Dramaturgies sensibles

Dramaturgies sensibles

Le 2 Juil 2012

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Article publié pour le numéro
Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114
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Il y a vingt-cinq ans, Bernard Dort écrivait, antic­i­pant ce qui se pré­fig­ure aujour­d’hui : « Le règne du met­teur en scène ou du directeur d’orchestre touche à sa fin. On ne revien­dra pas à celui de l’au­teur ou du musi­cien seul — pas plus qu’à celui des comé­di­ens ou des chanteurs. La déf­i­ni­tion d’une nou­velle rela­tion entre les com­posantes de tout spec­ta­cle, entre le texte (lit­téraire et/ou musi­cal), le jeu et l’im­age… s’im­pose. Ce qui fait, main­tenant, ques­tion, c’est la pos­si­bil­ité d’une « œuvre d’art com­mune », enten­due non au sens uni­taire que Wag­n­er don­nait à cette expres­sion, mais comme une poly­phonie d’élé­ments rel­a­tive­ment autonomes. Cer­taines réal­i­sa­tions de Robert Wil­son ou de Luca Ron­coni la pré­fig­urent. Sur un tel enjeu, théâtre et opéra ne peu­vent que se ren­con­tr­er, sans pour autant aban­don­ner leurs domaines spé­ci­fiques ni con­fon­dre leurs moyens. Il est vrai que, étant par déf­i­ni­tion com­pos­ite, l’opéra a peut-être, ici, une mesure d’a­vance…»1

La pre­mière phrase peut faire sourire (le règne du chef d’orchestre a encore de beaux jours devant lui!), mais la pré­dic­tion de Bernard Dort, franche­ment provo­cante à l’époque, se révèle éton­nam­ment juste. La scène théâ­trale con­tem­po­raine est bien dev­enue ce lieu où s’éla­bore une nou­velle poly­phonie, dont les règles et les enjeux sont en par­tie com­muns au théâtre et à l’opéra.

Du fait de la mon­di­al­i­sa­tion et des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion, le monde con­naît aujour­d’hui une muta­tion majeure, par laque­lle les sociétés humaines se crou­vent boulever­sées, dans leurs fonc­tion­nements et leurs iden­tités. Habitué depuis tou­jours aux échanges, aux trans­ferts, aux cir­cu­la­tions divers­es, cet art inter­na­tion­al qu’est l’opéra a eu la chance d’avoir, effec­tive­ment, « une mesure d’a­vance » sur d’autres arts. Une mesure. L’ex­pres­sion est par­lante. Elle explique les incom­préhen­sions entre l’opéra et le théâtre, qui n’ont pas tou­jours été en phase : une mesure de dis­tance, c’est très peu de choses mais large­ment suff­isant pour créer des dis­so­nances. De fac­to, l’opéra artic­ule la scène, le texte, la musique et les images. Mais il fait plus. Par la force de la musique, qui est tout à la fois un art « math­é­ma­tique » et un art haute­ment « émo­tion­nel », il « s’empare des fonde­ments de l’âme »2 et touche des publics au-delà des fron­tières lin­guis­tiques et cul­turelles.
En bal­ayant désor­mais tout le champ de la présence (du chant lyrique, qui reste « naturel », immé­di­at, aux vir­tu­al­ités des nou­velles tech­nolo­gies), l’opéra joue en vir­tu­ose de cette poly­phonie de formes et de matières qui lui est pro­pre, tout en par­tic­i­pant aux recherch­es obsé­dantes de l’art con­tem­po­rain.

Inven­ter pour notre monde une nou­velle poly­phonie, qui engage non seule­ment les anciens matéri­aux de l’art, mais leurs liens et leurs con­textes. Voilà le défi que se donne l’art aujour­d’hui. Et ce défi, l’opéra le relève avec force, lui qui est l’art de l’ex­trême par excel­lence.

  1. Bernard Dort, « Le théâtre, c’est-à-dire l’opéra », Théâtre en Europe, no 14, juil­let 1987, p. 3. ↩︎
  2. Gérard Morti­er, « L’opéra, art des temps mod­ernes ?», Alter­na­tives théâ­trales, nos 16 – 17, 1983, p. 10. ↩︎
  3. Voir par exem­ple les trois numéros de la revue Théâtre / Pub­lic (nos 197, 199, 201) con­sacrés à cette vaste ques­tion, entre 2009 et 2011. ↩︎
  4. Stuttgart, 2008. ↩︎
  5. Ams­ter­dam, 2011. ↩︎
  6. Brux­elles, 2010. ↩︎
  7. Berlin (Deutsche Oper), 2007. ↩︎
  8. Brux­elles, 2011. ↩︎
  9. Salzbourg, 2009. ↩︎
  10. Ams­ter­dam, 2011. ↩︎
  11. Covent Gar­den, 2001. ↩︎
  12. Moscou, 2011. ↩︎
  13. Tokyo, 1999 – Paris, 2001 – New York, 2008. ↩︎
  14. Paris (Châtelet), 2004. ↩︎
  15. New York – Aix en Provence, 2011. ↩︎
  16. Brux­elles, 2011. ↩︎
  17. Berlin (Komis­che Oper), 2012. ↩︎
  18. Erfurt, 2012. ↩︎
  19. Paris, 2007. ↩︎
  20. Turin – Châtelet, 2007. ↩︎
  21. Opéra de Lille, 2012. ↩︎
  22. Madrid, 2012. ↩︎
  23. Jean-Marie Piemme, « La dra­maturgie vis­i­ble », Alter­na­tives théâ­trales, no 16 – 17, 1983, p. 20. ↩︎
  24. Cf. Leyli Dary­oush, L’Opéra ou l’émancipation du corps, à tra­vers l’oeuvre scénique de Christoph Marthaler et Krzystof War­likows­ki, Thèse de doc­tor­at, Paris 3 – Sor­bonne Nou­velle, 2009. ↩︎
  25. Rouen – Opéra-Comique, 2009. ↩︎
  26. Paris, 2006. ↩︎
  27. Opéra des Flan­dres, 2008. ↩︎
  28. Aix en Provence, 2009. ↩︎

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Isabelle Moindrot
Isabelle Moindrot est Professeure d'Études théâtrales à l'Université Paris 8, membre senior de l'Institut universitaire...Plus d'info
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