Gravité, par la compagnie Preljocaj au Festival Vaison-Danses (édition 2021)

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Gravité, par la compagnie Preljocaj au Festival Vaison-Danses (édition 2021)

Le 24 Août 2021
Gravité - Compagnie Preljocaj - Crédit Photo Stéphane Renaud, Ville de Vaison la Romaine
Gravité - Compagnie Preljocaj - Crédit Photo Stéphane Renaud, Ville de Vaison la Romaine
Gravité - Compagnie Preljocaj - Crédit Photo Stéphane Renaud, Ville de Vaison la Romaine
Gravité - Compagnie Preljocaj - Crédit Photo Stéphane Renaud, Ville de Vaison la Romaine

Depuis 25 ans, chaque été, le théâtre antique de Vai­son-la-Romaine accueille une pro­gram­ma­tion de danse. Empêché de se tenir l’an dernier, il a, cette année, fêté avec bon­heur la reprise de ces spec­ta­cles en plein air, placés sous le signe de Mau­rice Béjart dont on voit les por­traits pho­tographiés par Mar­cel Ismand aux qua­tre coins de la ville.

Du 10 au 26 juil­let des spec­ta­cles inter­na­tionaux de haut vol voulaient mar­quer cette édi­tion : de la Folia  de Mourad Mer­zou­ki mêlant danse hip hop et musique clas­sique aux jon­g­leries con­tem­po­raines de Sean Gan­di­ni et Kati Ylä-Hokkala en pas­sant par les jeunes danseurs del’Ecole-Ate­lier Rudra Béjart de Lau­sanne, le fan­dan­go et le fla­men­co revis­ités de David Coria et David Lagos, le mythe de Don Juan ré-imag­iné par le choré­graphe sué­dois Johan Inger et la com­pag­nie ital­i­enne Ater­balet­to. Plusieurs de ces spec­ta­cles ont dû être reportés ou rem­placés, mais le fes­ti­val a tenu bon !

Il s’est achevé le 26 juil­let par la dernière créa­tion du choré­graphe Angelin Preljo­caj : Grav­ité

La grav­ité est au coeur de l’art de la danse : Si le rêve du danseur est de s’élever dans les airs, il finit tou­jours inex­orable­ment par retomber sur le plateau du théâtre.

Gravité - Compagnie Preljocaj
Grav­ité — Com­pag­nie Preljo­caj — Crédit Pho­to Stéphane Renaud, Ville de Vai­son la Romaine

Cette notion de grav­ité n’a cessé de hanter le tra­vail du choré­graphe pour qui « depuis des années les notions de poids, d’espace, de vitesse et de masse ont tra­ver­sé de façon intu­itive sa recherche choré­graphique ».

La force du tra­vail de Preljo­caj est d’arriver à pro­pos­er un tra­vail de recherche et d’expérimentation exigeant et de touch­er en même temps un large pub­lic pour qui les oeu­vres qu’il pro­pose sus­ci­tent l’enthousiasme et l’adhésion.

Grav­ité s’ouvre et se referme par la présence des danseuses et des danseurs au sol : la pre­mière image du spec­ta­cle les mon­trent agglu­tinés comme dans un mag­ma orig­inel et la dernière les ver­ra se détach­er l’un(e) l’autre pour ter­min­er allongés, séparés, comme on est seul face à la mort.

Entre ces deux moments se suc­céderont une série de séquences portées par un univers sonore éclec­tique 1 qui pour­tant s’enchaînent avec flu­id­ité : Preljo­caj aime la nar­ra­tion et si dans Grav­ité nous ne sommes pas en présence d’une his­toire claire­ment racon­tée, ces séquences, sub­tile­ment éclairées par Eric Soy­er (dont on con­naît le pré­cieux tra­vail d’éclairage qu’il apporte aux spec­ta­cles de Joël Pom­mer­at), nous ren­voient aux thèmes de prédilec­tion du choré­graphe mar­qués ici par une approche dialec­tique : la décli­nai­son de l’un(e) et du mul­ti­ple, de l’orient et de l’occident, de l’obscurité et de la lumière, de la vitesse et de la lenteur, du noir et du blanc (notam­ment pour les très beaux cos­tumes dess­inés par Igor Cha­purin) et bien sûr du féminin et du mas­culin.

On peut faire de ce spec­ta­cle une lec­ture fémin­iste, certes pas claire­ment affichée comme telle, mais présente en fil­igrane à de nom­breux moments, comme ces amu­sants clins d’oeil où une danseuse repousse son parte­naire mas­culin d’un petit coup de hanche ou, lors d’un autre pas­sage, d’un léger coup de pied ; une séquence entière voit les cou­ples danseuses/danseurs se mou­voir, l’homme couché et la femme debout (sur fond de per­cus­sions prim­i­tives) et surtout cette dernière image ou lorsque les 12 danseuses et danseurs sont couchés au sol, immo­biles, une dernière inter­prète fémi­nine appa­raît et, toute en lon­gi­tude blanche et élé­gante, ten­tera de se dress­er vers le ciel étoilé avant de rejoin­dre ses parte­naires allongés.

Gravité - Compagnie Preljocaj
Grav­ité — Com­pag­nie Preljo­caj — Crédit Pho­to Stéphane Renaud, Ville de Vai­son la Romaine

Toutes et tous les inter­prètes — six danseurs et sept danseuses — 2 sont remar­quables de maîtrise, alter­nant des moments de grâce pure à une tech­nique épous­tou­flante (l’image où ils se tour­nent les mains à une allure ver­tig­ineuse est irré­sistible). C’est surtout une vir­tu­osité col­lec­tive qui se dégage de ce très beau spec­ta­cle, jamais recher­chée pour elle-même mais pour touch­er le coeur et l’intelligence du pub­lic. Les émo­tions nous étreignent et se suc­cè­dent- comme dans la joie de vivre com­mu­nica­tive de cette mag­nifique séquence d’ensemble dan­sée sur un con­cer­to pour cordes de Bach, suiv­ie par l’entrée poignante sur la scène de deux danseurs ten­ant cha­cun deux danseuses dans leur bras comme une descente de croix dou­blée et inver­sée. Dans ces temps trou­blés - Grav­ité peut aus­si se lire dans son accep­tion de dig­nité retenue et de vig­i­lance -, ce spec­ta­cle nous invite à la prise de con­science des respon­s­abil­ités indi­vidu­elles que nous avons et nous donne des raisons d’espérer tant il parie sur la force de l’énergie col­lec­tive.

  1. La musique est un parte­naire à part entière de cette créa­tion : dans une des pre­mières séquences du spec­ta­cle, tout en émo­tion retenue, les danseurs évolu­ent sur un extrait de L’Art de la fugue de Bach. Vers la fin, le boléro de Rav­el et sa lanci­nance entraî­nent les danseurs dans une ronde étour­dis­sante. On retrou­ve aus­si des univers musi­caux mar­quant le spec­ta­cle par leur dif­férence et leur étrangeté ; ain­si des pièces de Daft Punk de 79 D mais aus­si de Yan­nis Xenakis, Dim­itri Chostakovitch et les belles études pour piano de Philip Glass. ↩︎
  2. Bap­tiste Coissieu, Leonar­do Cre­maschi, Mar­ius Del­court, Léa De Natale, Antoine Dubois, Clara Fres­chel, Isabel Gar­cía López, Véronique Gias­son, Flo­rette Jager, Lau­rent Le Gall, Théa Mar­tin, Víc­tor Martínez Cál­iz, Nuriya Nag­i­mo­va. ↩︎
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Angelin Preljocaj
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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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