Un banquet royal

Compte rendu

Un banquet royal

Le 7 Jan 2016
Adrien Drumel, Jérémie Siska et Pierange Buondelmonte - © Marieaurore
Adrien Drumel, Jérémie Siska et Pierange Buondelmonte - © Marieaurore
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Quoi de mieux pour ter­min­er l’année 2015 que d’assister au Ban­quet de Pla­ton, au si bien nom­mé Théâtre de la Vie, tous deux (texte et espace) revis­ités par Pauline d’Ollone et six comé­di­ens fab­uleux.

Remé­morons-nous ce texte alors que nous essayons pénible­ment de nous remet­tre de notre gueule de bois post-réveil­lon et de manière à débuter l’année par de bonnes réso­lu­tions : relire nos clas­siques fon­da­teurs, en par­ti­c­uli­er grecs.

L’actualité de l’herméneutique pla­toni­ci­enne n’a pas échap­pé à notre jeune et tal­entueuse met­teuse en scène qui révèle ces pro­pos d’une haute rigueur intel­lectuelle dans une belle inven­tiv­ité dra­maturgique.

Les con­vives déci­dent, lors de cette soirée chez Agath­on, de ne pas s’enivrer (prenons-en de la graine) et, pour ani­mer la récep­tion qui pour­rait sem­bler quelque peu sopori­fique, ils se lan­cent dans un con­cours d’allocutions sur le thème de l’amour. Le spec­ta­teur, qui est soumis suc­ces­sive­ment aux dif­férents points de vue d’Aristodème, d’Eryximaque, de Pau­sa­nias, de Phè­dre, d’Appolodore, sans oubli­er Socrate, est à chaque fois cap­tivé : tour de force de con­vic­tion sys­té­ma­tique, magis­trale­ment accom­pli par les comé­di­ens.

Où il y sera ques­tion de gen­res (pas seule­ment homme et femme, c’est plus com­pliqué que cela), de Dieu(x) et d’amour donc, moins de Thanatos et plus d’Éros, surtout vers la fin de la soirée où ça part car­ré­ment en vrille, avec scènes de jalousie (Alcib­i­ade – joué par Jérémie Siska – con­fesse que Socrate l’a tou­jours repoussé, qu’il souf­fre d’un dou­ble sen­ti­ment, amour fou et folle souf­france d’amour-propre, tout en gar­dant bon espoir), bais­ers fugaces et – rapi­de – rave par­ty ani­mée par Adrien Drumel alias Agath­on, déploy­ant une belle énergie dans une inou­bli­able séquence de rap élec­tron­ique en grec ancien, grand moment de théâtre, qui se ter­mine sur une choré­gra­phie de groupe, style dimanche après-midi sur la plage de Tor­re­moli­nos.

Autre temps fort, Philippe Grand’Henry, qui joue Socrate, agacé par ces agapes qui n’en finis­sent pas (et sans doute surtout con­trar­ié de ne pas avoir le dernier mot) nous fait une sor­tie, non seule­ment de scène mais car­ré­ment du théâtre, dans la rue (encore une fois la bien nom­mée « tra­ver­sière »). Là, on reprend con­science de la vie réelle, quelques voitures passent en klax­on­nant, un pié­ton en prof­ite pour jeter un coup d’œil à l’intérieur, se deman­dant sans doute ce que font ces gens silen­cieux, assis sur ces gradins de for­tune, un triv­ial coussin sous les fess­es… Ouf, voilà Socrate qui revient, non sans cla­quer la porte une bonne fois pour toutes, plus en forme que jamais et prêt à déclamer sa tirade en com­pag­nie de son anci­enne maîtresse (de Philoso­phie bien sûr !) Dio­time, une Anne-Marie Loop belle et sen­suelle à souhait, qui fait presque tourn­er la tête aux pro­tag­o­nistes de ce con­cil­i­ab­ule quelque peu homo­sex­uel.

Mag­nifique créa­tiv­ité scénique donc, où l’on a eu l’impression d’avoir réfléchi – mer­ci Socrate – :« Peut-il y avoir d’amour du laid ? »,« Est-il dans la nature de l’amour d’être amour de quelque chose, ou de rien ? » ou « L’amour n’est pas seule­ment le désir de pos­séder ce qui est bon, mais le désir de le pos­séder tou­jours »… À méditer.

Revenons-en aux acteurs, bril­lam­ment dirigés : Aris­todème et Eryx­i­maque, inter­prétés tout en sub­til­ité par Pierange Buon­del­monte (qui porte aus­si un moment la parole d’Épicure). Ce même Eryx­i­maque qui, comme son nom l’indique en grec, fait cess­er lit­térale­ment le hoquet d’Aristophane, puis­sam­ment incar­né, lui, par Achille Ridolfi, qui nous offre par ailleurs vers la fin une inter­pré­ta­tion en chant pleine de cœur de l’air final du Didon et Énée de Pur­cell, opéra baroque par excel­lence (bra­vo pour le choix musi­cal). Plus tôt dans la soirée, il nous avait par­lé de son fameux mythe : à l’origine, nous étions tous androg­y­nes. À la fois homme et femme, nous avions la forme d’une sphère, et nous nous dépla­cions par cul­butes, en roulant sur nous-même. Notre ambi­tion nous pous­sa à vouloir devenir l’égal des dieux. Zeus nous punit non pas en nous tuant, mais en nous affaib­lis­sant : il coupa cha­cun de nous en deux moitiés, l’une mâle et l’autre femelle. Mais cha­cun, regret­tant l’unité orig­inelle, cher­chait sa moitié et voulait la rejoin­dre…

En ce début d’année 2016, rap­pelons-nous, grâce au théâtre notam­ment, de l’importance de débat­tre. Con­tin­uons à nous ques­tion­ner, à nous con­fron­ter, à nous pencher sur nos mythes fon­da­teurs et restons ent­hou­si­astes (du grec ent­hou­si­aszô, qui désigne à l’origine le fait d’être pos­sédé par un Dieu – terme util­isé à foi­son dans Le Ban­quet) !

 

Pauline d’Ollone a monté auparavant Lettre au directeur de Théâtre de Denis Guénoun dans le cadre du Furious Festival (2014) et une forme courte Où-suis-je? Qu'ai-je fait? dans le cadre du Festival XS 2015.
Ce même Denis Guénoun a mis en scène La Nuit des Buveurs (Le Banquet) d’après Platon en 2008 avec des étudiants en 2° et 3° années
 du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (Paris).

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Théâtre
Critique
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Laurence Van Goethem
Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales. Elle est cofondatrice...Plus d'info
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