Les spectacles de marionnettes et formes parentes – théâtre d’objet, etc. – ne sont pas systématiquement conçus pour être présentés à un public jeune. La plupart des créateurs et créatrices travaillent sur des propositions qui embrassent des publics de tous âges, et certaines œuvres sont même réservées aux adultes, du fait de la maturité des thèmes abordés. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’un spectacle n’est pas destiné à ce qu’on appelle « le jeune public » qu’il ne pourrait pas convoquer la figure de l’enfant. Il s’agit même d’un élément central dans la dramaturgie d’un certain nombre de spectacles de théâtre de marionnettes contemporains. On prendra ici « enfant » dans son acception générationnelle – l’être humain de sa naissance à son adolescence – par opposition à une acception au sens de la filiation : même si des spectacles jouent sur la relation ascendants-descendants, il s’agit d’une question distincte à laquelle il faudrait consacrer ses propres développements.
Convoquer la marionnette à bon escient, une question de métaphore

De nombreux spectacles, donc, convoquent la figure de l’enfant, et ils le font pour des raisons diverses. Il arrive sans doute que la marionnette-enfant soit utilisée par facilité, car elle permet de placer des personnages-enfants sur scène sans pour autant avoir recours à des interprètes mineurs. Par la convention marionnettique, qui fait que le public consent à voir un être véritable sur scène là où n’est en réalité qu’un pantin, on peut convoquer au plateau, sans contraintes, un personnage en bas âge. Cependant, si le recours à la marionnette s’arrêtait à une simple facilité pratique, celle-ci ne pourrait accéder à la poésie : il faut que la métaphore marionnettique ait du sens, dans le contexte de l’œuvre, pour qu’elle soit touchante.
Une telle poésie est possible, par exemple, quand l’animation d’une marionnette d’enfant par deux marionnettistes renvoie à une image du couple parental ou procréatif, comme dans Gaspard de Une tribu collectif. Autre exemple, l’usage de la marionnette pour représenter un enfant devient extrêmement puissant lorsqu’il s’agit de jouer sur la tension animé-inerte, qui est métaphore de la dualité vivant-mort : appliquée à un enfant, elle provoque quelque chose de poignant, tant le décès d’un jeune humain est constitutif d’une tragédie. C’est là-dessus que s’appuie Tumulte du Blick Théâtre, où le deuil d’un couple suite à la disparition de son enfant est rendu sensible par la présence d’une marionnette de leur fille, dont le souvenir les hante. C’est ce même principe qu’on retrouve dans L’Enfant d’Élise Vigneron : le personnage du jeune enfant, menacé par la présence invisible de la Reine, est d’autant plus émouvant qu’il est porté par une marionnette inerte et donc toujours déjà morte, incapable de la moindre vie sans l’aide constante de ses manipulatrices.
Dans une métaphore inverse, l’enfant peut symboliser la vie, au sens reproductif. Pourtant, les accouchements sont peu souvent représentés dans les spectacles, comme s’il y avait là un tabou, alors que la marionnette prend bien en charge ce genre de scènes, les bébés se prêtant bien à une marionnettisation. Le lien physique entre marionnettiste et marionnette est une bonne métaphore de la symbiose parturiente-enfant, et le pouvoir qu’a la personne qui manipule d’insuffler l’illusion de la vie est une métaphore de la conception. Les artistes qui osent de telles scènes s’autorisent parfois des figures un peu inquiétantes : ainsi de la marionnette-gant difforme d’Ilka Schönbein dans Métamorphoses, ou des têtes de poupées évoquant le bébé entier par métonymie dans Travail, famille, papa trie du collectif Ornicar.
La construction des marionnettes permet de jouer sur les caractéristiques physiques propres à renforcer le réflexe de protection ressenti à l’égard des enfants. L’aspect frêle de la marionnette de L’Enfant est ainsi renforcé par sa petite taille, ses articulations fines, sa suspension aux fils longs. Généralement, le fait que la marionnette soit constitutivement dépendante de la personne qui la manipule suggère une fragilité et un lien d’attention qui évoque une relation parent-enfant.

Polysémie dramaturgique et symbolique de la figure enfantine
Quant à son rôle dramaturgique, l’apparition de la figure de l’enfant en théâtre de marionnettes peut ne pas avoir de spécificité : comme ailleurs au théâtre, l’enfant peut par exemple servir de métaphore de l’innocence… quand bien même il serait involontairement l’agent précipitant une révolution, comme dans Fantôme du collectif La Méandre.
Il est cependant des emplois moins classiques de la figure de l’enfant qui sont facilités par les mécanismes du théâtre de marionnettes. L’une des possibilités consiste à créer une mise en abyme temporelle, en ce que le personnage incarné par le ou la marionnettiste peut se trouver confronté à une version plus jeune de sa propre personne. Cette ellipse temporelle, renforcée par la juxtaposition manipulateur-manipulé, permet des confrontations qui mettent à nu la psychologie du personnage. Cette contraction temporelle est mobilisée dans Les Lettres de mon père de la compagnie Gare Centrale, où Agnès Limbos dialogue avec une marionnette portée qui représente la petite fille qu’elle était.







