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Le 30 Oct 2017
Fanny Estève, Simon Vialle, Pierre Gervais, Louis Sylvestrie. Photo Yves Gervais.
Fanny Estève, Simon Vialle, Pierre Gervais, Louis Sylvestrie. Photo Yves Gervais.

Il y a quelque chose de ver­tig­ineux chez Louise Emö. La jeune femme pos­sède une maîtrise de la langue tout à fait hors normes, inven­tive, ludique, pro­fonde, puisant son énergie folle dans une oral­ité urbaine à la fois mali­cieuse et sans com­pro­mis. Autrice, assuré­ment. Nous avions lu ses textes précé­dents, con­va­in­cu de son tal­ent inouï ; nous l’avions vue seule en scène, per­former ses écrits dans des formes hybrides (mi-théâtre mi-slam) à la rad­i­cal­ité jouis­sive.

Et voilà qu’elle signe à présent sa pre­mière mise en scène, créée sur base d’un de ses textes, sans être elle-même au plateau. 

Son Mal de crâne vu la semaine dernière au Cen­tre Cul­turel Jacques Franck est un très bel objet scénique inclass­able et l’on s’en réjouit.

C’est d’abord Ham­let. Encore Ham­let ? Tou­jours Ham­let, et inlass­able­ment ré-appro­prié. De la tragédie shake­speari­enne, Louise Emö garde vague­ment la trame, quelques scènes-clés (dont celle des por­traits de Claudius et d’Ham­let-père, comme sou­vent l’une des plus réussies) et les fig­ures prin­ci­pales. De Shake­speare, elle a surtout gardé le baro­quisme (« on t’a fait un petit spec­ta­cle ») et la vio­lence des rela­tions.

C’est ensuite Eminem et la ré-inven­tion du Hip-Hop. Ham­let, c’est Eminem. Ou Eminem, c’est Ham­let. Sur papi­er, ça sent l’idée mar­ket­ing foireuse. Sur plateau, c’est surtout l’af­fir­ma­tion d’un ancrage généra­tionnel incon­tourn­able et un bain con­textuel triple­ment jouant : nar­ra­tive­ment (sur le mode « Rise and Fall of »), dra­maturgique­ment (il s’ag­it ici de traiter de la langue comme force vitale), esthé­tique­ment (le son joue un rôle cen­tral dans le spec­ta­cle).

On pense à la fois à Vin­cent Macaigne pour la vis­céral­ité (les con­flits sont gérés avec autant d’aplomb et de bru­tal­ité que dans Au moins j’au­rai lais­sé un beau cadavre, et lais­sent la même impres­sion que, pour éviter la psy­chol­o­gi­sa­tion mièvre, le par­ti-pris choisi est de pouss­er tous les curseurs de la psy­cholo­gie dans le rouge) et à feu le Groupe Toc pour l’im­por­tance de la ryth­mique au ser­vice de la mise en scène des névros­es con­tem­po­raines (tout en sachant que Louise Emö, débar­quée de Rouen à Brux­elles après la dis­so­lu­tion du col­lec­tif-comète, n’a pu voir La Fontaine au sac­ri­fice ou Moi, Michèle Merci­er, 52 ans, morte). Mais Mal de Crâne affirme fière­ment sa sin­gu­lar­ité par un grand soin apporté à la direc­tion d’ac­teurs. Ses qua­tre inter­prètes, mag­nifiques, don­nent l’im­pres­sion rare d’être à la fois très libres et très tenus : c’est indé­ni­able­ment qua­tre corps dif­férents, qua­tre gestuelles dif­férentes, qua­tre types de mag­nétismes et de tem­péra­ments qui se don­nent à voir et à enten­dre, et, pour­tant, ces qua­tre indi­vidus sem­blent pos­séder une même sci­ence de la rup­ture, pra­tiquent un même découpage exigeant de la phrase, une même façon pré­cise et maîtrisée de faire sail­lir un mot et d’iro­nis­er le suiv­ant dans un débit  – un flow oserait-on  – qui débor­de en don­nant l’il­lu­sion de la néces­sité absolue de la prise de parole (alors qu’il sup­pose assuré­ment quan­tité de tra­vail pour l’ac­teur). Un style, une pat­te, une sig­na­ture en somme.

Les moyens aux­quels peu­vent pré­ten­dre les pre­miers spec­ta­cles étant ce qu’ils sont en Fédéra­tion Wal­lonie Brux­elles (l’aide au pro­jet y est pla­fon­née à 30 000€), cette « grande forme » n’en est pas tout à fait une : l’arène au sein de laque­lle les bat­tles suc­ces­sives ont lieu est faite de bacs de bières et les con­di­tions tech­niques pour­raient être améliorées. Mais au fond peu importe puisque tout ici est cen­tré sur le lan­gage et ceux qui le por­tent… Dis­ons sim­ple­ment que nous sommes impa­tient d’as­sis­ter aux créa­tions pour lesquelles Louise Emö dis­posera de bud­gets à la mesure de son immense tal­ent…

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Louise Emö
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Antoine Laubin
Antoine Laubin
Metteur en scène au sein de la compagnie De Facto.Plus d'info
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