La notion de marionnette me semble assez limitée. Je préfère en général utiliser le terme plus large de mannequin qui comprend l’idée de poupée. Une marionnette est une personne objectivée, ce qui implique qu’un organisme humain (une personne) est mort et se transforme alors en marionnette. La marionnette fait passer un message sur un humain, présent dans son immobilité (une figure sculptée).
Les marionnettes dans mes spectacles valent comme métaphores du corps humain. La présence de figures mortes véhicule un message sur l’homme. Le silence en dit plus que les mots.
La première fois que j’ai découvert la marionnette, c’était en assistant au spectacle CALLING FOR BREAD du Bread and Puppet de Peter Schumann qui se produisait à Wroclav dans la Pologne des années 1970. Son influence est très fortement visible dans mes premiers spectacles. J’avais à cette époque un grand besoin de trouver mon propre langage, mes orientations personnelles et le territoire que je voulais explorer. Dans un premier temps, j’ai beaucoup utilisé les masques. Je me suis ensuite davantage concentré sur la lumière
et l’espace.
J’ai utilisé la marionnette comme une figure multiple et étendue. Dans STIGMA, elle représentait l’absolu, elle était faite d’un grand masque et avait aussi un visage. Dans HERBARIUM, j’ai utilisé de grandes marionnettes, car je ressentais la nécessité de m’étendre : je voulais que l’espace soit plein de marionnettes. Les masques ne me suffisaient plus. Les marionnettes sont présentes dans chacun de mes spectacles. Elles sont des symboles, des métaphores.
La rencontre d’un acteur et d’une marionnette raconte le passage du monde de la mort à celui des vivants. C’est l’histoire d’une transformation. Comme si on arrachait des couches successives. Dans ANTIGONE, la métamorphose était le problème de la pièce : on y trouve le motif récurrent du mort prenant la forme de la vie et vice versa. Il y a une évolution du processus, une construction graduelle.
Dans BUÉE, j’utilisais des manteaux comme des marionnettes, des vêtements morts, qui passaient de l’état de marionnette à celui de personne vivante. C’est le mouvement qui leur donnait vie. L’acteur dans mon travail ne joue qu’un rôle instrumental. Il est là pour rendre vivant un objet. Il se produit un choc poétique entre le mort et le vivant, entre la marionnette et l’homme.
Les spectateurs voient une marionnette apparemment morte, qui se met tout d’un coup à prendre vie, à vivre sa vie. Une métamorphose a lieu.
Je ne me sens pas marionnettiste. La marionnette, le mannequin, sont pour moi un moyen d’expression, il me permet de faire passer ce que j’ai à dire. Je m’inspire et j’utilise certains éléments du monde de la marionnette, mais je porte l’accent avant tout sur l’espace. Ce n’est pas la marionnette qui pleure mais l’espace.
Les marionnettes incarnent une vérité qui ne meurt jamais. Un acteur ne dit pas la vérité, il peut prétendre jouer n’importe quel rôle. Il est embourbé dans sa nature propre alors que la marionnette est authentique. Elle ne peut pas suivre de fausses pistes. Une marionnette ne ment pas. Il m’est plus facile d’avoir une relation intime avec une marionnette qu’avec un acteur. C’est plus convainquant, plus vrai, plus direct. Je fais confiance aux marionnettes. Je crois que la marionnette a toujours fait partie et fera toujours partie du théâtre. Il nous faut toujours revenir à la source de la marionnette, s’en inspirer, aujourd’hui autant qu’hier. La marionnette peut libérer nos émotions.