Vers la vraie vie

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Théâtre

Vers la vraie vie

Le 4 Mai 2018
La vraie vie d'Olivier Liron. Photo Morgane Delfosse.
La vraie vie d'Olivier Liron. Photo Morgane Delfosse.

À vingt-cinq ans, Olivi­er con­naît la date de label­li­sa­tion AOC d’une quan­tité impres­sion­nante de fro­mages, le nom latin d’une mul­ti­tude d’arbrisseaux, la date de nais­sance de tous les cyclistes impor­tants du XXe siè­cle. Cette accu­mu­la­tion ency­clopédique de con­nais­sances a un but : par­ticiper à l’émission Ques­tions pour un cham­pi­on, dont il sera huit fois vic­to­rieux.

Cette Vraie vie s’ouvre sur la mise en scène du célèbre quiz. Entre les tech­niques d’apprentissage d’Olivier, les dilemmes pour choisir entre la séries de ques­tions thé­ma­tiques, la lutte à mort avec les autres can­di­dats pour sor­tir en moins de 7 sec­on­des le nom de ce roman de Dos­toïevs­ki paru en 1869, le spec­ta­cle de la cul­ture érigée en com­péti­tion, ryth­mé comme un match de boxe, est sou­vent très drôle. La ten­sion, le sus­pense, la pres­sion, et surtout l’emphase et la théâ­tral­ité d’un Julien Lep­ers bouil­lon­nant : toute la pre­mière par­tie de la pièce nous plonge dans une course effrénée vers la vic­toire, d’où pointe, der­rière l’humour, une forme de vio­lence. Car si Olivi­er est un si bon can­di­dat télévi­suel, si son cerveau file comme l’éclair, s’il est si cul­tivé, s’il s’en sort si bien dans la bataille intel­lectuelle et sco­laire, on perçoit que les répons­es au tac au tac éclipsent les ondes d’échec ou de malaise qui tra­versent Olivi­er sur d’autres scènes.

Ques­tions pour un cham­pi­on est la porte d’entrée vers la manière qu’a ce jeune homme bril­lant de se tenir au monde : on nav­igue entre sa pré­pa­ra­tion au jeu et ses sou­venirs, lui qui n’arrive pas à embrass­er les filles qu’il rac­com­pa­gne, lui qui hésite, lui qui, recro­quevil­lé dans la salle de bain d’une cham­bre d’hôtel où l’attend une très jolie fille, enfin, pour une fois, ne sait pas com­ment faire.

La Vraie vie d’Olivier Liron retrace, et c’est le plus touchant, le par­cours d’un éveil au monde, au corps, à sa voix pro­pre ; peut-être d’une libéra­tion ou, du moins, d’un allège­ment. Peu à peu, le rem­part de savoir se fis­sure, le rap­port livresque, voire sco­laire, aux choses cède la place à l’éclosion des sens, comme si Olivi­er se réc­on­cil­i­ait avec lui-même à mesure qu’il s’abandonne à l’amour et au désir. Au martèle­ment des répons­es du quiz en début de pièce répon­dent alors la sen­su­al­ité de pas­sages musi­caux et chan­tés et l’ouverture d’une parole poé­tique, plus libre et plus intime, à tra­vers laque­lle la ques­tion de gag­n­er ou per­dre s’est déplacée.

Pho­to Mor­gane Delfos­se.

La pièce reste le réc­it auto­cen­tré d’un jeune intel­lectuel tour­men­té, pal­pi­tant d’abord par l’art et les livres, sûr de son cerveau, moins de son corps. Si la pièce, même lorsque la parole se libère, reste celle d’un vrai lit­téraire et sem­ble par­fois un peu trop écrite, l’écriture très maîtrisée est par­cou­rue d’éclats lumineux. Certes, on éprou­ve inévitable­ment une forme de con­nivence sat­is­faite entre gens de cul­ture, face à la descrip­tion d’extases qua­si mys­tiques devant des tableaux de Rothko ou la lec­ture de poèmes de St-John-Perse que le jeune Olivi­er mur­mure à sa colo­cataire insom­ni­aque au creux des nuits. Mais La vraie vie d’Olivier Liron, par sa sen­si­bil­ité à tout ce qui est beau, avec sa sincérité pal­pa­ble et la douceur qui la tra­verse, évite à la fois les pièges de l’entre soi et de l’ironie dés­abusée. Nav­iguant habile­ment entre les scènes mul­ti­ples d’une jeunesse sin­gulière, entre leurs rythmes, leurs accents et leurs tex­tures, la pièce installe un je-ne-sais-quoi de mélan­col­ique, faisant peut-être écho aux vagues de vic­toire et de défaites, de désirs et de frus­tra­tions, d’asphyxie et d’élan où flot­tent nos vraies vies.

La vraie vie d'Olivier Liron
Théâtre Varia jusqu'au 5 mai

AVEC Olivier Liron, Pauline Sikirdji, Lawrence Williams
TEXTE Olivier Liron
COMPOSITION MUSICALE Lawrence Williams
CRÉATION LUMIÈRE Eric Vanden Dunghen
ÉCRITURE DU CORPS Elik Niv
COSTUMES ET SCÉNOGRAPHIE Laurence Hermant
STAGIAIRE MISE EN SCÈNE Chloé Larrère
CONCEPTION ET DRAMATURGIE Emilie Flamant, Douglas Grauwels, Olivier Liron
ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Emilie Flamant
MISE EN SCÈNE Douglas Grauwels
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Olivier Liron
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Emilie Garcia Guillen dérive vers le nord depuis environ quinze ans. Suite à une première...Plus d'info
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