Crâne d’après Patrick Declerck

Théâtre
Critique

Crâne d’après Patrick Declerck

Le 18 Juil 2019
Photo de Beata Szparagowska
Photo de Beata Szparagowska

Quand j’aurai du vent dans mon crâne
Quand j’aurai du vert sur mes oss­es
P’têt qu’on croira que je ricane
mais ça s’ra une impres­sion fos­se

Boris Vian

S’emparant une fois encore de l’oeuvre de Patrick Decler­ck dont il avait adap­té avec brio « Démons me turlupinant », Antoine Laubin s’affronte dans « Crâne » au réc­it auto­bi­ographique dans lequel l’auteur et psy­ch­an­a­lyste racon­te l’opération qu’il a subi pour extraire la tumeur au cerveau qui le menaçait depuis plusieurs années.
Pour un écrivain, et pour nous tous, humains, le bien auquel nous sommes le plus attaché est sans doute la con­science de la vie et son expres­sion, le lan­gage, qui nous per­met de com­mu­ni­quer, d’exprimer notre pen­sée et nos émo­tions.

Pour­suiv­ant un tra­vail qui fait la part belle à la plu­ral­ité des voix, Antoine Laubin et son dra­maturge Thomas Depryck ont pro­longé sur scène le réc­it en trois temps que le dou­ble de l’auteur Alexan­dre Nacht ( le bien nom­mé, han­té par sa plongée dans la nuit éter­nelle) développe autour de son inter­ven­tion chirur­gi­cale réal­isée éveil­lé et crâne ouvert : avant, pen­dant, après.
Ces trois temps sont assurés par trois acteurs dif­férents en liai­son per­ma­nente avec un qua­trième jouant le rôle d’ Alexan­dre Nacht, sous l’oeil du met­teur en scène dont la présence dis­crète et épisodique sur le plateau « didas­calise » le tem­po du spec­ta­cle.

La langue flu­ide de Patrick Decler­ck donne matière à un spec­ta­cle d’une grande force, au plus près du réc­it de l’oeuvre lit­téraire, qui la rend con­crète, physique, sol­licite en per­ma­nence notre atten­tion, et garde nos sens en éveil. Dans la pre­mière par­tie, celle qui précède l’opération, Jérome Nay­er dans une inter­pré­ta­tion étour­dis­sante et bondis­sante suit les méan­dres de la pen­sée et des ques­tion­nements d’Alexandre Nacht. Au moment de l’intervention, Hervé Piron affirme avec fougue, vio­lence et un humour ravageur, les soubre­sauts du corps et de l’âme qui habite Nacht tan­dis que dans un cer­tain apaise­ment et tout en finesse Renaud van Camp apporte la douceur atten­due du retour à la vie et la per­spec­tive de la pour­suiv­re.
Tous les trois font réson­ner avec une grande maîtrise et une belle gour­man­dise d’expression la langue savoureuse de Patrick Decler­ck, tan­tôt cynique, tan­tôt mélan­col­ique, tou­jours pré­cise et « clin­ique ».
Alexan­dre Nacht est cam­pé avec puis­sance par Philippe Jeusette. Il inter­vient peu dans le réc­it, sauf en ponc­tu­ant ça et là et tou­jours à pro­pos dans une mise en abîme de sa pro­pre con­science les réc­its tenus par ses trois parte­naires. Présent tout le temps, ses sourires, ses regards, les mou­ve­ments de son corps, en com­plic­ité avec ses « dou­bles » don­nent à la représen­ta­tion une dimen­sion humaine boulever­sante.

Pho­to de Bea­ta Szparagows­ka

Le spec­ta­cle est habité par un rythme soutenu qui témoigne de l’effervescence de la pen­sée en mou­ve­ment et, en même temps, donne à voir l’attente, cette « cra­puleuse infec­tion du temps »
nous ren­voy­ant, en pas­sant par Shake­speare à notre humaine con­di­tion : ce « crâne »  de Yorick, le bouf­fon du roi, que l’on déterre et présente à Ham­let, et qui nourit sa médi­ta­tion sur la vie, le temps et la mort.
Les scènes se déroulent dans un décor min­i­mal­iste et judi­cieux, tou­jours en mou­ve­ment lui aus­si et envelop­pé d’un univers sonore, en trois temps et con­tre­point du réc­it, pour le plaisir de l’oreille du spec­ta­teur : Immor­tels (Dominique A) chan­té par Alain Bashung, Bach joué au piano par Dino Lupati, Trae­ty, instru­men­tal de Leonard Cohen ; de grands dis­parus qui nous aident à vivre.

Crâne, d’après Philippe Declerck (éditions Gallimard) avec Philippe Jeusette, Jérôme Nayer, Hervé Piron, Renaud Van Camp et Antoine Laubin
Adaptation et dramaturgie Thomas Depryck. Adaptation et mise en scène Antoine Laubin Au théâtre des Dons Avignon jusqu’au 27 juillet 2019
En tournée à Dinant, Huy, Nivelles, Verviers et Paris (Le Monfort), saison 2019/2020 www.defacto-asbl.be

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Antoine Laubin
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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