VxH – La Voix humaine – Roland Auzet, Jean Cocteau, Falk Richter

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VxH – La Voix humaine – Roland Auzet, Jean Cocteau, Falk Richter

Le 11 Juin 2018
VxH-La Voix Humaine. Photo Christophe Raynaud de Lage.
VxH-La Voix Humaine. Photo Christophe Raynaud de Lage.

« VxH », la voix sans voyelles, celle du son avant le sens. « Allô » ne veut rien dire d’autre, se faire enten­dre-écouter. Le texte de Cocteau est ryth­mé par des appels et des silences. Une femme est séparée de son amant par les aléas du télé­phone, mais surtout par la rup­ture qui s’en­tame. Elle veut sauver la face, ou plutôt la voix, par une parole dés­in­volte han­tée par le dés­espoir.


À la créa­tion de la pièce, le pathos de cette femme aban­don­née avait mar­qué les con­tem­po­rains, soit pour s’en émou­voir, soit – comme Paul Elu­ard faisant scan­dale à la générale de 1930 – pour ren­voy­er Cocteau à son homo­sex­u­al­ité et à sa pro­pre rup­ture avec Jean Des­bor­des. Cocteau répli­qua en insis­tant sur le fait que sa pièce n’é­tait pas doc­u­men­taire, mais devait avant tout résoudre un prob­lème d’or­dre théâ­tral : écrire un drame non pas « dans la langue », mais « dans la voix », et même dans un dia­logue sans répons­es.
ll faut donc chercher le sens der­rière les non-dits, imag­in­er les pro­pos de l’a­mant invis­i­ble, même les plus insignifi­ants. On finit par écouter ce qu’on ne peut pas enten­dre. Ce jeu s’est beau­coup répan­du aujour­d’hui, chaque fois qu’on se prend à fab­uler une con­ver­sa­tion télé­phonique enten­due mal­gré soi, ou quand on croit un instant qu’une per­son­ne par­le seule dans la rue, avant de voir qu’elle est bien « avec » quelqu’un au bout du fil.

Dans son adap­ta­tion du texte de Cocteau, croisée avec un poème de Falk Richter (Dis­ap­pear here) qui con­tribue à l’ac­tu­alis­er, Roland Auzet a souligné cet enjeu con­tem­po­rain, le para­doxe de la soli­tude con­nec­tée. Il en a fait un défi à la fois scéno­graphique et acous­tique, mon­tr­er l’in­tim­ité d’une absence.
Comme cette femme, dont la vie ne sem­ble tenir qu’à un fil, la scène de plex­i­glas trans­par­ent est sus­pendue au-dessus des spec­ta­teurs, invités à s’é­ten­dre au sol et à se déplac­er pour accom­pa­g­n­er les change­ments de « pos­es » que souhaitait Cocteau comme signe prin­ci­pal de l’anx­iété de son per­son­nage. Le pub­lic se trou­ve alors plongé avec elle au fond de la « mer », où elle se meut avec son télé­phone « scaphan­dre », dernière entrée d’oxygène. Les som­nifères de la veille ont aus­si lais­sé des traces, et le jeu d’Irène Jacob, comme la choré­gra­phie de Joëlle Bou­vi­er, ont bien ren­du jus­tice à son état de som­nam­bule funam­bule : se pli­er, marcher comme sur un fil, s’asseoir à l’hor­i­zon­tale.
Par com­para­i­son, Krzysztof War­likows­ki avait choisi de pro­jeter une vidéo syn­chro­nisée en vue sur­plom­bante (ver­sion opéra de La Voix humaine, musique de Fran­cis Poulenc, Opéra de Paris, 2015), sug­gérant plutôt l’ex­téri­or­ité d’un regard se posant sur la sil­hou­ette allongée et comme dis­lo­quée sur le motif géométrique du sol. À l’in­verse, le choix du con­tre-plongé par Roland Auzet nous met plutôt sur le plan de la « psy­cholo­gie des pro­fondeurs », et veut nous rap­procher de l’é­tat flot­tant directe­ment exprimé par le per­son­nage.
Cette dif­férence de plan a aus­si été prise en charge par un tra­vail sophis­tiqué sur le son et l’a­cous­tique, dû à la col­lab­o­ra­tion entre Roland Auzet et Daniel Guaschi­no de l’IR­CAM. Alors que dans la ver­sion d’opéra, la musique d’orchestre peut nous don­ner un cer­tain accès à la psy­ché du per­son­nage, mais aus­si à la parole sup­posée de l’ab­sent, dans cette ver­sion, la musique et le son soulig­nent seule­ment cer­tains moments en sus­pens, par quelques notes, une pul­sa­tion pro­fonde comme un pouls, une mélopée, une per­cus­sion légère qui résonne.
Ce rôle d’ac­com­pa­g­ne­ment et d’am­pli­fi­ca­tion vocale a été enrichi par les tech­nolo­gies de l’ « ambisonie » (ambison­ics) et de la « Syn­thèse du champ sonore » (WFS), qui per­me­t­tent d’en­reg­istr­er et de dif­fuser le son dans plusieurs direc­tions à la fois, ren­dant pos­si­ble la per­cep­tion super­posée de plans sonores dis­tincts. Avec ces tech­niques, le jeu des enreg­istrements simul­tanés, déjà expéri­men­té par un John Cage mix­ant des extraits enreg­istrés à dif­férents points de la ville durant un con­cert (par exem­ple Vari­a­tions IV, 1963), offre de nou­velles pos­si­bil­ités dra­ma­tiques, qui sont appelées par le texte de La Voix humaine, où la magie de la tech­nique est aus­si un ressort du trag­ique, où le dia­logue-mono­logue creuse le sen­ti­ment d’ab­sence à soi. L’in­flex­ion de la voix – mal­gré sa richesse – ne sera rien d’autre que « ce grain sonore qui se désagrège et s’é­vanouit » (Barthes). En nous rap­prochant des nuances de la voix, ou même de l’im­age, la tech­nique ne nous rap­proche donc pas tou­jours de l’autre, elle dis­simule plutôt son absence. Le sen­ti­ment d’a­ban­don déjà fort dans la pièce de Cocteau a été res­saisi à sa source par Roland Auzet, dans une scéno­gra­phie qui dif­fracte les sons, et fait enten­dre la frag­men­ta­tion du dis­cours amoureux.

La Voix humaine Jean Cocteau – Disappear here (extraits) de Falk Richter.
Théâtre musical pour une comédienne et dispositif sonore.
Roland Auzet : conception, musique, scénographie et mise en scène.
Irène Jacob : comédienne.
Joëlle Bouvier : collaboration artistique et chorégraphie.
Daniele Guaschino : réalisation informatique musicale Ircam.
Bernard Revel : création lumières.
Jean-Marc Beau : régie générale.

Le Cent-quatre-Paris, salle 400
Samedi 9 juin, 17h et 20h
Dimanche 10 juin, 17h

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Roland Auzet
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Jean Tain
Jean Tain est agrégé et docteur en philosophie de l'École Normale Supérieure (Paris), ATER à l'Université...Plus d'info
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