, un goût pronon­cé pour la BD et les comics, de vagues notions d’art con­tem­po­rain, Basquiat à la lim­ite, nous pous­saient à redou­bler d’ef­forts. Des journées de 24 heures, appren­tis­sage des tech­niques, expéri­men­ta­tions tous azimuts, réac­tions, révoltes pas­sagères puis la nuit, sor­ties, ami­tiés exac­er­bées par l’al­cool et gueules de bois. Les Beaux-Arts étaient notre camp de base, l’ate­lier un miroir, sorte de pro­jec­tion fan­tas­magorique du lieu idéal de l’artiste. Des refuges nous étaient néces­saires, l’ate­lier bien sûr mais aus­si les bars, BleuBleu, l’Abreuvoir, le Cham­pagne, la Cap­sule, le Clas­si­co, le Petit Voisin, le Diag­o­nal, sans compter les salles de con­certs, les 3 Petits Cochons, le Petit Dia­ble, le Biki­ni, FMR… Lieux de ren­dez-vous, de fêtes, de dis­putes, de drague, de ren­con­tres, de vie quoi ! En même temps fal­lait bien boss­er, pour pay­er tout cet alcool. Qui trim­bal­lait des pro­filés alu, qui livrait des piz­zas pen­dant que cer­tains tra­vail­laient déjà à trans­met­tre l’art à la jeunesse. Du 24 heures sur 24, je vous dis ! Rapi­de­ment nous avons adop­té la lib­erté du lan­gage artis­tique, oui Duchamp nous a éman­cipés, nous qui venions de milieux pop­u­laires. Ces années-là ont filé à une vitesse folle et sont restées fon­da­tri­ces.

Manuel Pomar, vue d'atelier, 2011, Lieu-Commun,Toulouse.
Manuel Pomar, vue d’ate­lier, 2011, Lieu-Com­mun, Toulouse.

Nous ne nous sommes jamais iden­ti­fiés à la généra­tion X de Dou­glas Cou­p­land, non, nous n’é­tions pas en train de végéter sur la côte ouest avec des pro­jets de logi­ciels ou de jeux vidéos, nous nous activ­ions dans le sud-ouest avec des pro­jets d’ex­pos et de vidéos, nuance. Ce que je veux dire, c’est que nous n’avons jamais eu l’in­stinct gré­gaire au point de nous iden­ti­fi­er à une généra­tion. Notre pré­ten­tion aveu­gle de croire en notre dif­férence nous plaçait volon­taire­ment à dis­tance du reste de la troupe, provo­ca­tion. Mal­gré nos chevilles enflées, il faut bien l’avouer nous n’avons pas fait d’ét­in­celles au box office, nous avons eu l’élé­gance de la dis­cré­tion ! Sûre­ment notre côté jeunesse occi­den­tale dés­abusée, les enfants de la crise bercés à l’ab­sence d’il­lu­sions et pas encore illu­minés par l’ar­rivée de la toile. Nos orig­ines pop­u­laires et immi­grées ont peut être par­ticipé à forg­er notre côté lutte des class­es, prêts à en découdre avec les bour­geois, l’art, le monde, enfin au moins jusqu’à Barcelone ! Autour de nous, les années 90 bat­taient leur plein. À la chute du mur ont suc­cédé la guerre du Golfe, la guerre de Bosnie, le géno­cide Rwandais. Les par­a­digmes géopoli­tiques changeaient d’axe, du rap­port est / ouest, nous bas­culions à la remise en ques­tion du nord par le sud, il était temps. Finale­ment la guerre froide n’avait t‑elle pas servi à enlis­er les mou­ve­ments de libéra­tion colo­niale ? Mal­heureuse­ment l’émancipation pro­lé­taire n’a pas été l’op­tion retenue, le total­i­tarisme libéral a pris le pou­voir. En même temps un total­i­tarisme religieux, paré de mul­ti­ples ver­tus, dépo­sait son voile opaque sur le reste de la planète. Tou­jours cet axe binaire, comme si l’hu­man­ité ne pou­vait jon­gler qu’avec deux balles. L’art comme espace sen­si­ble est peut-être la seule propo­si­tion pos­si­ble à cet état du monde. Notre Bleu Bleu, est un ter­ri­toire libre, une sorte de Lib­er­talia façon auberge espag­nole, des étu­di­ants artistes qui depuis des siè­cles, refont le monde et ten­tent d’in­ven­ter des échap­pa­toires à une vie toute pro­gram­mée. C’est pour cela qu’au­jour­d’hui, Bleu Bleu, la nou­velle, le texte, le film per­du, la pièce et bien­tôt l’ex­po­si­tion est une œuvre en chantier per­ma­nent. Les écri­t­ures se suc­cè­dent. L’œu­vre, comme un organ­isme vivant qui tente sans cesse d’échap­per à son auteur. Pour garder Bleu Bleu au plus près de lui, Stéphane choisit la posi­tion para­doxale de con­fi­er son tra­vail à d’autres artistes. Pour l’ex­po­si­tion, l’idée est de réac­tiv­er à la fois les œuvres décrites dans la pièce mais aus­si faire émerg­er des car­nets de notes, des œuvres qui sont restées au stade de pro­jet. Con­fi­er cette matière brute, ces pre­miers jets de la pen­sée à des artistes nés dans les années 90, à peine sor­tis des écoles d’arts. Com­ment les web native de la généra­tion Y s’emparent et détour­nent les préoc­cu­pa­tions de la généra­tion X !
Com­ment ceux à qui on a asséné la dis­pari­tion du pro­lé­tari­at et de la lutte des class­es peu­vent-ils s’emparer des prob­lé­ma­tiques de la généra­tion qui a assisté à l’ef­fon­drement du mur !
Com­ment ceux pour qui la copie est nette, juste une mul­ti­pli­ca­tion numérique infinie sans détéri­o­ra­tion du sig­nal, vont-ils détourn­er la com­plai­sance dans les effets d’épuise­ment analogique de la généra­tion précé­dente.

Manuel Pomar, "Black Out", 2005, VolKSystem, Toulouse.
Manuel Pomar, “Black Out”, 2005, VolKSys­tem, Toulouse.

À retourn­er ces phras­es dans nos têtes, posons-nous quelques ques­tions : est-ce que la lutte des class­es se serait dis­soute dans l’en­vi­ron­nement numérique ? Est-ce que ce monde qui appuie sans cesse sur la touche bis repeti­ta n’es­saye pas en s’au­to-copi­ant d’échap­per à sa pro­pre fin ? La copie comme échap­pa­toire à la mort ? Le clon­age comme issue plutôt que la repro­duc­tion ? Amu­sons-nous et faisons de notre monde un pla­giat dis­tor­du de lui même, encore plus moche, plus vio­lent, comme au bord de l’im­plo­sion ! Réal­isons sa copie à coups de marteau, il ne mérite ni appli­ca­tion, ni finesse !
À pro­pos de marteau, Stéphane ou plutôt Arcas, attendait une fois nos profs des Beaux-Arts pour défendre son boulot, un marteau à la main ou com­ment dépass­er la rhé­torique par l’ex­plicite ! De mon côté, la dernière œuvre que j’ai présen­tée, avant de quit­ter l’é­cole, était un parpaing posé à côté d’un morceau de mar­bre, le tout titré au mar­queur directe­ment sur le mur, « La ban­lieue est décrépie mais le cen­tre cos­su ». Je crois que nous avions com­pris que pour nous main­tenir en état de lutte, il nous fal­lait faire du sur place, tenir notre posi­tion. D’ailleurs cette métaphore guer­rière tein­tée de roman­tisme ado­les­cent fai­sait vrai­ment par­tie de notre champ lex­i­cal : camp de base, plan d’at­taque, nous nous pre­nions pour une cel­lule dor­mante et les expo­si­tions étaient nos atten­tats. Finale­ment, l’idée du deal de drogue pour financer notre tra­vail fai­sait par­tie de nos fan­tasmes, la fic­tion pour con­cré­tis­er le réel ! Il est ici ques­tion d’échanges et dans la pièce, la trans­ac­tion se fait par con­t­a­m­i­na­tion. Les artistes se ser­vent de leurs clients comme sujets de leurs œuvres et les grossistes, par mimétisme, adoptent leurs pra­tiques artis­tiques. L’art est tout, l’art est dans tout. Dans Bleu Bleu l’ex­po­si­tion, il y a la trans­mis­sion d’une matière brute qui passe par une con­fi­ance réciproque entre les généra­tions. Un don, une con­t­a­m­i­na­tion puis une appro­pri­a­tion. Notre objec­tif est de ne pas repro­duire les mêmes erreurs que nos aînés (la généra­tion 68, ceux qui se sont engouf­frés dans la roue des “sup­port / sur­face”) qui, en se posi­tion­nant en anciens com­bat­tants don­neurs de leçons, ont annulé tout pas­sage de relais. Bleu Bleu, c’est deux fois bleu et ce n’est pas si sim­ple !
Les années 90, le XXIe siè­cle, être jeune, être vieux, quelle dif­férence ? L’im­por­tant c’est l’art que l’on donne à sa vie, pas l’art du dandy, un être au monde mais être au monde, nuance. Non, ce n’est pas si sim­ple, comme une décen­nie qui débute en 1989 par la chute du mur et s’achève en 2001 par la chute des tours. Trop d’ar­chi­tectes, trop d’en­tre­pre­neurs, pas assez d’artistes !

BleuBleu l'exposition, du 24 septembre au 24 octobre 2016 à Lieu-Commun, Toulouse, dans le cadre du Printemps de Septembre.

http://www.lieu-commun.fr
http://www.printempsdeseptembre.com
Bleu Bleu, de Stéphane Arcas
à voir du 17 au 25 mars au Théâtre Varia (Bruxelles)
Avec Renaud Cagna, Cécile Chèvre, Ugo Dehaes, Chloé De Grom, Julien Jaillot, Nicolas Luçon, Guylène Olivares, Philippe Sangdor, Candy Saulnier, Claude Schmitz, Arnaud Timmermans 
Musique live Michel Cloup 
Scénographie Marie Szersnovicz 
Lumières Margareta Andersen 
Création sonore Aymeric De Tapol
Chargé de production Arnaud Timmermans
Un spectacle de Ad Hominem/Black Flag, avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, service du Théâtre et de Wallonie-Bruxelles Théâtre / Danse.
Bleu Bleu a été créé le 14 janvier 2014 au Théâtre Océan Nord à Bruxelles. Il a été sélectionné dans l’édition 2015 du Festival Impatience à Paris, un festival programmé en commun par Télérama et le Théâtre du Rond-Point, le Théâtre National de la Colline et le 104.
Retrouvez les épisodes 1 et 2 du journal de création de Bleu Bleu par Stéphane Arcas.
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Théâtre
Journal de création
Arcas
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Manuel Pomar
Né en 1971, en 1995 il abandonne l’École des Beaux- Arts de Toulouse, en 1997...Plus d'info
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