Comme un aimant

Danse
Critique

Comme un aimant

Le 21 Jan 2018
Lisbeth Gruwez. Photo Luc Depreitere
Lisbeth Gruwez. Photo Luc Depreitere

Danser l’extase du verbe : voilà à quoi s’attaque Lis­beth Gruwez, choré­graphe et danseuse passée par les com­pag­nies de Wim Van­dekey­bus et Jan Fab­re, dans ce solo d’une puis­sance rare, aus­si rigoureux que fréné­tique. 

À par­tir du dis­cours d’un prédi­ca­teur évangélique améri­cain, que nous sai­sis­sons tan­tôt comme un souf­fle criblé d’éclats de voix, puis de mots heurtés et de bribes de phras­es, tan­tôt à tra­vers la clameur sourde qui l’accompagne, Lis­beth Gruwez fait vibr­er l’intensité de l’art ora­toire dans ses gestes et dans sa peau. Sans jamais vers­er dans l’illustration, elle inter­prète les rythmes, les formes et les émo­tions mul­ti­ples d’un ser­mon dont on imag­ine les accents som­bres, presque apoc­a­lyp­tiques. Loin de tra­vailler un bloc homogène, Lis­beth Gruwez cisèle un matéri­au sub­til, faisant s’entrechoquer l’invective et la légèreté, la séduc­tion et la men­ace. Il sem­ble qu’elle a mille corps et mille manières de le faire vivre et bouger, exaltés par la mise en scène épurée et le jeu extrême­ment pré­cis et juste sur le son et la lumière. Par­fois, ce sont ses bras qui se per­dent en vire­voltant dans les airs, inter­minables de grâce et d’aisance comme des oiseaux déliés. À d’autres moments, la danseuse se fait tau­reau nerveux, à la fureur brute. Son corps est ain­si immense ou com­pact, écras­ant d’autorité et sautil­lant d’une énergie lumineuse, libérée, presque douce. Qu’elle paraisse portée par la transe ou en pleine maîtrise d’une harangue aux mou­ve­ments étudiés, qu’elle répète jusqu’à l’obsession ou qu’elle tranche d’un coup net, Lis­beth Gruwez nous étour­dit tout au long des cinquante min­utes du solo, de sa pre­mière à sa dernière appari­tion. Cha­cun de ses gestes est implaca­ble, comme nim­bé d’une élé­gance enfiévrée, et on retient notre souf­fle tant il soulève en nous des vagues mêlées de fas­ci­na­tion, de crainte et d’amour. Ce n’est pas une démon­stra­tion sur les sor­tilèges du dis­cours et la cap­ta­tion des foules, et pour­tant : la tem­pête du verbe, dan­sée par Lis­beth Gruwez, est passée sur nous, et nous a pris dans ses filets. Comme un aimant, son pre­mier regard nous a rivés à elle, on la suiv­rait partout. Que ça devi­enne pire, et pire, et pire, qu’importe : le flot de sa danse nous a ter­rassés, et on en veut encore.

Danse
Critique
Lisbeth Gruwez
23
Partager
auteur
Écrit par Emilie Garcia Guillen
Emi­lie Gar­cia Guillen dérive vers le nord depuis env­i­ron quinze ans. Suite à une pre­mière jeunesse dans le...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous aimez nous lire ?

Aidez-nous à continuer l’aventure.

Votre soutien nous permet de poursuivre notre mission : financer nos auteur·ices, numériser nos archives, développer notre plateforme et maintenir notre indépendance éditoriale.
Chaque don compte pour faire vivre cette passion commune du théâtre.
Nous soutenir
Précédent
Suivant
Précédent
13 Jan 2018 — Une Médée d’aujourd’hui entre fantasme et réalité

Une Médée d’aujourd’hui entre fan­tasme et réal­ité

Par Bernard Debroux
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements