« Nos dieux sont en papier mâché »

« Nos dieux sont en papier mâché »

Entretien avec Peter Schumann

Le 12 Nov 2000
CATHÉDRALE DE PAPIER MÂCHÉ, Exposition universelle de Hanovre, mise en scène Peter Schumann, octobre 2000. Photo Rémi Paillard.
CATHÉDRALE DE PAPIER MÂCHÉ, Exposition universelle de Hanovre, mise en scène Peter Schumann, octobre 2000. Photo Rémi Paillard.

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CATHÉDRALE DE PAPIER MÂCHÉ, Exposition universelle de Hanovre, mise en scène Peter Schumann, octobre 2000. Photo Rémi Paillard.
CATHÉDRALE DE PAPIER MÂCHÉ, Exposition universelle de Hanovre, mise en scène Peter Schumann, octobre 2000. Photo Rémi Paillard.
Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
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Roman Pas­ka : Vous vous trou­vez ici à l’Exposition uni­verselle de Hanovre, où vous réalisez des instal­la­tions et des représen­ta­tions dans le pavil­lon « Basic Needs » ( besoins essen­tiels). Ce que vous mon­trez ne cor­re­spond à mon avis ni à une expo­si­tion, ni à une instal­la­tion, ni à un spec­ta­cle, mais à un mélange des trois. Qu’en pensez-vous ?

Peter Schu­mann : C’est l’évolution d’idées qui n’allaient pas du tout ensem­ble au départ, et qui ont fini par se réu­nir, par tâton­nements, pour aboutir au spec­ta­cle tel qu’on peut le voir actuelle­ment. En fin de compte, on retrou­ve toutes les choses que vous avez évo­quées, mais pas en même temps. En effet, de l’ouverture à la fer­me­ture du pavil­lon, il s’agit essen­tielle­ment d’une expo­si­tion, avec quelques légen­des imprimées sur le côté. Pour nous, la dif­fi­culté, c’était le pub­lic. Il est extrême­ment dif­fi­cile de s’adresser à un pub­lic de « touristes pro­fes­sion­nels ». Ils sont tou­jours pressés et ne peu­vent pas com­pren­dre, ni accepter de faire quelque chose d’aussi bête que de rester sans bouger. C’est tout sim­ple­ment impos­si­ble. S’ils y con­sen­tent ce n’est que pour repos­er leurs pau­vres jambes qui n’en peu­vent plus et ont besoin de s’asseoir quelques instants. Une fois que nous avons com­pris cela, nous avons dis­posé quelques chais­es et avons con­staté que c’était une astuce très sim­ple pour inciter les gens à lire ce qu’ils ont devant les yeux. En effet, s’il n’y a pas de sièges, on n’a aucune chance d’y arriv­er. Il fal­lait ensuite com­mu­ni­quer au pub­lic les thèmes abor­dés dans l’exposition. Ce fut un échec au début. Nous avons claire­ment observé que les gens ne voulaient pas écouter, s’éloignaient, n’étaient pas attirés par la musique. C’est grâce à une accu­mu­la­tion d’astuces que nous avons réus­si à sur­mon­ter ces dif­fi­cultés. Au départ, nous n’avions pas dis­posé de caches sur les portes et on aperce­vait la lumière qui fil­trait au tra­vers. Les gens avaient donc ten­dance à pour­suiv­re leur chemin alors même qu’on don­nait une représen­ta­tion. Tant que la porte est restée ouverte, les gens se sont dirigés directe­ment vers la sor­tie. Puis nous avons fer­mé la porte durant le spec­ta­cle, et avons fait sor­tir les gens par un autre endroit. Nous nous sommes alors aperçus que la majorité d’entre eux restait. Tout dépend de petites choses comme ça.

RP. : Même si votre spec­ta­cle se déroule à l’intérieur, ce que vous décrivez ressem­ble fort à du théâtre de rue.

PS. : Absol­u­ment. C’est tout à fait sem­blable au théâtre de rue. Tout d’abord, les gens ne vien­nent pas vous voir, mais ils tombent sur vous par hasard. C’est comme dans la rue.
Ils se com­por­tent aus­si comme s’ils étaient dans la rue. Ils marchent vers un autre endroit, sans s’apercevoir qu’ils sont déjà là où ils pour­raient vouloir aller. C’est vrai, c’est comme dans la rue.

RP. : Même si la sit­u­a­tion s’apparente à du théâtre de rue, vous n’en êtes pas moins dans un espace clos. Les gens tra­versent un espace situé en intérieur. En leur don­nant des chais­es, vous les con­duisez d’une cer­taine manière presque dans une sit­u­a­tion de salle de théâtre.

PS. : Pas tout à fait, car ils ne sont pas assis devant un spec­ta­cle, il faut les guider, les con­duire d’un endroit à l’autre. C’est très sain, très bon, cela vaut bien un peu d’exercice dans un club de remise en forme.

RP. : Juste­ment, à pro­pos des déam­bu­la­tions des spec­ta­teurs, l’espace est amé­nagé comme une suc­ces­sion de chapelles dans ce qui ressem­ble à une cathé­drale.

PS. : Les petits autels tels qu’on en trou­ve dans les chapelles se prê­tent à la con­cen­tra­tion et à une brève célébra­tion de quelque chose d’extrêmement sim­ple. Par exem­ple, celui con­sacré aux bonnes choses (la nour­ri­t­ure, le som­meil et la san­té) n’est rien de plus que quelques oiseaux en papi­er qui volet­tent et un oreiller qui a été placé sous la tête d’un petit agneau. C’est vrai­ment très sim­ple. L’exposition elle-même doit être con­va­in- cante. Les gestes et les activ­ités de la seule actrice qui est présente sont égale- ment assez engageants pour que le pub­lic reste. Puis, les spec­ta­teurs se trou­vent con­fron­tés à une phrase de Marx, écrite quand il était très jeune, juste après son mariage, et à d’autres choses dont ils ne sont pas néces­saire­ment con­scients. Par exem­ple, il y a cette cita­tion d’Hölderlin qui sort de la bouche d’une mar­i­on­nette géante et qui est un com­men­taire sur Marx même si son auteur a vécu avant Marx. Il s’agit d’une superbe cita­tion. On tombe aus­si sur le logo du FMI, ou des déc­la­ra­tions sur les activ­ités de la Banque mon­di­ale et du Pen­tagone. Il y a tant de choses à lire qu’en général, les gens ne les assim­i­lent pas, mais elles sont tout de même là, au cas où. Par ailleurs, on a égale­ment instal­lé un cadre con­sti­tué de gravures sur bois. Ce sont essen­tielle­ment des pan­neaux qui traî­naient sur le site de l’Expo quand nous avons com­mencé à tra­vailler ici. « L’avenir a des parte­naires fiables », c’est ce qu’on lit dans les bus, c’est pourquoi nous nous sommes un peu inter­rogés sur la fia­bil­ité de ces parte­naires et sur l’avenir qu’ils nous offrent. Il est facile de faire des jeux de mots sur ces slo­gans. Mais nous nous sommes aperçus que les gens ne s’en don­naient pas la peine. Leurs yeux ne s’élèvent pas au niveau des slo­gans, ils ne pren­nent pas le temps de lire ce qui est écrit.

RP. : Pensez-vous que ce pro­jet s’inscrive dans la lignée des autres, ou avez-vous adap­té la façon habituelle de tra­vailler du Bread and Pup­pet à ce pro­jet ?

RP. : Quand vous dites le même nom, vous voulez dire Bread for the World et Bread and Pup­pet ?

PS. : Absol­u­ment. Ils ont donc décidé de nous soutenir. Je les ai ren­con­trés et j’ai à nou­veau annulé le pro­jet en dis­ant que nous étions athées et que nous ne voulions pas d’un pro­jet d’obédience chré­ti­enne. Nos dieux sont en papi­er mâché et n’ont rien à voir avec le Dieu des Chré­tiens. Nous avons insisté et ils ont fini par don­ner leur aval aux dieux en papi­er mâché. En fait, ils sont assez tolérants. Ils sont engagés dans des pro­grammes con­tre l’effet de serre en Afrique et le tra­vail des enfants en Asie, idées avec lesquelles nous sommes par­faite­ment d’accord.

RP. : Pou­vez-vous nous par­ler des dieux en papi­er mâché ?

PS. : En réal­ité, il s’agit d’une propo­si­tion à la fois très bête et très sérieuse que nous faisons aux gens, celle de porter un regard neuf sur leurs dieux monothéistes et cap­i­tal­istes et de s’en débar­rass­er. Ce sont des dieux ter­ri­bles, qui ter­rorisent le monde. Et même s’ils se posent en dieux d’amour et d’amitié, ils sont tout le con­traire. Tous les grands bel­li­cistes sont des Chré­tiens, des créa­tures de Dieu, comme M. Clin­ton et M. Bush, qui déti­en­nent le plus gros arse­nal atom­ique du monde. La guerre des étoiles est en ges­ta­tion. Il faudrait que les gens regar­dent de plus près leurs dieux et les trans­for­ment en dieux de papi­er mâché, qui sont beau­coup plus sym­pa­thiques. À l’origine, les dieux sont tou­jours créés par l’homme. Nous avons fab­riqué nos dieux, qui sont de jolies petites créa­tures que l’on peut jeter ou échang­er. Elles peu­vent porter un nom un jour, et un autre le lende­main. Il s’agit d’une propo­si­tion très sérieuse pour la civil­i­sa­tion. C’est pourquoi nous espérons que les gens com­pren­dront notre mes­sage. Nous leur offrons des dieux en papi­er mâché.

RP. : Dans une sit­u­a­tion comme celle-ci, vous sen­tez-vous proche de ce que fai­sait le Bread and Pup­pet The­atre à ses débuts ?

PS. : D’une cer­taine manière oui. Mais, dans l’ensemble, la sit­u­a­tion dans laque­lle nous sommes ici est en soi extra­or­di­naire, parce que nous sommes à l’Expo 2000. Comme les autres expo­si­tions uni­verselles, il s’agit d’une propo­si­tion fausse, futur­iste. C’est une espèce de propo­si­tion tech­nologique à dénom­i­na­teur com­mun qui est faite au pub­lic : résoudre les prob­lèmes de la planète grâce à la tech­nique, en util­isant davan­tage de machines. À cet égard, toutes les expo­si­tions uni­verselles sont iden­tiques. Mais celle-ci va encore plus loin, au sens où la vie a été sup­primée dans les halls. Ici, ce qui est excep­tion­nel, c’est qu’il y a de vrais objets, alors que la majorité des halls ne ren­fer­ment que des écrans. Tout se trou­ve sur des écrans, tout n’est qu’écrans. Le mes­sage est unique. Il n’y a rien, aucune cri­tique, pas même une ligne, même pas un moment de réflex­ion, pour s’interroger sur la voie que l’on est en train de suiv­re et se deman­der si c’est bien la bonne. C’est du com­merce, rien de plus. Se trou­ver au milieu de tout cela et affirmer le con­traire, avec tous les com­bats qui font rage, c’est béné­fique. Ce serait pire si nous n’étions pas présents, s’il n’y avait per­son­ne pour don­ner au moins ce petit coup de pied.

RP. : Dans votre tra­vail, même si vous dites que les dieux en papi­er mâché sont jeta­bles, il s’agit sou­vent de très beaux per­son­nages, dotés d’un immense pou­voir évo­ca­teur. Le pub­lic est pro­fondé­ment ému et touché par ces per­son­nages. C’est peut-être aus­si la rai­son pour laque­lle une organ­i­sa­tion telle que Bread for the World vous a con­tac­tés. Ils voient dans votre œuvre une dimen­sion « sacrée », qui leur fait penser qu’elle est com­pat­i­ble avec leur idée de drame liturgique. Qu’en pensez- vous ? Je me demande si vous ne croyez pas un peu plus que vous ne le dites à vos dieux de papi­er mâché ?

CATHÉDRALE DE PAPIER MÂCHÉ, Exposition universelle de Hanovre, mise en scène Peter Schumann, octobre 2000. Photo Rémi Paillard.
CATHÉDRALE DE PAPIER MÂCHÉ, Expo­si­tion uni­verselle de Hanovre, mise en scène Peter Schu­mann, octo­bre 2000. Pho­to Rémi Pail­lard.

PS. : Pour moi, la spir­i­tu­al­ité est pos­si­ble dans un accord entre celui qui fait la propo­si­tion et les gens qui écoutent cette propo­si­tion : ces mots, ces sculp­tures, sont appelés dieux, ou sont l’autel, ou le point de focal­i­sa­tion. On peut le faire avec humour, comme c’est notre cas, et on peut aus­si le pren­dre très au sérieux, comme un besoin humain. Ils ont besoin de dieux, et je dis sim­ple­ment qu’ils devraient jeter ceux qu’ils ont, car ils ont des dieux que l’on doit accuser de tous les maux de la civil­i­sa­tion. Il n’y a pas à ter­gi­vers­er. RP. : Et espérez-vous que les gens soient sor­tis trans­for­més de cette ren­con­tre avec des dieux en papi­er mâché ?

PS. : Nous voulons qu’ils com­pren­nent, à la sor­tie de la cathé­drale, qui est aus­si la sor­tie du pavil­lon des besoins essen­tiels, qu’il faut ren­vers­er le sys­tème qui nous gou­verne, car ce sys­tème est mau­vais. Ce n’est pas une inci­ta­tion à la révo­lu­tion clas­sique, car je pense que c’est la manière dont la police et l’armée l’organisent qui est idiote. L’histoire de Mumia Abu-Jamal et des Black Pan­thers a prou­vé qu’on pou­vait se faire tuer pour avoir tenu ce genre de pro­pos. Il n’y a donc pas moyen de lut­ter con­tre le gou­verne­ment avec des armes, mais il est cer­taine­ment pos­si­ble de mobilis­er les gens, de leur faire com­pren­dre qu’ils ont un mau­vais gou­verne­ment. C’est ce que j’appellerais la révo­lu­tion cul­turelle.

RP. : Lorsque vous pro­posez au pub­lic un morceau de pain à la fin du spec­ta­cle, y voyez-vous un moyen pour les spec­ta­teurs de témoign­er de leur par­tic­i­pa­tion par le partage ? Ont-ils le choix ?

PS. : Oui. Ils ont aus­si le choix, et ils choi­sis­sent assez sou­vent de manger ce pain, alors que d’autres s’abstiennent. C’est une par­tic­i­pa­tion, un accord, qui n’est pas total. Le fait qu’ils man­gent le pain ne sig­ni­fie pas qu’ils acceptent de révo­lu­tion­ner leur mode de vie ou celui de quelqu’un d’autre, mais par ce geste, ils dis­ent : « je suis suff­isam­ment d’accord pour accepter cette hos­pi­tal­ité », ce qui n’est déjà pas si mal.

RP. : Nous nous trou­vons à Hanovre, la ville natale de Kurt Schwit­ters. Vous voyez-vous inscrit dans la tra­di­tion de l’art alle­mand du vingtième siè­cle ?

PS. : Schwit­ters a eu cette phrase mer­veilleuse : « nous deman­dons l’élimination immé­di­ate de tout ce qui est mau­vais ». Oui, je suis pour Merz. Naturelle­ment, l’art est une révo­lu­tion. La révo­lu­tion du début de ce siè­cle a débouché sur Hitler et l’emprise du fas­cisme sur toute l’Europe, mais néan­moins, c’est la révo­lu­tion spir­ituelle de ce siè­cle. Cela reste val­able, et, quelle que soit la doc­trine révo­lu­tion­naire et la nou­velle pen­sée que vous y intro­duisiez, cela a tou­jours à voir avec ce moment du début du siè­cle, et il faut qu’il en soit ain­si. Oui, je ressens une grande prox­im­ité. Hier, un homme m’a par­lé d’un opéra de Kandin­sky que je ne con­nais­sais pas, qui s’intitule quelque chose comme LES TABLEAUX D’UNE EXPOSITION. Je ne con­nais que LE SON JAUNE de Kandin­sky, mais apparem­ment, il en a fait d’autres, et cette expo­si­tion rap­pelait à cet homme cette œuvre de Kandin­sky. Je con­nais la pen­sée et les écrits de Kandin­sky, et je sais égale­ment qu’il y a aus­si quelque chose de très proche dans mon tra­vail.

RP. : Selon vous, que va-t-il se pass­er main­tenant ? Que va-t-il advenir de la mar­i­on­nette dans le prochain siè­cle ? Quelle ori­en­ta­tion pren­dra-t-il ? Où peut-il aller ?

PS. : Nous avons eu la très grande sat­is­fac­tion de voir, au cours de ces derniers mois, que les mar­i­on­nettes étaient pris­es très au sérieux : elles ont été matraquées par la police ! À Philadel­phie, la police a même recou­ru à des moyens mil­i­taires : bardés de tout l’arsenal des forces de préven­tion, les policiers ont fait irrup­tion dans les stu­dios où se fab­ri­quaient des mar­i­on- nettes pour la con­ven­tion répub­li­caine, et ils les ont détru­ites avant même qu’elles ne puis­sent servir. C’est une manière de pren­dre les mar­i­on­nettes au sérieux. Cela ne s’était jamais vu au cours de ce siè­cle. Et tout d’un coup, ce sont les mar­i­on­nettes qui sont dan­gereuses, et qu’il faut com­bat­tre, réprimer, frap­per et atta­quer. Oui, c’est un sérieux inédit. On assiste égale­ment à un nou­veau mou­ve­ment chez les jeunes, qui n’acceptent plus les règles de l’OMC, du FMI et de la Banque mon­di­ale. Ils s’y opposent en s’aidant de mar­i­on­nettes, car les mar­i­on­nettes sont plus grandes que les êtres humains, facile­ment plus belles, et aus­si facile­ment plus expres­sives, dans le détail et en général. Elles ne sont pas donc sim­ple­ment des instru­ments utiles, elles sont des dieux. Dans de nom­breux cas, elles ont un véri­ta­ble pou­voir mys­tique, et ce pou­voir est aujourd’hui recon­nu par la police. C’est le com­pli- ment du siè­cle pour notre art.

RP. : Selon vous, se pour­rait-il que votre pro­pre tra­vail, avec tous ces gens qui vous ont imité et qui ont ten­té de suiv­re votre exem­ple, ait eu et ait tou­jours un impact ?

PS. : Oui, parce que tous ces gens qui ont organ­isé ces man­i­fes­ta­tions à Los Ange­les et à Philadel­phie ont été étu­di­ants au Bread and Pup­pet The­atre, et cela com­mence à porter ses fruits. On perçoit aujourd’hui les résul­tats de tous ces ate­liers que nous avons tenus. Et c’est dans ces activ­ités poli­tiques que ce résul­tat est le plus évi­dent. Ce n’est pas un théâtre de mar­i­on­nettes qui souhaite inven­ter une tech­nique de plus, mais c’est un art qui entend chang­er la con­di­tion humaine, qui veut s’attaquer au sys­tème, ren­dre la vie meilleure et être en prise directe avec les grands prob­lèmes de ce monde.

RP. : À plusieurs repris­es lors de notre con­ver­sa­tion, vous avez pronon­cé le mot « mar­i­on­net­tiste ». J’ai l’impression que par­fois, lorsque vous utilisez ce mot, vous voulez évo­quer quelque chose d’un peu par­ti­c­uli­er.

PS. : Pour nous, cet ate­lier a été une très bonne déf­i­ni­tion de ce qu’est un mar­i­on­net­tiste. C’est presque un guide spir­ituel. C’est quelqu’un qui pro­pose un pro­duit artis­tique mêlant sculp­ture et musique et qui racon­te des his­toires. Il doit ini­ti­er les autres aux quelques aspects tech­niques que cela sup­pose, mais c’est surtout en les faisant par­ticiper aux scènes qu’il les cap­tivera. Il devra les associ­er à la créa­tion pour en faire un pub­lic non pro­fes­sion­nel, puis des mil­i­tants. Ils sont en plein dedans, de sorte que, bien qu’ils n’aient pas plus de trois jours d’expérience, ces gamins sont aujourd’hui des protes­tataires. Ils sont engagés. C’est ça, le monde des mar­i­on­nettes.

RP. : Et la rela­tion par­ti­c­ulière qu’entretient le mar­i­on­net­tiste avec la mar­i­on­nette ?

PS. : Il est à l’intérieur, il ne se con­tente pas de la faire bouger, il est l’enfant, rapetis­sé par tant de grandeur. Il faut laiss­er la chose flot­ter au-dessus de votre tête et admet­tre qu’elle est plus grande que vous.

RP. : Si je con­sid­ère une mar­i­on­nette comme un dieu en papi­er mâché, je ne peux m’empêcher de deman­der ce que représente le mar­i­on- net­tiste de ce point de vue-là ?

PS. : Il est le sac­ristain dans cette église, ou le manu­ten­tion­naire qui pré­pare le ter­rain pour les autres dieux, ou déplace le dieu vers un endroit plus appro­prié, où les gens le ver­ront mieux. Il est le manu­ten­tion­naire, l’agent de net­toy­age, le pré­posé aux poubelles.

RP. : Lorsque vous envis­agez la créa­tion d’un pro­jet tel que celui-ci, que l’on appelle cela une expo­si­tion, une instal­la­tion, un spec­ta­cle, ou ce que vous voudrez, faites-vous la dif­férence entre les par­ties qui relèvent de la sculp­ture et de la con­cep­tion de l’espace, d’une part, et tous les aspects liés à la représen­ta­tion et au théâtre, d’autre part ?

PS. : Non, seule­ment sur le plan pra­tique. Il faut com­pren­dre qu’on ne peut pas faire une ani­ma­tion douze heures d’affilée. Mais en réal­ité, peu importe que ce soit des sculp­tures sur bois et des gravures ou des moulages en argile, ou que tout puisse facile­ment être rem­placé par autre chose. J’ajouterai que pour la représen­ta­tion, peu importe que vous util­isiez votre voix ou des instru­ments, tant que vous restez à l’écart de ces machines qui pro­duisent des fonds sonores ou qui pro­jet­tent des images. Tant que vous restez proche de la réal­ité des choses et des matéri­aux, que vous avez autant de choses à faire pass­er dans votre mes­sage et votre pro­pos, je ne pense pas que cela fasse une grande dif­férence.

RP. : Cachez-vous quelque chose au pub­lic ?

PS. : Oh, je pense que oui. Nous tri­chons beau­coup en pré­ten­dant dire des choses sim­ples alors qu’en réal­ité, nous dis­ons des choses bien plus com­plex­es, ou pas aus­si évi­dentes qu’elles n’y parais­sent. Mais ce n’est pas un prob­lème. Oui, il y a de la tromperie, cela ne fait aucun doute. C’est tou­jours trompeuse­ment sim­ple. Mais pourquoi pas ?

Tra­duc­tion : Archi­texte.

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Roman Paska
Roman Paska est auteur, marionnettiste et metteur en scène. Il dirige l’Institut International de la...Plus d'info
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