AU PRINTEMPS 2012, au moment où cet essai voit le jour, Stefan Herheim met en scène SERSE de Georg Friedrich Haendel au Komische Oper de Berlin. Il y est question des passions débordantes qui préoccuperont ultérieurement un August Strindberg ou qui sont aujourd’hui le thème de soap-opéras. À l’origine, « opéra » veut dire « œuvre ». Stefan Herheim a déjà mis en scène un opéra de Haendel. En 2005, GIULIO CESARE IN EGITTO fut plébiscité au Folketeatret d’Oslo, la salle où l’on donnait le théâtre musical avant l’ouverture en 2008 du nouvel opéra. Quelque deux cent quatre-vingts ans après la création de l’œuvre, César atterrit dans un OVNI en forme de lustre au milieu de personnes vivant aujourd’hui = au milieu du peuple qui le regarde mi incrédule, mi admiratif. De cette manière, l’opéra vient « à nous ». Stefan Herheim le sait bien : un producteur est sans réserve esclave de l’opéra – sur une scène où, en l’espace de trois heures en moyenne (soit la durée de deux matchs de football ou d’une superproduction hollywoodienne), notre existence entière s’écoule en reflets entre utopie et cauchemar.
Axiome
En réalité, il est prétentieux de vouloir décrire en mots un metteur en scène. Il est un architecte qui travaille délibérément dans l’ombre au gros œuvre d’un édifice. Qui donc s’intéresse aux plans de construction une fois l’ouvrage terminé ? N’entretient-on pas précisément à l’opéra le préjugé que l’on s’en est longtemps très bien tiré sans metteur en scène ? On raconte qu’autrefois, le chanteur le plus expérimenté indiquait aux membres d’une troupe ce qu’ils devaient faire sur scène. Faux ! Il suffit de lire ne serait-ce qu’une phrase d’une lettre de Mozart ou de Verdi au sujet des jeux de scène. Il y est toujours question de la mise au banc d’essai d’un « interprète » impliqué. Existe-t-il une fidélité à l’œuvre au sens « Ça ne marche que comme ça » ? Non : plus les indications précisant « comment » faire semblent être clairement notées dans une partition, plus l’obsession de liberté est grande pour l’interprète. Le système de signes et de symboles est garant de la dialectique entre donnée fixe et liberté. Le metteur en scène est un archéologue qui pénètre les dessous d’une partition, qu’il dissèque tel un médecin – organe après organe, prenant même le risque de se perdre dans des labyrinthes souterrains. Le terme français « metteur en scène » est explicite : un metteur en œuvre est un typographe, un ouvrier imprimeur, un artisan, un prestataire de services qui ne se perd pas en mots mais « agit ». Voilà qui devrait plaire à Stefan Herheim.