SHAN SHUI / D’ Edurne Rubio et Maria Jerez / Pour le Befestival de Birmingham

Performance
Critique

SHAN SHUI / D’ Edurne Rubio et Maria Jerez / Pour le Befestival de Birmingham

Le 11 Mai 2020
Crédit photo - Edurne Rubio et Maria Jerez. Artistic sound assistance : Oliver Theys. Thanks to : Uriel, David y Ernesto
Crédit photo - Edurne Rubio et Maria Jerez. Artistic sound assistance : Oliver Theys. Thanks to : Uriel, David y Ernesto

Shan Shui est une per­for­mance en ligne basée sur A Nublo, le spec­ta­cle qu’Edurne Rubio et Maria Jerez devaient présen­ter dans le cadre du BE FESTIVAL de Birm­ing­ham.

On a con­nu Edurne Rubio et Maria Jerez au théâtre. On a eu la chance de voir leurs per­for­mances, leurs pièces, leurs expéri­men­ta­tions dans des vol­umes offrant une bonne acous­tique, avec des con­di­tions tech­niques per­me­t­tant de cisel­er la lumière afin de met­tre l’attention sur l’infiniment petit ou au con­traire l’infiniment grand. Aujourd’hui, bien loin de ces cathé­drales noires et cubiques que sont les salles de spec­ta­cle, bien loin du charme solen­nel qui y règne d’habitude, nous sommes invités dans notre domi­cile — des mil­liers de fois arpen­tés depuis le lock-down, à par­ticiper à un live-stream. 

Avachie dans mon canapé, la mise débrail­lée, exposée à d’autres flux que celui sur lequel il me faudrait à présent me con­cen­tr­er, je pénètre un nou­v­el intérieur. Par l’intermédiaire de mon ordi­na­teur, une femme m’accueille. Ça n’est pas un enreg­istrement, car je vois qu’elle a du mal à fix­er son regard longtemps sur quelque chose ; elle se sait observée. Assise sur un grand fau­teuil piv­otant, elle a des allures de cap­i­taine de space-ship. Après un temps, je finis par com­pren­dre qu’il s’agit d’une des organ­isatri­ces du Befes­ti­val de Birm­ing­ham. Le sérieux qu’elle dégage m’impose directe­ment un respect qui m’empêche de me dis­pers­er vers d’autres fenêtres.

L’écran de mon portable soudaine­ment devient noir, pour par la suite se split­ter en des images dis­tinctes.  J’aperçois le buste de deux femmes, elles sont dans des apparte­ments dif­férents et pour­tant elles ont l’air con­nec­tées. Com­mence alors un dia­logue qui ne se déploie pas à tra­vers des mots, mais par l’intermédiaire d’actions. Et ces tass­es qui se rem­plis­sent, ces théières que l’on déplace, cette plante en pot qui crisse sous des doigts à la recherche d’un con­tact man­quant, finis­sent par for­mer un décor qui n’évoque en rien la vie domes­tique, mais une nature grouil­lante. Déli­cate­ment, comme peut le faire une brise mati­nale, nos sens, par procu­ra­tion, s’éveillent. Curieux, après ces deux mois de con­fine­ment, on se laisse entraîn­er dans une ran­don­née qui, si elle a lieu dans un espace clos, nous emmène bien au-delà des murs qui sem­blent la con­tenir.

Crédit pho­to — Edurne Rubio et Maria Jerez. Artis­tic sound assis­tance : Oliv­er Theys . Thanks to : Uriel, David y Ernesto

Lorsque l’on marche dans la nature, un dénivelé, une val­lée qui soudaine­ment s’assombrit, un son qui nous parvient, un arbre inso­lite, for­ment les ingré­di­ents d’une aven­ture qui très vite peut s’avérer pal­pi­tante. Car qu’on le veuille ou non, nous sommes des corps qui vivons grâce à leurs porosités à l’air, aux odeurs, au touch­er, à leurs amours de l’eau, leurs sens du froid et du chaud. Et le vagabondage dans lequel nous invi­tent Rubio et Jerez agit comme un révéla­teur, nous remé­more à quel point l’humain, en fine stratège de la survie, est capa­ble de toutes les audaces pour trans­former une sit­u­a­tion d’isolement en un ter­rain d’évasion. Un espace, même fic­tif, qui nous per­met de tran­scen­der le cha­grin d’être privé de con­tact ; celui des autres, mais aus­si celui de la nature qui à elle seule sait réveiller notre vital­ité intrasèque.

Bien après avoir refer­mé le cou­ver­cle de ma lucarne numérique, prostrée sur mon canapé, je me suis sen­tie comme ces astro­nautes russ­es aban­don­nés sur une base spa­tiale déglin­guée. J’ai eu alors envie d’arracher mon pyja­ma, d’enfiler mes bot­tines et d’investir le « dehors ». Afin de sen­tir le matin, la mousse exha­lant ses par­fums d’humus, à midi, la terre riche des sous-bois, et le soir l’air sat­uré des effluves accu­mulés par le feu du jour. 

Avec la per­for­mance SHAN SHUI, Rubio et Jerez nous rap­pel­lent à quel point l’art est capa­ble d’exprimer avec déli­catesse des sen­ti­ments aus­si com­plex­es que la perte, la fuite, le manque et l’isolement avec une for­mi­da­ble sobriété mêlée d’une ardeur que rien ne sem­ble atténuer, même pas le con­fine­ment. 

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Maria Jerez
Edurne Rubio
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Manah Depauw
Metteuse-en-scène et romancière.Plus d'info
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