La figure de l’enfant dans les spectacle de marionnette tous publics
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Réflexion

La figure de l’enfant dans les spectacle de marionnette tous publics

Le 8 Déc 2025
L’Enfant, adaptation et mise en scène d’Elise Vigneron d’après La mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck, Cie du Théâtre de L’Entrouvert, 2018, TJP – Centre Dramatique National Strasbourg–Grand Est ©Christophe Loiseau
L’Enfant, adaptation et mise en scène d’Elise Vigneron d’après La mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck, Cie du Théâtre de L’Entrouvert, 2018, TJP – Centre Dramatique National Strasbourg–Grand Est ©Christophe Loiseau

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L’Enfant, adaptation et mise en scène d’Elise Vigneron d’après La mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck, Cie du Théâtre de L’Entrouvert, 2018, TJP – Centre Dramatique National Strasbourg–Grand Est ©Christophe Loiseau
L’Enfant, adaptation et mise en scène d’Elise Vigneron d’après La mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck, Cie du Théâtre de L’Entrouvert, 2018, TJP – Centre Dramatique National Strasbourg–Grand Est ©Christophe Loiseau
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Les spec­ta­cles de mar­i­on­nettes et formes par­entes – théâtre d’objet, etc. – ne sont pas sys­té­ma­tique­ment conçus pour être présen­tés à un pub­lic jeune. La plu­part des créa­teurs et créa­tri­ces tra­vail­lent sur des propo­si­tions qui embrassent des publics de tous âges, et cer­taines œuvres sont même réservées aux adultes, du fait de la matu­rité des thèmes abor­dés. Néan­moins, ce n’est pas parce qu’un spec­ta­cle n’est pas des­tiné à ce qu’on appelle « le jeune pub­lic » qu’il ne pour­rait pas con­vo­quer la fig­ure de l’enfant. Il s’agit même d’un élé­ment cen­tral dans la dra­maturgie d’un cer­tain nom­bre de spec­ta­cles de théâtre de mar­i­on­nettes con­tem­po­rains. On pren­dra ici « enfant » dans son accep­tion généra­tionnelle – l’être humain de sa nais­sance à son ado­les­cence – par oppo­si­tion à une accep­tion au sens de la fil­i­a­tion : même si des spec­ta­cles jouent sur la rela­tion ascen­dants-descen­dants, il s’agit d’une ques­tion dis­tincte à laque­lle il faudrait con­sacr­er ses pro­pres développe­ments.

Con­vo­quer la mar­i­on­nette à bon escient, une ques­tion de métaphore

L’Enfant, adaptation et mise en scène d’Elise Vigneron d’après La mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck, Cie du Théâtre de L’Entrouvert, 2018, TJP – Centre Dramatique National Strasbourg–Grand Est © Christophe Loiseau
L’Enfant, adap­ta­tion et mise en scène d’Elise Vigneron d’après La mort de Tin­tag­iles de Mau­rice Maeter­linck, Cie du Théâtre de L’Entrouvert, 2018, TJP – Cen­tre Dra­ma­tique Nation­al Stras­bourg – Grand Est © Christophe Loiseau

De nom­breux spec­ta­cles, donc, con­vo­quent la fig­ure de l’enfant, et ils le font pour des raisons divers­es. Il arrive sans doute que la mar­i­on­nette-enfant soit util­isée par facil­ité, car elle per­met de plac­er des per­son­nages-enfants sur scène sans pour autant avoir recours à des inter­prètes mineurs. Par la con­ven­tion mar­i­on­net­tique, qui fait que le pub­lic con­sent à voir un être véri­ta­ble sur scène là où n’est en réal­ité qu’un pan­tin, on peut con­vo­quer au plateau, sans con­traintes, un per­son­nage en bas âge. Cepen­dant, si le recours à la mar­i­on­nette s’arrêtait à une sim­ple facil­ité pra­tique, celle-ci ne pour­rait accéder à la poésie : il faut que la métaphore mar­i­on­net­tique ait du sens, dans le con­texte de l’œu­vre, pour qu’elle soit touchante. 

Une telle poésie est pos­si­ble, par exem­ple, quand l’animation d’une mar­i­on­nette d’enfant par deux mar­i­on­net­tistes ren­voie à une image du cou­ple parental ou pro­créatif, comme dans Gas­pard de Une tribu col­lec­tif. Autre exem­ple, l’usage de la mar­i­on­nette pour représen­ter un enfant devient extrême­ment puis­sant lorsqu’il s’agit de jouer sur la ten­sion ani­mé-inerte, qui est métaphore de la dual­ité vivant-mort : appliquée à un enfant, elle provoque quelque chose de poignant, tant le décès d’un jeune humain est con­sti­tu­tif d’une tragédie. C’est là-dessus que s’appuie Tumulte du Blick Théâtre, où le deuil d’un cou­ple  suite à la dis­pari­tion de son enfant est ren­du sen­si­ble par la présence d’une mar­i­on­nette de leur fille, dont le sou­venir les hante. C’est ce même principe qu’on retrou­ve dans L’Enfant d’Élise Vigneron : le per­son­nage du jeune enfant, men­acé par la présence invis­i­ble de la Reine, est d’autant plus émou­vant qu’il est porté par une mar­i­on­nette inerte et donc tou­jours déjà morte, inca­pable de la moin­dre vie sans l’aide con­stante de ses manip­u­la­tri­ces.

Dans une métaphore inverse, l’enfant peut sym­bol­is­er la vie, au sens repro­duc­tif. Pour­tant, les accouche­ments sont peu sou­vent représen­tés dans les spec­ta­cles, comme s’il y avait là un tabou, alors que la mar­i­on­nette prend bien en charge ce genre de scènes, les bébés se prê­tant bien à une mar­i­on­net­ti­sa­tion. Le lien physique entre mar­i­on­net­tiste et mar­i­on­nette est une bonne métaphore de la sym­biose par­turi­ente-enfant, et le pou­voir qu’a la per­son­ne qui manip­ule d’insuffler l’illusion de la vie est une métaphore de la con­cep­tion. Les artistes qui osent de telles scènes s’autorisent par­fois des fig­ures un peu inquié­tantes : ain­si de la mar­i­on­nette-gant dif­forme d’Ilka Schön­bein dans Méta­mor­phoses, ou des têtes de poupées évo­quant le bébé entier par métonymie dans Tra­vail, famille, papa trie du col­lec­tif Ornicar.

La con­struc­tion des mar­i­on­nettes per­met de jouer sur les car­ac­téris­tiques physiques pro­pres à ren­forcer le réflexe de pro­tec­tion ressen­ti à l’égard des enfants. L’aspect frêle de la mar­i­on­nette de L’Enfant est ain­si ren­for­cé par sa petite taille, ses artic­u­la­tions fines, sa sus­pen­sion aux fils longs. Générale­ment, le fait que la mar­i­on­nette soit con­sti­tu­tive­ment dépen­dante de la per­son­ne qui la manip­ule sug­gère une fragilité et un lien d’attention qui évoque une rela­tion par­ent-enfant.

Gaspard, mise en scène d’Une Tribu collectif, 2013, Festival d’Esch, et rencontre marionnettique à la compagnie Point Zéro, Bruxelles ©Inez Kaukaronta
Gas­pard, mise en scène d’Une Tribu col­lec­tif, 2013, Fes­ti­val d’Esch, et ren­con­tre mar­i­on­net­tique à la com­pag­nie Point Zéro, Brux­elles ©Inez Kaukaronta

Poly­sémie dra­maturgique et sym­bol­ique de la fig­ure enfan­tine

Quant à son rôle dra­maturgique, l’apparition de la fig­ure de l’enfant en théâtre de mar­i­on­nettes peut ne pas avoir de spé­ci­ficité : comme ailleurs au théâtre, l’enfant peut par exem­ple servir de métaphore de l’in­no­cence… quand bien même il serait involon­taire­ment l’agent pré­cip­i­tant une révo­lu­tion, comme dans Fan­tôme du col­lec­tif La Méan­dre. 

Il est cepen­dant des emplois moins clas­siques de la fig­ure de l’enfant qui sont facil­ités par les mécan­ismes du théâtre de mar­i­on­nettes. L’une des pos­si­bil­ités con­siste à créer une mise en abyme tem­porelle, en ce que le per­son­nage incar­né par le ou la mar­i­on­net­tiste peut se trou­ver con­fron­té à une ver­sion plus jeune de sa pro­pre per­son­ne. Cette ellipse tem­porelle, ren­for­cée par la jux­ta­po­si­tion manip­u­la­teur-manip­ulé, per­met des con­fronta­tions qui met­tent à nu la psy­cholo­gie du per­son­nage. Cette con­trac­tion tem­porelle est mobil­isée dans Les Let­tres de mon père de la com­pag­nie Gare Cen­trale, où Agnès Lim­bos dia­logue avec une mar­i­on­nette portée qui représente la petite fille qu’elle était. 

Gaspard, mise en scène d’Une Tribu collectif, 2013, Festival d’Esch, et rencontre marionnettique à la compagnie Point Zéro, Bruxelles ©Inez Kaukaronta
Gas­pard, mise en scène d’Une Tribu col­lec­tif, 2013, Fes­ti­val d’Esch, et ren­con­tre mar­i­on­net­tique à la com­pag­nie Point Zéro, Brux­elles ©Inez Kaukaronta

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Portrait de Mathieu Dochtermann
Écrit par Mathieu Dochtermann
Math­ieu Dochter­mann est jour­nal­iste, spé­cial­isé dans le spec­ta­cle vivant. Depuis 2014 il con­tribue régulière­ment à la Let­tre du...Plus d'info
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