Bruissements genrés

Annonce
Danse
Théâtre
Réflexion

Bruissements genrés

Le 25 Juil 2018
Cécile Proust et Pierre Fourny dans « prononcer fénanoq ». ©Jacques Hœpffner.
Cécile Proust et Pierre Fourny dans « prononcer fénanoq ». ©Jacques Hœpffner.

Créé dans le cadre des Sujets à Vif (SACD- Fes­ti­val d’Avignon 2018), pronon­cer fénanoq est le fruit de la ren­con­tre cor­porelle, plas­tique, poli­tique et poé­tique entre Cécile Proust et Pierre Fourny. Dans cette propo­si­tion en mots, en images et en mou­ve­ment, inspirée par les ques­tions de genre qui ont soulevé le Fes­ti­val d’Avignon cette année, Cécile Proust, danseuse, choré­graphe, autrice et direc­trice artis­tique de fem­meuses livre avec Pierre Fourny, poète, met­teur en scène et codi­recteur de ALIS (Asso­ci­a­tion Lieu Image Son) un com­bat pour la recon­nais­sance de la place des femmes à la ville comme à la scène.

Au moyen d’une fab­uleuse machine à découper les let­tres et à inven­ter de nou­veaux mots, et d’une explo­ration his­torique et théorique des usages de la langue, les deux com­plices nous rap­pel­lent qu’il fut un temps où le féminin pou­vait l’emporter sur mas­culin, où l’on fémin­i­sait les noms de méti­er — sans crier au ridicule…

En écho à notre ren­con­tre du 19/07, dans le cadre des Ate­liers de la pen­sée 2018, en présence d’Emmanuelle Favier autrice, Phia Ménard, met­teuse en scène et per­formeuse, Anne Pépin, agente prin­ci­pale aux poli­tiques, Com­mis­sion européenne secteur genre, et en réso­nance avec un de nos numéros pub­liés en 2016, le #129 Scènes de femmes, Écrire et créer au féminin, nous avons le plaisir de pub­li­er plusieurs extraits de textes écrits et choi­sis par Cécile Proust.

Les deux pre­miers (« La mas­culin­i­sa­tion de la langue française » et « Noms de métiers ») des cinq textes de Cécile Proust puisent leurs sources his­toriques dans les travaux de Bernard Cerquigli­ni, Anne-Marie Houde­bine et Éliane Vien­not.

1/ La mas­culin­i­sa­tion de la langue française

À par­tir du XVI­Ie siè­cle, l’offensive con­tre les femmes s’étend à la langue et, alors que la langue française est par­faite­ment out­il­lée pour être égal­i­taire, des let­trés et des académi­ciens la ren­dent sex­iste. Cette mas­culin­i­sa­tion de la langue française, qui a sus­cité de vives résis­tances, com­mence au XVI­Ie siè­cle, mais ne réus­sit à s’imposer qu’à la fin du XIXe avec l’école publique oblig­a­toire, la même qui inter­dit en son sein les langues régionales.

Gilles Ménage, gram­mairien du XVI­Ie siè­cle, vit et étudie à Angers, la ville dans laque­lle, trois siè­cles et demi plus tard, Pierre [Fourny, NdE] réus­sit bril­lam­ment ses études sec­ondaires au lycée David d’Angers, au moment même où, dans la même ville, je rate magis­trale­ment les miennes au lycée Joachim du Bel­lay. Poète du XVIe siè­cle, Joachim du Bel­lay rédi­ge Défense et illus­tra­tion de la langue française dans laque­lle il pro­pose, afin d’enrichir et de for­ti­fi­er la langue française, d’inventer des mots !

Mais lais­sons Joachim du Bel­lay à sa douceur angevine et revenons à ce qui nous réu­nit : les con­tor­sions mas­culin­isantes imposées à notre belle langue française, avec l’exemple d’un « la » qui doit devenir un « le ». Gilles Ménage rap­porte dans ses mémoires une con­ver­sa­tion qu’il eut avec Madame de Sévi­gné, dont il était, par ailleurs, éper­du­ment amoureux : « Madame de Sévi­gné s’informant de ma san­té, je lui dis : ‘Madame, je suis enrhumé.’ ‘– Je la suis aus­si, Mon­sieur.’ – ‘Il me sem­ble, Madame, que selon les nou­velles règles de notre langue, il faudrait dire : je le suis.’ – ‘Vous direz comme il vous plaira, Mon­sieur, mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au men­ton si je dis­ais autrement.’ »

2/ À pro­pos de l’effacement de cer­taines formes féminines de noms de métiers.

Le mot « autrice » était couram­ment employé au XVIe siè­cle. Au XVI­I­Ie siè­cle, les académi­ciens déci­dent que, ce méti­er ne con­venant pas aux femmes, le mot « autrice » ne doit plus être employé.

Au XIXe siè­cle, Louis Nico­las Bescherelle, oui, celui de vos manuels de con­ju­gaisons, con­firme que les métiers ne con­venant qu’à des hommes doivent être unique­ment désignés par des noms mas­culins.

Alors qu’il n’y jamais eu d’offensive con­tre brodeuse, coif­feuse, danseuse, boulangère, adieu pro­fesseuse, gou­verneuse, graveuse, médecine, mairesse, libra­resse, nota­resse, pein­tresse, philosophesse.

3/ Bras de fer

Un jour, quand j’étais à l’école pri­maire Edmond Proust, l’instituteur me fait venir, moi, pre­mière de la classe et Dominique, le garçon dont j’étais amoureuse et qui était pre­mier ex-æquo. Et, afin d’illustrer la règle le mas­culin l’emporte sur le féminin, l’instituteur nous demande de faire, devant toute la classe, un bras de fer !

4/ Non bina­rité

Des per­son­nes non binaires, qui ne se recon­nais­sent ni dans un genre ni dans l’autre ou se recon­nais­sent dans les deux à la fois, mais aus­si des allié.es cis­gen­res qui ne veu­lent pas rigid­i­fi­er la dual­ité homme/femme

inven­tent des drag king lex­i­cales,

des LGBTQIAA+ syn­tax­iques,

des inter­sex­ion­nal­ités per­for­ma­tives et lan­gag­ières,

font de la haute voltige philologique, de la magie per­locu­toire, de la sor­cel­lerie lin­guis­tique,

tran­scen­dent les orthographes, trou­blent les gen­res gram­mat­i­caux, per­for­ment les gra­phies,

dégoupil­lent les néol­o­gismes, caressent les points médi­ans, accor­dent les prox­im­ités,

ouvrant ain­si le réper­toire des iden­tités gram­mairi­ennes et créent des langues épicènes et jouis­sives

et font avec des ils et des elles… des ielles,

créent des tou­stes,

inven­tent des celleux, des ceulles, des ceuses,

mais aus­si des auteurices, des créa­teurices et des pro­fesseureuses.

72e FESTIVAL D’AVIGNON : LES SUJETS À VIF – Programme D : prononcer fénanoq – Pierre Fourny et Cécile Proust

Cécile Proust travaille sur le genre et les féminismes. Pour prononcer fénanoq elle plonge dans la langue française masculinisée depuis le 17ème, travaille au corps les graphies transgenrées, met la langue en mouvement, fait valser les binarités, tranche les mots par la verticale.

Pierre Fourny travaille le corps des lettres. Au sein de ce projet, il dessine une nouvelle police de caractères rythmés par les ronds et les droites d’un code numérique. Pour lui les mots se coupent à l’horizontale, et génèrent, à 2 mi-mots, des assemblages poétiques.
Ensemble et chacun.e avec ses outils Pierre Fourny et Cecile Proust construisent et déconstruisent une langue en chantier comme leur espace.
Annonce
Danse
Théâtre
Réflexion
Céline proust
Pierre Fourny
33
Partager
Écrit par Sylvie Martin-Lahmani
Pro­fesseure asso­ciée à la Sor­bonne Nou­velle, Sylvie Mar­tin-Lah­mani s’intéresse à toutes les formes scéniques con­tem­po­raines. Par­ti­c­ulière­ment atten­tive aux...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous aimez nous lire ?

Aidez-nous à continuer l’aventure.

Votre soutien nous permet de poursuivre notre mission : financer nos auteur·ices, numériser nos archives, développer notre plateforme et maintenir notre indépendance éditoriale.
Chaque don compte pour faire vivre cette passion commune du théâtre.
Nous soutenir
Précédent
Suivant
24 Juil 2018 — Pauline d’Ollone, une des nombreuses jeunes Françaises du paysage théâtral belge mérite sa double nationalité. Licenciée en Lettres modernes, violoniste…

Pauline d’Ollone, une des nom­breuses jeunes Français­es du paysage théâ­tral belge mérite sa dou­ble nation­al­ité. Licen­ciée en Let­tres mod­ernes, vio­loniste (for­mée au Conservatoire/ Paris), comé­di­enne (for­mée à l’INSAS/ Brux­elles) elle met en scène une irré­sistible…

Par Christian Jade
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements