Les marionnettes anciennes de l’exposition1 viennent de la collection de la famille de Franca Rame. Elles montrent le style italien qui vient de loin, et c’est cela que j’aime : cette sensation que les personnages ont vécu il y a longtemps et que les marionnettes qui les évoquent en sont contemporaines. Il s’agit des personnages importants, personnages de pouvoir, un duc, un chevalier, de même que des personnages âgés. Les marionnettes ne sont jamais aussi fortes que lorsqu’elles doivent définir des identités ou des fonctions fortes. La marionnette aime le trait gros. Mais, outre le visage, le costume est également important et il faut le regarder avec attention parce qu’il fournit beaucoup de détails sur l’identité sociale et psychique des personnages.
Il y a aussi des masques dans l’exposition, certains sont anciens, des masques de la tradition napolitaine. Pour leur redécouverte, la famille Sartori a fait un travail extraordinaire. Et aujourd’hui nous savons que l’arrivée en France des comiques italiens a changé la forme des masques, et ceci à cause de la rencontre avec la tradition populaire française. La différence entre les anciens masques et les masques plus récents vient de là, du voyage des Italiens à Paris. Suite à cette rencontre, les masques et, je pense, les marionnettes aussi sont devenus plus grotesques. Il faut tenir compte de la diaspora des acteurs de la commedia dell’arte et intégrer ses effets. Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que progressivement une persécution à leur égard va être mise en place et que, peut-être, cette tendance vers le grotesque que l’on observe n’est que leur réponse critique, leur défense.
Moi-même, j’ai employé les marionnettes dans mes spectacles, marionnettes fabriquées par des membres de la famille Rame : tous ces arts forains seront à jamais des arts de famille. Mais, comme dans le travail que j’ai fait avec Franco Albertazzi, j’ai préféré mélanger les masques et les marionnettes. J’aime ce mélange des expressions du génie populaire réunies dans un même lieu, dans un même geste théâtral.
Si j’ai une préférence pour les marionnettes italiennes, je dois dire que le Guignol me captive aussi, que les marionnettes chinoises, je les aime de même. Il y a chaque fois une différence, quelque chose qui les distingue les unes des autres : cela exige de la part du comédien un travail différent, il doit prendre en compte les dimensions, la sculpture et les tissus qui ne sont jamais pareils. Par ailleurs les marionnettes peuvent développer une certaine dimension fantastique sur le plateau et aident à produire une provocation plus grande. Ce sont de bons outils pour le comédien. Je les aime aussi parce qu’elles vous poussent à réduire votre geste et, d’une certaine manière, à reconstruire un corps apte à dialoguer avec elles. La variété, la dimension des marionnettes est un autre élément décisif qui les distingue et que vous devez prendre en compte lorsque vous travaillez avec elles. Il n’y a pas de taille unique. De prêt-à-porter. Le théâtre cesse d’apparaître comme un lieu du naturel, il est un lieu de fabrication afin que des masques, des marionnettes et des gens puissent dialoguer autant que travailler ensemble.
Propos recueillis par Georges Banu.
- Exposition « Pupazzi con rabbia e sentimento » présentée à l’Institut International de la Marionnette au Festival de Charleville-Mézières 2000. ↩︎